Chapitre 7, partie 1 :

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Will Marx :

J'examine tous les arbres et buissons qui se trouvent autour de moi, à la recherche désespérée de quelque chose de comestible à avaler. J'essaie tant bien que mal de me persuader qu'il ne s'agit pas là d'une simple excuse pour m'éloigner de lui. J'ai mon sac sur l'épaule, les nerfs en vrac et je songe à tracer mon chemin, avancer dans cette étendue de verdure et me barrer loin d'Angelo DeNil. Pourtant, j'ignore pourquoi, mais mes pieds refusent d'agir. Je ne devrais pas me sentir si mal d'avoir de telles pensées, il est insupportable, méchant et dédaigneux. Malgré cela, ma conscience refuse de l'abandonner. Si je pars et qu'il ne s'en sors pas, je me sentirais si coupable que mon esprit resterait avec lui. Je ne veux pas me sentir responsable de la perte d'une personne, aussi imparfaite soit-elle. La perfection, finalement, qu'est-elle de plus qu'une chimère ? Une brume informe et impure, un étalage de faux-semblants, de mensonges, de non-dits. Je suis comme elle, je préfère laisser paraître plutôt qu'être. Je préfère fuir plutôt qu'admettre que je ne supporte plus ma petite amie. Notre couple parfait est une successions d'images en noirs et blancs.

Nous avons chacun nos défauts, Angelo n'est qu'une illusion lui aussi, un filtre sans couleur. La douleur que j'ai vu dans ses yeux lors de sa crise d'angoisse, elle surpasse la colère qu'il hurle à s'en briser la voix. Dans l'ombre de ses iris, je la vois. Ce n'est pas pour autant que j'accepte son comportement. Je ne mérite pas sa haine, mais ce n'est pas elle qui me fera devenir ce que je ne souhaite jamais être. Un lâche et un égoïste. Alors, je continue de chercher de quoi nous nourrir.

Il me semble que cela fait un bon moment que je suis parti et mon butin n'est pas fort diversifié. J'ai seulement trouvé des fraises sauvages, tellement que l'on pourrait presque se purger avec. Je ne vois rien d'autre de mangeable dans les environs. Demain, nous essaierons de reprendre la route si DeNil sait tenir sur ses jambes, à supposé que l'on survive à cette nuit. Le fait de ne pas savoir ce qui est arrivé au reste de notre groupe me rend nerveux. J'essaie d'être rationnel et me dis que ne nous voyant pas revenir ils ont décidé de prendre la route de leur côté. C'est ce qu'il y a de plus logique mais ceci n'explique pas pourquoi le corps du conducteur n'est plus à sa place. Je me triture les méninges à la recherche de réponses et essaie de relativiser. Peut-être que sur six, trois ont trouvés la porte de sortie de cet enfer.

Lentement, je reprends la direction du van. Il est assez loin mais je l'aperçois sans mal. Je plisse les yeux pour tenter de voir si Angelo est sorti mais je ne l'aperçois pas. Il est probablement recroquevillé sur son siège, paniqué car le louveteau ne m'a pas suivi. Il est un peu peureux bien qu'il fasse mine d'être glacial lorsqu'il devient véhément. Il est étrange, un peu con et agressif mais j'ai la certitude qu'il cache quelque chose de plus profond, plus complexe. J'aimerais savoir de quoi il s'agit. Peut-être qu'en restant coincé avec lui, je parviendrais à gratter cette carapace qu'il s'est forgé pour découvrir ce qu'il y a sous son animosité.

Quand je pose mes pieds sur les marches du van l'animal s'approche rapidement et frotte sa tête contre ma jambe. Il prend toute la place et ne me laisse pas monter. Les loups ne sont pas dangereux s'ils se sentent en confiance mais je m'attendais tout de même à ce que celui-ci décampe une fois rassuré. Pourtant, il persiste à rester près de nous et cela depuis plusieurs heures déjà, comme s'il était habitué à la présence de l'homme. Il paraît si à l'aise qu'il ne se prive pas pour réclamer des câlins. Je lui gratte la tête alors qu'il pousse contre ma main pour accentuer mes caresses.

