Chapitre 5, partie 1 :

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Will Marx :

On pourrait presque croire que les nuits en forêt sont paisibles, loin du bruit incessant de la ville et du brouhaha de l'homme. Ce n'est absolument pas le cas. Je n'arrive pas à fermer l'œil, les animaux et insectes s'énervent depuis que la nuit est tombée. Je ne sais pas où ils sont, je ne vois rien et économise la batterie de mon téléphone au cas où le réseau apparaîtrait miraculeusement. Pourtant, je peux distinguer chaque craquement de branches ainsi que les pattes des bestioles qui frottent le sol terreux. Ces bruits me rendent nerveux. Bien que j'y sois habitué suite aux nombreuses vacances au camping que j'ai passées avec mes parents, la situation désastreuse rend ce capharnaüm angoissant.

Mon regard se pose sur DeNil, pour le peu que je vois dans cette opaque obscurité. Il est affalé contre un arbre, capuche rabattue sur la tête et sac à dos en guise d'oreiller. Il ne bouge pas, ne parle pas, ne respire pas. Enfin si, il respire, du moins je l'espère pour lui, mais je ne l'entends pas. Je ne sais même pas s'il dort ou s'il fait semblant seulement pour ne pas être dans l'obligation de me parler.

On s'est arrêté sur un coin d'herbe sans trop d'orties, les arbres forment un cercle autour de nous. Je suis installé sur le sol, mon corps me démange et j'ai la désagréable impression que des insectes me grimpent dessus. Peut-être que c'est le cas finalement mais je préfère ne pas vérifier. Il fait froid, l'air est humide et je me sens sale. J'aimerais prendre une bonne douche brûlante mais malheureusement je ne suis pas certain d'en trouver une perdue au milieu de la végétation.

Je me retourne encore une fois vers Angelo, toujours immobile et imperturbable. Je m'ennuie. Cette ambiance étrange, l'odeur de sève et de bois mouillé me rendent tout aussi nerveux que les bruits environnants.

— Tu dors ? chuchoté-je.

Je ne parviens qu'à apercevoir les mèches blondes qui se sont échappées de sa capuche et qui s'agitent avec le vent.

— DeNil, tu dors ? demandé-je plus fort cette fois.

— Tu m'emmerdes, grogne-t-il d'une voix rauque et sans bouger.

Sympa le type.

— Je t'ai réveillé ?

— Tu crois que je peux dormir avec tout ce bordel ? Je ne veux juste pas te parler.

— C'est vraiment cool d'être coincé avec toi, ironisé-je.

— C'est encore plus cool quand tu fermes ta bouche.

Il est sérieux ? Je me demande bien ce que j'ai pu faire de mal pour me retrouver dans une situation pareille avec le dernier des crétins. J'en viens à maudire Judas de s'être cogné la tête, il aurait été de meilleure compagnie que lui, c'est certain.

— T'as pas froid ? m'enquiers-je en évitant volontairement sa pique.

— La température est sûrement inférieure à zéro, évidemment que j'ai froid.

— On devrait faire un feu.

— Et comment, gros malin ?

— Avec du bois, réponds-je comme une évidence. Ce n'est pas ce qu'il manque ici.

— C'est trop humide pour flamber, fait-il remarquer. Et tu l'allumes avec quoi ton feu ?

Ah, pas bête...

— T'as pas un briquet sur toi ? Ou je sais pas, des allumettes.

— J'ai un briquet, acquiesce-t-il en se redressant. Mais ça ne prendra pas, je te dis.

Il s'assoit correctement, le dos contre le tronc et je me place à côté de lui, dans la même position.

— Si on n'essaie pas c'est certain que ça fonctionnera pas, bougonné-je en me frottant les mains pour les réchauffer.

Je tourne la tête dans sa direction pour essayer de voir son visage. Il m'observe un sourcil haussé, enfin je crois.

— Quoi ?

— T'es trop près, grogne-t-il en se trémoussant pour reculer légèrement.

— Sans déconner, c'est quoi ton problème ? On ne voit même pas un arbre à quarante centimètres tellement il fait sombre. Tu ne veux pas non plus que je me barre ?

