Chapitre 7, partie 2 :

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Will Marx :

À défaut de suivre DeNil, je pars à la découverte du bus pour passer le temps. Je regarde sous les sièges, dans les compartiments à bagages, à la recherche de n'importe quoi qui pourrait nous être utile. Je mets la main sur une petite trousse de secours, pas si remplie que celle que Murray avait mais il y a de quoi soigner des plaies superficielles. DeNil pourra enfin désinfecter la vilaine coupure qui barre ses lèvres. Je trouve ensuite quatre bouteilles d'eau cachées sous l'emplacement du conducteur. J'en ouvre une sans attendre et la vide en une gorgée. Puis finalement je parcours les assises qu'occupaient nos compagnons de route pour vérifier qu'ils n'aient rien laissé de potentiellement utile. Arrivé près de la place de Judas, mes yeux se posent sur une bouteille de rhum glissée entre le siège et la paroi du véhicule. Je la récupère, un sourire naissant sur mes lèvres.

Une fois le car fouillé entièrement, je passe un long moment à scruter Angelo à travers les vitres teintées. Il est assis contre un arbre, les genoux rabattus contre sa poitrine et le regard vide. Il paraît en colère, mais en même temps son visage renvoie une profonde tristesse qui me peine. Je le rejoins, mes trouvailles dans les bras. Je lui tends une bouteille d'eau. Il relève la tête en étirant le cou, ses yeux me regardent, puis fixent le récipient que je secoue sous son nez.

— J'ai trouvé quelques trucs là dedans, dis-je en pointant le bus de l'index.

Il prend l'eau et boit avec avidité, puis récupère la bouteille d'alcool que j'ai entre les doigts. Il la regarde quelques secondes, puis la pose contre l'arbre sur lequel il est appuyé.

— On va faire quoi avec ça ? demande-t-il en fronçant les sourcils. Puis ça sort d'où ?

— Je l'ai trouvée près du siége de Judas. On pourrait peut-être boire pour oublier le temps de quelques heures où nous sommes.

Je m'installe à ses côtés, trop proche de lui, mais quand je m'en aperçois il est trop tard pour que je m'éloigne sans qu'il comprenne ma gêne. Nos cuisses se frôlent, j'ai l'impression qu'Angelo fait exprès de garder cette proximité, voire de l'accentuer en gigotant doucement.

— Je ne bois jamais, déclare-t-il.

— Une petite exception ne te fera pas de mal.

— Je n'ai jamais bu, reformule-t-il.

Ma tête pivote dans sa direction, j'observe son profil aux mâchoires crispées.

— Tu as dix-sept ans, DeNil, comment ça se fait que tu n'as jamais bu une goutte d'alcool ?

Son visage se tourne à son tour, nous sommes désormais beaucoup trop près l'un de l'autre. Je sens son souffle brûlant effleurer mes lèvres et ma respiration se coupe douloureusement. Je me racle la gorge en m'éloignant rapidement. Mes mains sont moites et ma bouche sèche. S'il ne m'avait pas touché contre mon gré, je n'aurais jamais eu ce genre de réactions. C'est bien la première fois que je suis troublé d'être si proche d'un autre gars. Je prends des douches avec mes coéquipiers et jamais cela ne m'a dérangé. Par contre, depuis que DeNil s'est permis de me caresser, je me sens oppressé lorsque nous sommes trop près.

— Tu n'es pas le seul à avoir des responsabilités sur le dos, Marx. Les miennes sont pleines de contraintes, chuchote-t-il.

— Tu n'en as aucune, ici. Laisse-toi juste aller, soufflé-je.

— Et si quelque chose nous attaque ? Je n'ai jamais pris de cuite mais je sais déjà que nous ne serons pas en état de combattre quoi que ce soit.

— On va dormir dans le van et je fermerai les portes à l'avant, puis nous avons Fraise pour nous servir de chien de garde.

Il sourit en coin alors qu'il observe l'animal en question.

— Alors c'est décidé, c'est comme ça qu'il s'appelle ?

— On dirait bien, lâché-je en un soupir. Alors, DeNil, tu veux boire avec moi ?

— Il y a énormément de choses qu'on pourrait faire à deux, Will.

Sa façon de prononcer mon prénom était très étrange, suggestive et m'a foutue des frissons le long de la colonne vertébrale. Il me lance un regard amusé avant de se relever en appuyant ses paumes sur ses genoux. Je le scrute avec désappointement alors qu'il éclate de rire face à mon expression.

— Je déconne, Marx, pouffe-t-il en avançant vers le van.

Je reste bouche-bée, légèrement déboussolé pendant un court instant, puis le rejoins et me laisse tomber sur le siège à ses côtés, la bouteille de rhum dans la main.

— Alors, tu bois ?

— Il est trop tôt pour picoler.

— On attend que le soleil se couche ? proposé-je.

— Il peut se passer beaucoup de choses dans le noir.

— T'es lourd, Angelo, dis-je en soufflant.

Son rire résonne tandis qu'il me bouscule l'épaule.

— Ce n'était pas un sous-entendu, crétin. À ton avis, combien d'animaux sont nocturnes dans une forêt ?

— Sûrement les plus dangereux.

— Vraiment, t'es un roi pour rassurer les gens.

— Ce n'était pas mon intention, c'est la vérité, soufflé-je.

— Ouais, je le sais.

— Quand il fera nuit, du coup ?

— Hum, ouais, on fera ça.

Je hoche la tête en souriant, puis mes yeux se baissent sur la coupure qui barre sa lèvre. Je me lève silencieusement afin de récupérer les soins que j'ai déniché.

— Nettoie ta blessure. Ça bleui, ce n'est pas beau.

— Merci docteur, souffle-t-il en acceptant les compresses et le produit.

Il désinfecte méticuleusement tout en grimaçant. Mon regard ne lâche pas sa bouche tuméfiée. Il saigne, quelques gouttes coulent sur son menton.

— Ça fait super mal, grince-t-il.

— T'aurais dû nettoyer avant au lieu de jouer les grands hommes.

Je le détaille un moment, examine chacune de ses réactions. Il souffre, ça se remarque facilement, pourtant, une lueur brille dans ses yeux. Une étincelle qui me fait m'interroger et qui laisse entrevoir une certaine satisfaction face à la douleur que lui procure la plaie. Je fronce les sourcils, légèrement décontenancé, mais m'abstiens de tous commentaires.

— J'en suis un, affirme-t-il en se débarrassant des compresses sales.

— Grand comme trois pommes.

— Tu radotes, tu me l'as déjà dit il n'y a pas si longtemps.

— C'est pour que tu t'en souviennes.

— Je ne risque pas de l'oublier quand je dois me tordre le cou pour te regarder.

Je ricane, puis le silence reprend sa place. Le calme est paisible, dans le bus nous n'entendons presque pas le bruit de la forêt. J'aimerais affirmer que je souhaite rentrer chez moi, pourtant en oubliant que la nourriture manque et que les douches sont inexistantes, je ne me sens pas si mal. En fin de compte, ce n'est pas si terrible d'être perdu avec Angelo quand il parvient à être un minimum aimable.

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