— DeNil, je suis revenu.

Le silence me répond, peut-être s'est-il endormi. J'espère qu'il n'a pas refait de crises durant mon absence. Je repousse gentiment l'animal afin d'entrer dans le van. Le siège sur lequel il était installé est vide.

— Angelo ?

Toujours aucun son. Si ce crétin est parti alors que j'ai pris sur moi pour ne pas l'abandonner, il est fort probable que j'arpente cette forêt jusqu'à le retrouver pour ensuite lui arracher un à un ses cheveux blonds. J'avance encore, observe chaque rangée de sièges et le vois finalement sur la banquette à quatre places. Il est allongé sur le coté, la tête cachée contre le dossier du siège, un carnet au cuir usé dans la main droite.

— DeNil, je suis là, répété-je encore.

Il ne réagit pas alors je dépose mon sac sur le plancher et m'installe sur le siège libre près de lui.

— Je pensais que tu ne reviendrais pas, dit-il la voix étouffée par le dossier.

— Ça m'a traversé l'esprit, avoué-je. T'es un con, Angelo.

Il remonte ses genoux contre sa poitrine pour que je puisse me positionner convenablement puis se redresse légèrement pour m'observer.

— T'en es un aussi, souffle-t-il.

— Si tu reviens encore à cette connerie de laxatifs, je le sais, c'était débile. Mais depuis qu'on est coincé ici, j'ai essayé d'être ouvert avec toi, mais tu n'arrêtes pas d'être désagréable.

Il soupire, range son cahier dans son sac et se frotte les yeux. C'est seulement maintenant que je remarque qu'il sanglote silencieusement. Je ne sais pas ce qu'il se passe dans sa tête, ni dans sa vie en dehors de ce bois mais il a l'air réellement torturé quand il retire son masque de connard.

— Je suis comme ça, je n'y peux rien, admet-il en haussant les épaules.

— Et moi je suis du genre amical. Tu sais, c'est ce truc qui pousse à être sympa avec les gens ?

Il me regarde avec un sourcil haussé de perplexité.

— Peut-être que t'as raison quand tu dis que si on ne serait pas ici, je ne t'aurais jamais adressé la parole. Sauf que maintenant, il n'y a que nous deux, alors faisons un effort pour que tout se passe correctement. Ce serait dommage qu'un de nous finisse par foutre sur la tronche de l'autre et désolé, mais tu risques de perdre si ça arrive.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? râle-t-il en se frottant encore les yeux.

— T'es haut comme trois pommes, DeNil.

Son regard se durcit, il se redresse complètement, le dos contre les vitres du bus.

— Ça ne veut rien dire, ça. Ton argument est nul.

Je lui souris. Même si son visage est sévère, je sens bien dans sa façon de s'exprimer qu'il me provoque gentiment, pas de façon à m'énerver comme il le fait tout le temps.

— Soit, agissons de manière à ne jamais savoir qui pourrait gagner.

— C'est parce que tu as peur, William.

— Je tremble, m'amusé-je.

Un sourire espiègle apparaît sur ses lèvres abîmées alors qu'il me balance sa bouteille d'eau vide au visage.

— Très mature, pouffé-je.

Il hausse les épaules et sourit davantage avant de grimacer et tapoter doucement la plaie qui barre sa bouche. Je réprime mon amusement en attrapant mon sac à dos.

— Je n'ai pas trouvé grand-chose, ce sera fraises sauvages pour le dîner, dis-je en sortant mon butin.

— Tout me convient si ça remplit un minimum mon estomac.

Il s'approche de moi pour voir le tas de fruits. Sa main frôle ma cuisse et instinctivement j'ai un mouvement de recul. Il me regarde les sourcils froncés tandis que je bafouille une lamentable excuse, me sentant idiot d'avoir réagi si démesurément. C'est sa faute, les images de ses doigts sur ma jambe me reviennent en mémoire et font prendre à mon cœur un rythme étrange.

— Tu étais assis sur moi il y a quelques heures.

