Chapitre 15 :

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Angelo DeNil :

Figé, j'ignore si je dois être rassuré de voir des gens dans cette forêt ou si au contraire cela m'effraie. Je n'ai pas bougé, pourtant Will a agi très rapidement. Il s'est redressé et positionné devant moi, comme pour faire barrage face à un potentiel danger. Je guette furtivement les deux personnes face à nous, un grand type aux cheveux rasés ainsi qu'une petite rouquine qui sourit trop largement.

— Enfin, vous voilà, déclare-t-il en s'approchant de nous. Ça fait des jours qu'on vous cherche.

— Oui, continue la fille, on ne pensait pas vous retrouver en vie.

Will est si grand que je suis dans l'obligation de regarder entre ses jambes légèrement écartées pour voir ce qu'il se passe.

— Qui êtes-vous ?

L'homme abat sa main contre l'épaule de Will. Je ne vois pas son visage, mais remarque sans mal son corps se crisper. Il tente de me protéger en mettant une distance entre ces gens et moi, même après toute la haine que je lui ai craché au visage et cela m'émeut.

— Je suis Mike, et elle c'est ma sœur Esmée. On vit dans un chalet à l'entrée du bois, avec nos parents Médérick et Janet.

— Ça n'explique pas pourquoi vous nous cherchiez.

Fraise vient vers moi en remuant la queue et lèche mon visage. Un haut-le-cœur me secoue tandis que j'essuie ma joue en grimaçant.

— Balthazar ! Laisse le garçon, s'agace Esmée.

L'animal fait volt-face, part s'asseoir à ses pieds et ne bouge plus.

Balthazar. C'est donc ainsi qu'il se nomme. Tout s'explique enfin. Il est apprivoisé, voilà pourquoi il n'a jamais tenté de nous blesser.

— On a trouvé vos compères il y a plus d'une semaine, informe Mike. On les a déposé à la gare routière pour qu'ils puissent rentrer en ville.

Will pousse un long soupir rassuré, pourtant il ne se détend pas. Je me relève et prends place à ses côtés. Il me jette un coup d'œil furtif tout en faisant passer son épaule devant moi pour maintenir cette fameuse distance.

— Ils allaient bien ? s'enquiert-il.

— Un peu cassés mais pas abattus. Ils ont mangé, dormi, puis on les a ramenés.

Marx hoche la tête tandis que le puzzle s'assemble dans mon esprit. Ils ont été secouru et bien que je ne porte aucune de ces personnes dans mon cœur, l'apprendre me rassure grandement. Pourtant, un point reste encore inexpliqué. Mon corps se tend alors que l'image du chauffeur gisant apparaît sous mes paupières désormais closes. Qu'ont-ils fait de lui ? Peut-on leur faire confiance ou sont-ils de véritables psychopathes ? Pour vivre à l'orée du bois il ne faut pas être très net dans sa tête, enfin, ce n'est que l'avis d'un malade mental.

— Et le mort ? dis-je précipitamment.

Will me regarde et acquiesce rapidement.

— Oui, c'est vrai. Où est le corps du conducteur ?

La réponse que ces gens donneront déterminera ce que je suis supposé penser d'eux. Mike fronce les sourcils et semble perplexe, quant à sa sœur elle me fixe sans vraiment savoir comment réagir.

— Quel mort ? s'étonne-t-il. Les quatre allaient bien quand nous les avons trouvés.

— Les quatre ? s'exclame Will.

— Oui, deux vieux, un grand benêt et un mec avec une carrure de sportif haut niveau.

Mon compagnon de route me fixe étrangement avant de s'incliner vers mon visage.

— Comment c'est possible ? murmure-t-il pour que moi seul l'entende.

Je hausse les épaules, aussi étonné que lui.

— Je n'en sais rien, Brandon a dit qu'il était mort.

— Excusez-nous un instant, lâche-t-il aux autres alors qu'il se place face à moi.