— C'est envisageable, comme je t'ai dit... tu m'emmerdes.

— On arrivera jamais à rien si tu te comportes comme un gamin capricieux.

Il ricane, puis fait craquer ses phalanges en s'étirant.

— C'est capricieux pour toi de vouloir être dans un lit, sans toi, plutôt que contre un arbre qui me broie la colonne vertébrale ?

Je soupire, ça ne mènera à rien. Il est trop buté, aussi aimable qu'un prisonnier enfermé pour meurtres. Je tente de retrouver mon sac en tâtant le sol. Quand ma main le touche enfin, après s'être posée sur des bestioles étranges, je l'attrape et l'ouvre pour en sortir le paquet de Dragibus. Je repense aux paroles de Marianna, quand elle m'a engueulé pour mon excès de sucre. Heureusement, je ne l'ai pas écouté puisqu'il ne me reste que ça a manger. J'ai tout de même fini par partager mon repas avec DeNil. C'était peut-être judicieux puisqu'il l'a avalé comme si c'était la première fois de sa vie qu'il mangeait.

Je tente un énième coup d'œil vers le type le plus irritant qui soit, tout en me demandant si je pourrais bientôt rentrer chez moi, revoir Jude et reprendre ma lecture de Peter Pan. Mais à contrario, je me dis que ça m'arrange bien d'être loin de ma petite amie pour une fois. Perdu au milieu de nulle part ou dans un hôtel loin de chez nous, ça m'est bien égal. Je crois devenir fou, qui préférerait être dans une forêt en pleine nuit et sans nourriture ni feu plutôt qu'avec sa copine ?

— C'est quoi ? demande Angelo quand il entend le froissement du paquet de bonbons.

— T'as envie de me parler maintenant ?

— Ouais t'as raison, c'est mieux le silence.

— Quel silence ? T'es réellement sourd au point de ne pas entendre les chouettes hululer ?

— Je les entends très bien, William.

— C'est des bonbons, soupiré-je.

Il reste silencieux quelques secondes, puis se rapproche de moi, retrouvant la place qu'il a évité il n'y a pas cinq minutes.

— Quoi comme bonbons ?

— Des Dragibus, t'en veux ?

Sa main apparaît sous mon nez, je la distingue grâce à sa chevalière qui brille avec les quelques reflets de lune filtrés par le feuillage des arbres. J'en dépose quelques-uns dans sa paume, il me remercie en un son qui ressemble à un grognement chuchoté.

— Tu veux faire quoi pour passer le temps ?

— J'en sais rien, tu proposes quoi ?

Je réfléchis un instant, nous n'avons pas beaucoup d'options, encore moins dans le noir.

— Ce n'est pas comme si on avait l'embarras du choix.

— Ta réponse ne va pas me plaire, grogne-t-il.

— On peut discuter.

— Je m'y attendais. Dis moi de quoi tu veux parler, répond-il d'une voix efféminée et exagérée.

— T'es vraiment un crétin, DeNil. Parle-moi de toi, je sais pas. De ce que t'aimes faire, tes passions, ton passe-temps.

J'ai aucune idée de ce que je veux savoir en réalité, c'est juste une façon de tuer mon ennui et calmer mes nerfs à fleur de peau à cause de tout ce raffut animalier.

— Il n'y a pas grand-chose à dire sur moi.

— Cherche, tu vas bien trouver un truc intéressant à raconter.

— Ouais, par exemple je pourrais te rappeler une seconde fois ce qu'il m'est arrivé en première année.

Il est chiant. Je pense que j'ai compris que notre petite blague n'était pas amusante pour tout le monde.

— Tu radotes. Bon ok, je commence, toi t'es pas marrant.

— Je t'en prie, Willy. Fais toi plaisir, s'amuse-t-il.

— Ah bah justement, Willy, c'est comme ça que tout le monde m'appelle en général. Enfin les proches surtout, mes parents, mon frère, Pietro, Marianna...

— C'est bon, j'ai compris, me coupe-t-il. Pas besoin de me faire une liste. Marianna, c'est la nageuse ?