Je hausse les épaules et baisse la tête, gêné et un peu surpris qu'il ait lu en moi si facilement.

— La situation était différente.

— Je t'ai assuré que je ne te toucherais plus, Will, bougonne-t-il.

— Je sais, pardon.

Il lève les yeux au ciel et attrape quelques fruits qu'il enfourne dans sa bouche. Je le vois mâcher avec appétit et fais de même en m'imaginant manger un bon steak.

— Tu ne sembles pas si perturbé, lâche-t-il soudainement.

— À propos de quoi ?

— Nous ne savons pas si nous allons nous en sortir et tu me paraîs indifférent à cette idée.

— C'est juste que je gère mieux mes émotions que toi.

— Alors, qu'est-ce que tu ressens ?

— C'est une question piège ?

Je relève le menton quand j'entends les pattes de l'animal approcher. Il s'étend à nos pieds, semble paisible à l'idée d'être encore en notre compagnie.

— On devrait lui trouver un nom, dis-je en passant distraitement mes doigts dans son pelage.

— Est-ce une manière d'esquiver ma question ? s'enquiert-il en me fixant de ses iris bruns et insondables.

— Pas vraiment, réponds-je en haussant les épaules. Je vais te dire ce que tu veux savoir mais je pense quand même qu'on devrait l'appeler autrement que " le loup " s'il compte nous suivre partout.

Angelo réfléchit un instant, tout en mangeant puis demande, la bouche pleine :

— T'as des animaux chez toi ?

— Oui, j'ai un rottweiler qui s'appelle Speedy. Et toi ?

— Non, enfin j'avais un chien avant. Un American Staff, mais il est mort il y a deux ans.

— C'était quoi son nom ?

— Macaron.

— Macaron, sérieusement ? m'exclamé-je en riant.

— Ouais, c'est ma pâtisserie préférée.

— Hum, je vois. Donc si on suit ta logique on appelle cette boule de poils Dragibus ?

— Pourquoi ?

— Ce sont mes bonbons préférés, donc ça fonctionne.

Il secoue vivement la tête et reste le regard fixé sur l'animal.

— Il n'a pas une tête pour porter ce nom, déclare-t-il.

J'attrape une seconde poignée de fruits, quelques uns se font la malle et tombent sur le plancher près de la gueule du louveteau. Il les avale sans se faire prier et relève la tête en se léchant les babines. Nous le fixons les yeux ronds puis un éclat de rire passe les lèvres de DeNil quand l'animal cherche à récupérer le reste de notre repas que je cache derrière mon dos.

— Je pense qu'on a trouvé son nom, s'amuse-t-il.

— Fruit ?

— Non, Fraise. Abruti !

— Dragibus ça ne lui convient pas mais Fraise, oui ?

— Visiblement. C'est un peu comme s'il l'avait choisi lui-même, approuve-t-il.

— Mouais, je ne suis pas convaincu.

Je me place dans la même position qu'Angelo, dos contre les vitres du bus et les jambes étendues sur la banquette, alors que les siennes sont pliées vers son torse. Nous nous faisons face, son regard brun rivé au mien. Il arbore un léger sourire, je me laisse emporter par le même mouvement, relevant un seul coin de ma bouche. C'est décidément plus agréable dans ces conditions plutôt qu'à se crier dessus comme deux gosses puérils. La situation est difficile, j'en ai bien conscience mais c'est tout de même légèrement moins dramatique quand c'est une atmosphère moins tendue qui nous entoure.

— Tu m'as bien eu, Marx, mais ça ne marche pas comme ça. Ne te débines pas, tu dois me dire ce que tu ressens, lance-t-il finalement avec un air plus que sérieux collé au visage.

— Comment crois-tu que je peux me sentir ?

Il me détaille un instant, puis fronce les sourcils avant de répondre :

— Je ne sais pas, mais si tu te sens comme moi, tu dois sûrement être flippé et avoir envie de rentrer chez toi.

Je hoche la tête, bien qu'à moitié d'accord avec ses propos. Angelo détend ses jambes qui se retrouvent contre les miennes mais je ne me démonte pas et fais comme si cela ne me dérangeait pas.

