Chapitre 4 :

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Angelo DeNil :

On va mourir ici. C'est certain. Je le savais, j'aurais dû rester chez moi et rater cette foutue rencontre sportive. Parce que là, on est bien parti pour ne jamais finir ce voyage, et même très rapidement finir nos vies au milieu de cette connerie verte, de tous ces insectes volants, rampants et j'en passe.

Je ne pense qu'à ma petite Loli, enfermée avec maman dans cette maison insalubre. Si je ne rentre jamais, comment va-t-elle faire ? On n'a même pas la télévision, elle ne saura jamais qu'on a eu un accident et que nous avons fini notre trajet à plusieurs mètres en bas de la voie rapide. C'était quoi ? Un pont ? D'ailleurs comment c'est possible qu'après une chute pareille nous ne soyons pas tous morts ? Ce n'est pas normal. C'est donc ça que l'on appelle couramment un miracle ?

Tu parles de miraculés, s'amuse Ombre, vous êtes entourés d'arbres et de trucs qui piquent.

Je ferme brièvement les paupières pour tenter de la chasser, pourtant cette fois, j'ai bien peur qu'elle ait raison. Je ne sais même pas si c'est utile d'essayer de trouver un moyen de quitter cette forêt. On va sûrement tous crever de faim, ou peut-être de froid.

Cela doit faire presqu'une heure que l'on avance, je commence à avoir mal aux pieds. Ça me gonfle, mais je me dis tout de même que c'est sûrement mieux que de rester le cul assis près d'un macchabée.

— Au fait, moi c'est Will, lance le brun de presque deux mètres qui marche à mes côtés.

Il s'est décidé à parler, je préférais quand il ne le faisait pas. Je tourne la tête dans sa direction, ses yeux bleus se posent sur moi alors qu'il tente un léger sourire. Il l'efface rapidement quand je le toise.

— Je sais qui tu es, William Marx, craché-je en le fixant encore.

Je ne risque pas d'oublier ce crétin, si je ne l'apprécie pas ce n'est pas uniquement parce qu'il est capitaine des Lions. Il semble déconcerté un instant, puis hoche la tête.

— Oui, le foot, suppose-t-il.

Je ricane, c'est plus fort que moi. Non, ce n'est pas sa performance au sport qui a fait que je me rappelle de son prénom, ou de son minois aux yeux clairs et aux cheveux aussi sombres que les ténèbres qui rôdent dans ma tête.

— Pas vraiment. Je fais partie des victimes de votre bizutage débile. Tu sais, l'année dernière ? dis-je acerbe. J'ai passé trois jours sur les chiottes à me vider.

Lui et son équipe de nuls ont foutus des laxatifs dans toutes les fontaines à eau du lycée pour accueillir les nouveaux en première année de journalisme. Il ne m'a fallu que peu de temps pour trouver les responsables. Il pouffe de rire, et dépose sur moi un regard contrit.

Il se permet de rigoler ce couillon, cogne-le !

— C'est tout sauf drôle. Mon père est mort d'un cancer du côlon, j'ai cru hériter de la même merde à cause de vos débilités.

Son amusement disparaît immédiatement. Cette fois, c'est à mon tour de sourire.

Prends ça dans la gueule, Marx, murmure encore l'Ombre dans ma tête. On ne t'aime pas.

Je me demandais quand elle allait se décider à ouvrir les yeux, pour ensuite planter ses griffes dans ma chair, cette brume qui me maltraite depuis des années. Elle n'est jamais bien loin, toujours prête à me pourrir davantage.

— Pardon, chuchote-t-il honteux. On ne pensait pas vraiment à mal, en fait c'était une idée de...

— Ton pote Judas, ouais merci je le sais déjà. Mais t'étais d'accord, t'es le capitaine, c'est à toi de donner le mot final.

— C'était juste une blague, bafouille-t-il.

— Une blague douteuse. J'ai cru que j'allais avoir droit à des séances de chimio. Et mon amie Roselyne s'est déféquée dessus en plein cours de science. Depuis vos conneries, tout le bahut l'appelle pause-caca.

Son visage blanchit, il ne sait plus où se mettre. Rose vit un enfer au lycée depuis son premier jour de cours à cause de ces connards sans cervelles. Elle doit se sentir horriblement mal dans ce bus au milieu de l'équipe. J'espère que tout se passe bien pour elle, en définitif ça ne peut pas être pire que notre situation.

Si ?

Je ne sais pas.

— Et toi, tu es ? demande-t-il pour changer de sujet.

— Angelo.

— Angelo... ?

Il sait qui je suis, son pote m'a appelé par mon nom il y a une heure ou deux. J'ai bien vu l'expression étonnée sur son visage. Si c'est cette conversation qu'il veut alors il l'aura même si cela m'exaspère.

— DeNil.

— Comme Rodrigue DeNil ? Le plus grand journaliste sportif de notre génération ?

Voilà, c'était sûr. Tellement prévisible.

— Si je crois les dires de ma mère, c'est mon oncle. Mais j'en sais rien, je le connais pas.

— Si tu crois ta mère ?

Pourquoi il répète tout ce que je dis, il est malentendant ? Il n'arrive pas à assimiler ?

— Elle est un peu... déconnectée de la réalité, déclaré-je en haussant les épaules.

Il hoche la tête puis se remet à marcher. Je regarde mes pieds, réalisant que l'on s'était arrêté.

— On va encore errer longtemps, William ?

— Je ne sais pas, on devrait peut-être retourner au van.

— Tu ne voulais pas trouver un garde, William ?

— On tourne en rond depuis deux heures, on a toujours rien trouvé et le soleil commence à baisser.

— On fait quoi alors, William ?

Il s'immobilise juste devant moi, pivote pour me faire face, baisse la tête pour croiser mon regard et me toise sévèrement.

