Chapitre 16, partie 1 :

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Will Marx :

Une douleur horrible se répand de mon pied jusqu'à mon aine. Épouvanté je louche sur le piège à ours qui vient de se refermer autour de ma cheville. Angelo est accroupi à mes côtés, les mains sur mes joues, mes larmes s'écoulent sur ses doigts. Je ne parviens pas à le regarder, trop focalisé sur les pointes en acier qui entrent dans ma chair. J'ai la sensation que l'on vient de me couper le pied, le sang s'échappe de toutes les perforations, c'est un véritable carnage.

— Will, murmure DeNil d'une voix douce mais inquiète, expire.

J'essaie de faire ce qu'il me dit mais ma respiration est saccadée, je n'arrive pas à la modérer.

— Mais qu'est-ce que ça fait là, ça ? s'énerve Mike en pivotant vers sa sœur.

— Je... papa m'a dit de placer les pièges autour du chalet, j'avais oublié en avoir mis un ici, répond-elle en agitant ses mains, complètement paniquée.

— Sans déconner, crache Angelo, comment tu peux oublier un truc pareil ! On est supposé faire quoi maintenant ?

— Cours chercher papa ! Esmée, allez !

Elle s'exécute à toute vitesse alors que je suis à deux doigts de perdre connaissance. Je me sens vaciller, j'ai soudainement froid et n'arrive plus à aligner deux pensées cohérentes. Je tente de me concentrer sur les doigts de DeNil qui caressent ma peau plutôt que sur l'horrible douleur qui tiraille ma jambe.

— Essaie de ne pas t'agiter, me conseille Mike. Plus tu vas te débattre plus le piège va se refermer sur ta cheville.

J'écarquille les yeux, comment dois-je faire pour ne pas m'agiter alors que mon pied est pris au piège entre des dents sûrement aussi pointues que celles d'un vampire, et plus aiguisées qu'un couteau de cuisine ?

— C'est facile à dire, s'énerve Angelo, il doit souffrir !

— Ne t'inquiète pas, mec, mon père va le sortir de là.

DeNil l'ignore et reporte son attention sur moi. Ses doigts exercent une pression contre ma joue pour m'inciter à le regarder. Je le vois trouble à cause des larmes qui inondent mes yeux.

— Calme toi, Will, je suis là, ok ? Inspire et expire, doucement.

— Angelo... ça fait super mal, me plains-je en ayant bien conscience d'être ridicule.

À cet instant je me fiche de paraître faible devant lui, ma dignité s'est envolée dès que j'ai posé le pied au mauvais endroit. C'était une bêtise de me focaliser sur Angelo, j'aurais dû regarder où je marchais plutôt que de m'énerver seul parce qu'il discutait avec Esmée alors qu'il refuse toujours de parler avec moi.

— Je suis là, s'écrie une voix grave.

Aussitôt un homme aux cheveux blancs ressemblant étrangement à un bûcheron apparaît. Il examine la scène et se pince le nez avant de s'accroupir devant moi.

— Tu n'as pas fait dans la dentelle, gamin. Un piège à mâchoire, rien que ça, dit-il en examinant l'objet. J'espère que ton vaccin antitétanique est à jour.

Ok... c'est rassurant.

— Enlevez-lui ce truc, râle DeNil alors qu'il se laisse tomber sur les fesses en s'éloignant pour laisser plus de place à l'homme armé d'une trousse de secours.

Celui que je présume être Médérick hoche la tête sans relever le ton déplacé de DeNil, se frotte les mains et ancre son regard au mien.

— Ferme les yeux, bloque ta respiration, et détends toi, me dit-il en posant les doigts sur les mâchoires d'acier.

J'obéis, clos les paupières. Mon souffle se bloque dans ma cage thoracique et je patiente en serrant les dents. Une main se glisse dans la mienne, je reconnais immédiatement la texture de la peau d'Angelo alors j'entremêle mes doigts aux siens. Son pouce caresse mon poignet tandis que sa main libre passe sur mon front transpirant pour y dégager les mèches humides.

Sa présence me rassure, comme si rien ne nous tourmentait, ou alors justement parce que tout nous tourmente. Malgré la colère qu'il ressent à mon égard, il fait tout pour me calmer et m'aider à ne pas trop paniquer, bien qu'il soit pourtant mort de trouille. La peur se lit sur son visage.

— Tu vas y arriver seul, papa ?

— Évidemment. Si tu savais le nombre de fois où je me suis empatouillé là-dedans quand j'étais jeune, ricane le paternel.

— Vous ne pouvez pas vous bouger au lieu de rigoler ? s'impatiente DeNil.

Le silence prend place, plusieurs secondes, puis une longue minute. Un claquement résonne brusquement, la pression autour de ma cheville disparaît, atténuant ainsi la douleur de quelques échelons. Je lâche un hoquet de surprise, puis un soupir de soulagement. Lorsque mes paupières s'ouvrent la première chose que je vois c'est le brun qui colore les iris de DeNil. Son visage semble moins crispé.

Je respire de nouveau et avise l'état de ma jambe. Ça n'a pas l'air beau.

Le bûcheron m'aide à me relever, il est aussi grand que moi et encore plus large d'épaules. Il me fait signe de m'appuyer contre lui et j'obéis sans rechigner.

— Allez gamin, en avant. On va soigner ça à l'intérieur.

Je claudique lentement, me laissant crouler contre l'homme qui m'a aidé.

— Pourquoi vous ne le faites pas ici ? s'enquiert Angelo. Vous avez tout ce qu'il faut.