Il attrape ma main et je frissonne à son contact. Nos doigts s'emmêlent alors qu'il m'attire en retrait. Lorsque nous sommes assez loin, je retire brusquement mon bras en lui offrant un regard noir.

— Tu crois qu'on peut se fier à eux ?

Je hausse un sourcil, surpris par sa question.

— C'est à moi que tu demandes ça ? Je ne fais confiance à personne. Comment pourrais-je le savoir ?

— Pas même à moi ? murmure-t-il sans lâcher mon regard.

— Encore moins à toi, craché-je en faisant un pas en arrière.

Il semble blessé, grimace quelques secondes puis hoche la tête en baissant les yeux.

— Je ne sais pas trop..., détourne-t-il. Mais c'est sûrement notre seul espoir de sortir d'ici.

J'acquiesce, bien que retissant. Il n'a pas tort.

— On les suit ? demande-t-il en s'approchant de moi.

Sa main vient se poser sur mon bras et je ferme les yeux pour éviter l'afflux de sentiments perturbants qui me submerge. Je ne veux plus qu'il me touche, et je crois qu'il l'a compris puisqu'il retire ses doigts comme si je l'avais brûlé.

— Vous venez ? propose Esmée. Nous avons de la route avant d'arriver au chalet. Vous vous êtes vachement éloignés.

Le regard océan me scrute avec insistance pour savoir ce que j'en pense. Je hausse les épaules et approuve d'un mouvement de tête.

— Advienne que pourra, lâché-je en rejoignant nos guides.

Marx soupire et me suit docilement alors qu'Esmée nous sourit d'une façon qui m'irrite.

— Comment vous faites pour vous retrouver dans cette forêt ? demande Will après un long moment de marche silencieuse.

— Ça fait vingt ans que j'arpente cette forêt, déclare Mike. Je suis né ici, je connais les lieux par cœur.

— Oui, vous n'avez vraiment pas eu de chance, continue sa sœur. Vous êtes tombés dans la partie du bois qui n'a jamais été balisé.

— On a marché pendant des jours, comment est-ce possible de ne pas avoir trouvé le bon chemin ? râlé-je, essoufflé.

— Vous avez sûrement tourné en rond, c'est un véritable labyrinthe.

Nous continuons d'avancer, assez rapidement et je retiens les injures qui menacent de s'échapper. J'ai terriblement mal à la jambe et chaque fois que je pose mon pied contre le sol une douleur lancinante traverse mon tibia. Je n'ai pas regardé l'état de la plaie depuis qu'elle est là. Ça ne doit pas être beau à voir puisque même le jean de mon pantalon est difficile à supporter.

Marx ralentit lorsqu'il s'aperçoit que je suis à la traîne. Il marche à mes côtés me jette quelques regards en biais qu'il croit sûrement discrets.

— Tu veux quoi ? beuglé-je.

Il me gonfle, c'est barbant de le voir hésiter à me parler ou pas. Qu'il le fasse ou alors qu'il se taise mais je ne supporte pas quand il tourne autour du pot. Je suis resté muet suffisamment longtemps pour qu'il comprenne que je n'ai aucune envie d'une quelconque discussion.

— Rien... je... ça va ton tibia ? hésite-t-il.

Je m'immobilise, mes muscles se contractent brusquement. Comment peut-il savoir où se situe ma douleur ? Mes bras, étaient visibles mais ma jambe, il ne l'a pas vue.

— Répète ? craché-je quand il s'arrête à son tour.

Il est trop près. Je sens son souffle sur ma peau.

— Est-ce que tu as mal à la jambe ?

— Comment tu le sais ?

Il semble soudainement perdu, ses sourcils se froncent puis son visage devient livide.

— Tu ne sais pas posé ton pied à terre, c'est évident que tu as mal à la jambe, lâche-t-il à toute vitesse, comme pour essayer de se rattraper.

C'est vrai que je boite un peu mais il n'est pas supposé savoir l'endroit précis de ma douleur. Il est clairement en train de me prendre pour un con.