— C'est vrai que j'ai peur, approuvé-je. Mais je n'ai pas spécialement envie de rentrer chez moi.

— Pourquoi ?

— As-tu idée de ce que signifie être le capitaine de l'équipe de football dans un lycée comme le nôtre ?

— Non, je ne sais pas. Par contre, je connais ce fameux capitaine et je peux te garantir que c'est un con, me provoque-t-il, un sourire au coin des lèvres.

— Ahahah, très drôle. Non, sérieusement. C'est énormément de responsabilités, de temps et de patience. Je suis persuadé qu'actuellement mon équipe est perdue sans moi.

— Ce n'est pas ce que tu souhaitais ?

— C'est faire du foot que je voulais, et c'est génial. J'adore ça, mais on me porte trop d'importance et c'est un peu pénible par moments.

J'aime ce que je fais par dessus tout, mais en tant que capitaine je suis celui qu'on accable à chaque souci, celui qui doit tout gérer et faire en sorte de ne pas décourager l'équipe lorsque je suis moi-même à bout de forces. Je n'ai plus énormément de liberté ni de temps pour moi. J'adore mes coéquipiers mais c'est souvent pesant d'être celui que l'on hèle à chaque problème.

— Et ta famille ? s'enquiert-t-il. Elle fait partie des raisons pour lesquelles tu ne veux pas rentrer ?

— Non, ma famille est géniale. Mon père était le dieu de notre bahut à son époque, il me comprend. Ma mère est superbe, sûrement la meilleure et puis il y a mon petit frère, Jude. C'est mon champion, je ferai toujours de mon mieux pour lui donner le bon exemple.

— Un cadre idyllique qui cache des failles par-ci par-là, conclut-il.

— Je pense que c'est surtout la pression que j'ai sur les épaules qui m'empêche d'être à cent pour cent. Je n'ai jamais droit à l'erreur et c'est compliqué.

— Je vois, dit-il en hochant lentement la tête. Alors si j'ai bien compris, tu préfères être paumé ici et avec moi plutôt que près de la charge que tu dois assumer ?

— Avec toi, peut-être pas, le taquiné-je. Mais oui, en quelques sortes. Je ne sais pas si on va s'en sortir et j'espère que si, mais ça me fait du bien d'être un peu loin de tout ça.

— C'est donc pour ça que tu sembles si à l'aise ? C'est un peu comme si tu prenais des vacances à durée indéterminée.

— On va dire ça, il faut relativiser.

Il hoche encore la tête, ses yeux ne me quittent plus. Son regard est pénétrant, troublant. Sa façon de me fixer m'assèche la bouche, comme s'il essayait de lire en moi.

— Et toi, ta famille ?

Il m'a déjà laissé comprendre que sa mère est un peu désaxée, je sais également que son père est décédé mais c'est le moment idéal pour tenter d'en apprendre davantage .

— Mon père est mort, ma mère est malade, on se relaie ma sœur et moi pour prendre soin d'elle, lâche-t-il très rapidement.

— Elle est comment ta sœur ?

— C'est Lolita, elle a quatorze ans. Elle est très calme en général, mais on a une vie de merde et ce n'est pas ce que je voulais pour elle.

— Elle a quoi votre mère ?

Son visage se durcit, son nez se fronce. Il se relève brusquement et fait basculer mes jambes dans le mouvement, je me casse presque la figure.

— Fin de la conversation, crache-t-il en avançant vers la sortie du van.

— Ok, soufflé-je un peu pris au dépourvu.

Je soupire et l'observe s'en aller alors que notre Fraise ambulante le rejoint en secouant la queue. Je passe une main sur mon visage alors que mon estomac crie famine. J'ai faim et les fruits n'ont pas calmé mon appétit. Je me redresse lentement, sans vraiment savoir quoi faire. J'aimerais suivre Angelo et lui poser d'autres questions mais le moment est mal choisi. Il se comportera de nouveau comme un crétin si j'insiste, et je n'ai pas la force de supporter sa méchanceté pour le moment.

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