— Exact, c'est ma petite amie. Tu la connais ?

Il pouffe de rire puis sa main passe devant mon visage et le plonge dans mon paquet de bonbons pour en piquer une poignée.

— Tu veux rire ? Tu crois vraiment qu'une snobinarde pareille perdrait son temps avec un mec comme moi.

— Elle est gentille, dis-je en haussant les épaules.

Cette fois, il éclate d'un rire rauque. Je l'écoute ensuite mâchouiller les Dragibus qui lui collent aux dents alors qu'il peine à calmer son hilarité.

— T'es sérieux ? Le premier truc qui te vient à l'esprit quand tu parles de ta copine c'est le fait qu'elle soit gentille ?

— Je ne vois pas ce qu'il y a de mal là-dedans.

— Non c'est clair, s'amuse-t-il. Elle est chiante et trop collante, non ? Et peut-être que tu restes avec elle parce que t'es habitué comme ça.

Je fronce les sourcils, pour quelqu'un qui ne la connaît pas, il la décrit plutôt bien. Est-ce que c'est si flagrant que je subis mon couple plus que je n'en profite ? Non, il doit sûrement dire ça pour me faire chier. De toute façon il ne peut pas savoir puisqu'il ne me connaît pas.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Je sais pas, simple supposition. En tout cas elle est sacrément chaude ta meuf.

— Pardon ? m'exclamé-je.

— T'as déjà assisté à un de ses entraînements ?

— Non, ils sont en même temps que les miens. Je n'ai jamais pu y aller. Pourquoi ?

— Elle a beaucoup d'admirateurs, vraiment beaucoup, s'amuse-t-il. Et je crois bien qu'elle aime ça, qu'on la regarde à moitié nue dans un bassin de flotte.

Je fronce les sourcils, un peu perplexe. C'est normal qu'on la regarde, elle fait partie de l'équipe de natation et elle est vraiment belle. Est-ce un problème ? Les filles me regardent aussi quand je joue et ça ne m'a jamais posé problème. Je pense qu'à Marianna non plus, elle n'a jamais évoqué le sujet. Je n'ai jamais éprouvé aucune sorte de jalousie. Devrais-je revoir ma vision des choses ?

— Tu fais partie de ces personnes ? demandé-je un peu précipitamment.

— Moi ? Pas du tout, elle n'est pas mon genre.

— Oh... C'est quoi ton genre ?

— Je n'y ai jamais vraiment pensé.

— Ah bon ? Elles étaient comment tes copines ? D'ailleurs, tu en as une en ce moment ?

— Pourquoi tu poses autant de questions ? soupire-t-il, désabusé.

— Pour faire connaissance. C'est comme ça que ça marche, non ? Pour connaitre quelqu'un on doit discuter.

— T'as vraiment envie de faire ami-ami avec moi, Marx ?

— Pourquoi pas ?

— Arrête de faire semblant, jamais tu ne m'aurais adressé la parole si on ne ce serait pas retrouvé ici. C'est ma deuxième année de lycée et tu ne connaissais même pas mon nom.

C'est vrai. En général je ne me mélange pas avec ceux qui ne pratiquent aucun sport. Je ne sais pas pourquoi, je crois que ça a juste toujours été ainsi. Les sportifs d'un côté, les journalistes de l'autre.

— Alors, tes copines ? demandé-je une seconde fois pour éviter de lui donner raison.

— J'en ai pas.

— Oui, mais elles ressemblaient à quoi les autres ?

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

— Pour savoir quel est ton genre, si Marianna ne te plaît pas alors j'aimerais savoir quel style de filles tu aimes regarder.

— Tu voudrais que ta meuf me plaise ? ricane-t-il.

— Euh non, enfin c'est pas vraiment un problème, je ne suis pas forcément jaloux. Elle est belle, c'est normal qu'elle attire les regards.

— Pas le mien.

— Justement, alors ?

Je peux remarquer ses yeux briller quand il lève la tête pour tenter de me regarder. C'est la seule chose que j'aperçois, un éclat pétillant dans un regard que je sais sombre.