— Comment tu peux savoir où j'ai mal ?

— Je... euh... je ne sais pas, j'ai dit ça comme ça.

Il bafouille, fuit mon regard et ses joues rougissent.

— Arrête de te foutre de ma gueule, Marx. Parle ! ordonné-je.

Il tourne la tête, zieute un instant Mike et Esmée qui se sont stoppés et qui ne manquent absolument rien à ce qu'il se passe face à eux. Ils ne font même pas semblant de détourner leurs attentions quand on les prend sur le fait. Non, ils n'en ont rien à faire et continuent d'observer comme si un spectacle se jouait face à eux. Will pivote de nouveau vers moi mais fixe ses baskets.

— Je t'ai vu faire, souffle-t-il si bas que je dois me surélever sur la pointe des pieds pour entendre ses mots.

Mon cœur cesse de battre à cet instant, mon sang se glace et j'explose.

— Tu as quoi ? dis-je les dents serrées.

— J'étais là...

— Tu étais là ? ricané-je. Tu te fous de ma gueule ?

Il secoue négativement la tête sans oser croiser mon regard. C'est vraiment pathétique.

— Tu es réellement en train de me dire que tu m'as regardé me mutiler juste après m'avoir envoyé chier comme la pire des raclures ?

Le ton que j'emploie est calme mais aussi coupant qu'une lame de rasoir. Dans ma tête, c'est la troisième guerre mondiale. Je suis en train de perdre pieds, je me sens glisser. Je vais tout ravager, tout détruire autour de moi si je ne parviens pas à me contrôler.

Je te l'avais dit, s'amuse Ombre, ce type ne vaut pas mieux que les autres.

Je l'ignore, cette insupportable commère qui se pointe toujours au pire moment. Je fais un pas vers Will, brisant le peu de distance qui restait entre nous.

— Regarde-moi, crié-je. Porte tes couilles, Will. Regarde-moi, putain !

Il relève lentement la tête et ses yeux bleus submergés de regrets se posent sur moi.

Je n'en ai rien à foutre de ses foutus états d'âme.

— T'as ressenti quoi ?

— Qu... quoi ? bredouille-t-il.

— Quand tu m'as vu faire, William, t'as ressenti quoi ?

— Arrête... souffle-t-il en fermant les yeux.

— Ne te défile pas ! Ouvre les yeux et bordel de merde, dis-moi ! hurlé-je.

Je suis hors de moi, complètement enragé. N'observant aucune réaction, je plaque mes paumes sur son torse et le pousse brusquement. Il bouge à peine, évidemment. Haut de son mètre quatre-vingt-dix et de sa carrure trois fois plus épaisse que la mienne, il est colossal.

— Tu as aimé ça, Will ? articulé-je froidement. Ça t'as soulagé de me voir me faire du mal après m'avoir rejeté comme une merde ? Après avoir dégueulé tes tripes sur le sol quand t'as réalisé que tu venais de m'embrasser ?

Il ouvre brusquement les yeux et lance un regard paniqué à la fratrie qui nous guette. Comme s'ils en avaient quelque chose à foutre de ce qu'il se passe, ou ne se passe pas, entre nous.

— Angelo, murmure-t-il, arrête, s'il te plaît.

Je vois le combat qu'il est en train de mener, ça se lit sur son visage mais je m'en moque. Moi aussi je mène mes propres batailles et elles sont sûrement plus importantes que de comprendre pourquoi on a embrassé un autre type.

— Arrêter quoi ? Dis-moi ce que tu as ressenti, que je comprenne pourquoi t'as rien fait.

Il s'approche davantage, me surplombe complètement. Son torse m'effleure presque et ses yeux sont ancrés aux miens, emplis d'un sentiment que je n'arrive pas à définir.

— Que voulais-tu que je fasse ? demande-t-il tout bas. Que je te supplie de ne pas te blesser ? Que je me mette à genoux et que je t'empêche de faire n'importe quoi, après ce qu'il s'est passé ?