— Il sera mieux sur un lit, répond Mike. La trousse de secours aurait servie uniquement s'il n'avait pas réussi à desserrer les mâchoires.

Je ne comprends pas, mais ne cherche pas non plus à savoir. La seule chose qui me préoccupe c'est de me débarrasser de cette douleur et au passage retirer ce pantalon taché de sang.

Nous marchons lentement, à mon rythme, jusqu'au chalet, qui paraît immense vu de l'extérieur. Médérick m'aide à gravir les quelques marches du perron et nous pénétrons dans la maison. Je frissonne en découvrant tous les animaux empaillés qui décorent la pièce, c'est glauque et je n'aime pas cette ambiance. Mon ressenti provient probablement du fait que je suis natif de la ville, mais vraiment, c'est oppressant bien que les locataires aient l'air plutôt chaleureux.

— Putain ! C'est quoi toutes ces bestioles mortes ? s'étonne Angelo. On se croirait dans un film d'horreur.

J'aimerais lui dire que ses mots ne sont pas convenables mais je n'y parviens pas, parce que la douleur m'étourdit mais aussi parce qu'il a complètement raison.

— Je suis chasseur, déclare le père de famille.

— Et moi, je fais de la taxidermie, annonce Esmée qui réapparaît, sortie de nulle part.

J'ignore leurs remarques quand une douce odeur de nourriture vient caresser mes narines. Instantanément mon estomac se met a grogner, suivi de près par celui d'Angelo. Une femme d'une quarantaine d'années nous rejoint. Elle porte un bandana fuchsia sur une crinière orange, flamboyante. Elle est habillée d'une robe à fleurs recouvert d'un tablier de cuisine. Son regard est doux et accueillant et au premier coup d'œil elle me semble être la personne la plus normale entre ces murs.

— J'ai fait réchauffer les restes de ce midi pour vous. Un potage de légumes et un rôti de porc au caramel, dit-elle guillerette.

Angelo siffle dans mon dos, aussi émerveillé que moi.

— Mais avant, tu passes au désinfectage, continue-t-elle en me pointant du doigt.

Médérick m'aide à m'installer sur le canapé et lui ainsi que sa femme disparaissent tout de suite après. DeNil s'approche de moi et pose ses fesses sur le bras du fauteuil.

— Eh, Marx, m'apostrophe-t-il à voix basse.

Je le regarde, relevant le menton pour l'interroger.

— On est d'accord que le mot " désinfectage " n'existe pas ?

Je pouffe de rire, bien heureux qu'il me fasse penser à autre chose qu'au sang qui tâche ma chaussure. À la façon dont il me regarde je devine que sa remarque était là uniquement dans le but de me détendre.

— Non, je ne crois pas, réponds-je sur le même ton.

— Ils sont chelous, non ?

Je hausse les épaules et m'apprête à répondre mais je me ravise quand je vois Esmée s'approcher.

— Je suis vraiment navrée, marmonne-t-elle en posant sa main sur une des plaies.

Je serre les dents et me retiens de l'insulter. Elle retire sa paume et s'excuse encore, pourtant je vois bien qu'elle n'est absolument pas désolée. Cette peste a fait exprès d'appuyer sur ma cheville. Je ne sais pas quel est son problème, mais j'ai la sensation que ma présence la dérange. Elle m'énerve, je ne l'apprécie pas et c'est probablement réciproque. Mais il serait préférable qu'elle ne me pousse pas à bout, c'est sa faute si je me retrouve avec des trous dans la peau.

♤ ♧ ♤

J'ai le ventre rempli, à tel point que j'ai presque du mal à respirer. J'ai beaucoup trop mangé, DeNil également. Bon sang, ce que ça fait du bien. J'avale une longue gorgée d'eau pour faire passer les deux assiettes que j'ai vidé puis me laisse tomber contre le dossier de la chaise sur laquelle je suis assis.

La douleur de mon pied est supportable désormais. Médérick a été dans l'obligation de recoudre certaines plaies et m'a de ce fait administré une bonne dose de morphine. J'étais réticent, m'interrogeant sur quel genre de personne il pouvait être pour possèder des antidouleurs aussi puissants à son domicile. Il a finalement pris le temps de m'expliquer qu'il a travaillé pendant des années dans un cabinet vétérinaire et qu'il continuait d'exercer quand ils avaient besoin de plus d'effectif.

— Si vous souhaitez vous laver, la salle de bain est au bout du couloir, nous informe Janet, la maîtresse de maison.

J'acquiesce vigoureusement, heureux d'avoir l'occasion de sentir un jet d'eau brûlant déferler sur ma peau.

— J'y vais en premier, préviens-je Angelo qui accepte sans hésiter.

— Je vais te préparer une tenue propre, m'informe Médérick. Je pense que mes vêtements devraient t'aller.

La mère de famille s'approche de moi avec un sac plastique et un rouleau de ruban adhésif. Je l'observe, un sourcil haussé, dans l'attente d'une explication, jusqu'à ce que son fils me prévienne qu'il est important de garder les points de sutures au sec. Une fois ma cheville protégée, je me précipite dans la salle de bain.

Lorsque l'eau entre en contact avec ma peau, je gémis presque de bonheur. J'ai la sensation de ne pas avoir pris de douche depuis des mois. Je ne crois pas m'être déjà lavé avec tant d'insistance, frottant ma peau avec beaucoup trop de vigueur.

C'est après une bonne vingtaine de minutes que je quitte la cabine, revêtant les vêtements qu'on m'a gentiment prêté afin de rejoindre le salon.

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