— Mon genre, voyons voir, des cheveux bruns, des yeux clairs, une grande taille...

Il s'interrompt, cette fois je remarque ses dents blanches quand il sourit.

Il aime les grandes filles ? Il est de taille moyenne, j'aurais pensé qu'il préférait les petites. Après tout, mon meilleur ami aime les femmes d'âge mur, donc, ce n'est pas si étonnant finalement. Les goûts et les couleurs, comme on dit.

— ... avec une bite de préférence.

Je m'étouffe en avalant mon bonbon de travers. Je crois que je m'attendais à tout sauf à ça.

Angelo éclate de rire alors que je tousse comme un tuberculeux pour dégager le Dragibus qui obstrue ma gorge. En fin de compte, je vais mourir d'une fausse-route plutôt qu'attaquer par un animal sauvage. Ne serait-ce pas mieux ?

— Respire, Will, dit-il hilare.

J'arrive enfin à libérer le bonbon qui remonte dans ma bouche, je le crache rapidement en soufflant doucement.

Brun, yeux clairs, grand, avec une bite ! Est-ce qu'il vient de me décrire moi ? Merde !

— Bordel, soufflé-je ahuri. Je te plais, Angelo ? T'es homo ?

Il reste muet une dizaine de secondes, puis éclate encore de rire. Sa main vient se poser sur mon genou, et fait lentement remonter ses doigts vers ma cuisse.

Je me fige, mon corps se tend et ma respiration se coupe. Je ne vois que la brillance de sa chevalière qui approche dangereusement du haut de ma jambe. Je sens sa respiration se rapprocher de moi, son corps près du mien. Son souffle chaud s'écrase sur ma joue tandis que la fraîcheur émanant de sa peau me fait frissonner. Je ne sais pas quoi faire, c'est comme si mon esprit s'était volatilisé et que mon corps n'était plus articulé. Mes inspirations reprennent, s'accélèrent alors que mon cœur bat rapidement. Les doigts de DeNil redescendent doucement vers mon genou tandis que les miens commencent à trembler. Je dois le repousser. Pourquoi me touche-t-il comme ça ? Mais avant toutes choses, pourquoi je le laisse faire sans même tenter d'émettre une seule plainte ?

— William, susurre-t-il d'une voix mielleuse.

— Qu... quoi ?

Il pianote sur ma jambe et remonte une fois de plus pour immobiliser sa paume sur ma cuisse. Je retiens ma main de s'abattre sur sa tronche alors que je sens sa peau glacée à travers l'épais tissu de mon pantalon. C'est quoi ce délire ? Je ne devrais pas me retenir et lui en coller une bonne pour lui faire passer l'envie de me tripoter. Sa chaude respiration s'approche davantage de mon visage, il expire son souffle sur ma joue. Je l'entends soupirer presque imperceptiblement lorsqu'il se redresse vers mon oreille.

— Je ne suis pas homosexuel, et je n'ai pas de genre de meufs parce que je n'en ai jamais eu. Je n'ai pas le temps pour ça, chuchote-t-il. Par contre, tu n'avais pas l'air contre mes caresses.

Il s'éloigne en ricanant et mon corps se détend dans l'instant.

Putain, le con ! Pourquoi se comporte-t-il ainsi ? Il me parle comme si j'étais un moins que rien, ensuite il me tripote et maintenant il se fout de ma gueule.

— Pourquoi t'as fait ça ? demandé-je précipitamment en me relevant.

— Pour que tu fermes ta grande bouche et que tu me laisses tranquille, répond-il ironiquement.

Connard ! Crétin !

Une fois passablement calmé, je me rassois contre l'arbre, maintenant la distance. Je ne veux plus qu'il approche ses mains d'une quelconque partie de mon corps.

— Tu aurais pu tout simplement me le dire plutôt que de me toucher comme ça, grogné-je en posant ma main sur ma poitrine pour apaiser les battements de mon cœur.

— Ce n'est qu'une cuisse. Remarque, c'est une bonne manière de se réchauffer. Si tu as froid n'hésite pas, pouffe-t-il.

— T'es un grand malade, DeNil.

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