— C'est toi qui m'a envoyé chier, Marx, bouillonné-je. C'est toi qui n'a pas assumé ! Pas moi ! Je t'ai laissé faire, toi tu as fui !

Il passe ses grandes mains sur son visage, jusqu'à ses cheveux qu'il tire avant de soupirer et de reculer, perturbé.

— Je suis désolé...

— Tu es désolé ? Wah, je suis ravi de l'entendre.

Je me détourne, me dirige vers nos guides qui me sourient, comme s'ils voulaient me remonter le moral. Je ne suis pas triste, je suis en colère.

À quoi t'attendais-tu ? C'était si prévisible.

" Ne me fais pas chier toi, sinon je me fracasse la tête contre un arbre pour ne plus t'entendre. "

Fais-toi mal.

Je lève les yeux au ciel, exaspéré par ce truc trop bavard qui loge dans mon esprit. J'ignore Will alors qu'il marche derrière moi et essaie de se faire tout petit. C'est compliqué, nous ne pouvons pas le louper. Tout comme la gêne qui n'a pas quitté son visage depuis que j'ai énoncé les faits devant nos camarades.

— On y est presque, les copains, nous informe Esmée.

Fraise ou plutôt Balthazar passe devant nous alors que je marche à côté de Mike.

— C'est grâce à lui qu'on vous a trouvé, me dit-il en désignant son loup de compagnie.

Je grogne pour toute réponse, je n'ai pas envie de parler, ni à Will, ni à ce mec qui porte une chemise à carreaux ringarde, ni à personne d'autre finalement. Pourtant Marx attrape la perche que tend Mike, nous rattrape et commence à discuter de Balthazar avec son maître. Probablement pour penser à autre chose. Pour ma part, je ne souhaite pas me vider la tête. Je veux continuer de visualiser Will m'observer sournoisement me faire du mal sans même essayer d'agir pour m'en dissuader, sans tenter de me donner une explication à sa réaction bien trop douloureuse d'il y a deux jours. Non, je veux le garder en tête et ajouter ça à la liste des raisons pour lesquelles je ne peux pas me le voir en couleurs.

Je ralenti l'allure, je ne veux pas avancer au même rythme que lui alors je me traîne de nouveau. Je ne peux m'empêcher de remarquer qu'Esmée fait de même et avance à mes côtés, trop près, puisque son épaule frôle la mienne et ça ne me plaît pas.

— Ma mère va vous préparer un bon repas, s'enthousiasme-t-elle. Vous devez avoir faim tous les deux.

— Ouais, merci, réponds-je simplement.

Pourtant j'en baverais rien que d'y penser. J'ai une dalle affreuse et pourrais avaler n'importe quoi.

— Et vous pourrez prendre une douche, ajoute-t-elle.

— Cool.

— C'est quoi ton nom ?

Je la regarde, surpris de ce changement de conversation. Comme si elle ne le savait pas, elle nous a bien écouté nous disputer Will et moi et il me semble que nos prénoms sont sortis plus d'une fois. Je réponds tout de même, elle me sourit, me montrant ses dents alignées. Elle est plutôt jolie, d'une certaine manière. Un visage fin, des grands yeux verts et quelques tâches de rousseurs sur son nez et ses joues.

— On arrive quand ?

— Dans quelques minutes, répond Mike à la place de sa sœur.

Will se tourne pour m'observer. Son nez se fronce quand il remarque qu'Esmée est très proche de moi. Ses yeux insistants restent posés sur moi plus que nécessaire. Je le détaille également, le visage fier et le menton relevé, jusqu'à ce qu'un bruit métallique se fasse entendre, suivi rapidement par un cri perçant qui passe ses lèvres.

Son corps s'affaisse, je le regarde tomber, horrifié et je ne peux m'empêcher de me précipiter vers lui, mettant complètement de côté la rancœur que je ressens. C'est un comportement de faible, j'en ai conscience mais ce regard bleu empli de souffrance et de panique m'a transpercé le cœur.

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