— Arrête de m'appeler comme ça.

— Quoi ? William, c'est pas ton prénom ?

Intérieurement, je jubile. J'ignore pourquoi je fais ça, mais vois bien que ça l'agace alors je prends un malin plaisir à continuer.

— T'es insupportable, lâche-t-il.

— Pauvre William.

J'éclate de rire quand il souffle et fait demi-tour pour reprendre sa marche.

J'observe ce qu'il se passe autour de moi, rien n'a changé. Que des arbres. L'angoisse monte doucement en moi, comment va-t-on faire ?

— Euh, William...

— C'est Will, crache-t-il.

— Non, mais là je suis carrément sérieux.

Il se retourne vivement, me sonde et m'interroge en un mouvement de tête.

— On doit prendre quel chemin pour retrouver les autres ? demandé-je, les jambes déjà tremblantes.

Pourquoi n'a-t-on pas fait attention à la route qu'on empruntait ? Tout se ressemble, c'est quasiment impossible de ne pas se planter.

— Merde, soupire-t-il.

Je tente de paraître impassible depuis qu'on est arrivé ici, mais là je n'en mène pas large. Je commence à vraiment paniquer. Comme si je venais enfin de réaliser dans quel cauchemar nous nous trouvons. Ce n'est pas bon... pas bon du tout, encore moins pour ma santé mentale défaillante.

— On s'est paumé, marmonné-je à bout de souffle.

Je n'arrive plus à respirer, c'est gênant, presque douloureux.

— On était déjà perdu, me rappelle-t-il.

— C'est différent, on est plus que deux. On va faire quoi ? paniqué-je. On repart par où ? Et si on ne les retrouve jamais, pire, si on ne nous retrouve, nous, jamais ?

— Calme-toi, DeNil. C'est pas le bon moment pour faire un malaise, dit-il en attrapant mes épaules pour me secouer légèrement. Je te jure que si tu tombes dans les pommes, je te laisse là.

— Tu crains pour rassurer les gens.

— Respire et tais-toi.

Je hoche la tête et tente de calmer mes nerfs. Je n'y arrive pas, comment suis-je supposé y parvenir ? Je suis entouré de sapins de vingt mètres de haut, je distingue à peine le ciel en plus d'être bloqué ici avec Will Marx ! C'est sûrement mieux d'être en sa compagnie plutôt que celle de Judas Bloom mais c'est tout de même merdique.

— On va s'asseoir cinq minutes. T'as de l'eau ? demande-t-il.

Je hoche la tête et sors la bouteille de mon sac. Je lui tends alors qu'il me regarde comme si j'étais demeuré.

Il est sérieux ? C'est lui le crétin de footballeur, pas moi.

— C'est pour toi, hydrate-toi et rince ta lèvre aussi. C'est moche.

Je fais ce qu'il me dit, pas par gaieté de cœur mais dans le fond je sais qu'il n'a pas tort.

— Ça fait mal ? questionne-t-il alors qu'il me voit grimacer quand le liquide rencontre la plaie.

— T'as pas plus conne comme question ?

— Bien fait pour toi, fallait laisser Murray nettoyer ça.

— William, je vais te foutre mon poing dans la gueule, râlé-je uniquement parce qu'il a encore raison.

— Pour ça faudrait que tu y arrives, ricane-t-il.

— Tu fais peut-être deux ou trois têtes de plus que moi, mais n'oublie pas qu'il y a des branches partout ici. Surveille tes arrières.

— T'as l'air d'aller mieux, s'amuse-t-il.

— Arrête de rire, on est en pleine forêt et on va sûrement y crever.

— C'est inutile de se lamenter dans ce cas, autant ne pas pleurer pour nos dernières heures de vie.

— Il va bientôt faire nuit, fais-je remarquer en observant le soleil décliner.

— C'est vrai, on va se remettre en route, faut retrouver les autres.

— Et si on ne les retrouve pas ?

— On va bien finir par retomber sur le van.

— Dans trois jours, soupiré-je.

— Tellement pessimiste. Allez, bouge-toi.

Je me relève en soupirant, je n'avais pas imaginer ce voyage ainsi. J'avais plutôt envisagé de rester dans ma chambre d'hôtel et d'en sortir uniquement quand il était l'heure pour moi de travailler. J'en viens à me demander si je verrai un jour la couleur des murs du logis. C'est pas gagné.

— On a de quoi manger ? demandé-je après une petite demi-heure de marche.

Mon estomac commence à réclamer, je ne me nourris définitivement pas suffisamment.

— Je ne sais pas, enfin si dans mon sac j'ai de l'eau et des casse-croûte dinde et salade. Tu n'as rien toi ?

Non. J'ai oublié d'emporter avec moi de quoi grignoter sur le trajet. J'étais trop préoccupé par l'idée de laisser Lolita que je n'ai encore pas pensé à moi. C'était sûrement la pire idée qui soit.

— Des chips, bafouillé-je, rien d'autre.

Du coin de l'œil, je le vois froncer les sourcils. Il se tourne vers moi et tente un sourire rassurant.

— On partagera dans ce cas, lâche-t-il.

— Non. Si on reste coincé là pendant plusieurs jours, il faudra que tu manges et tu regretteras vite de m'avoir donné une part.

— Si ça arrive, j'attendrai que tu dormes pour t'étouffer et te faire chauffer au feu de camp, s'amuse-t-il.

— Tu fais dans le cannibalisme ?

Le silence des agneaux a toujours été un de mes films préférés, m'informe-t-il.

— Je vois. Tu voues un culte pour Hannibal Lecter ?

— Je l'appelle papa.

Je refoule un éclat de rire. Je ne désire pas qu'il croie que je m'amuse à copiner avec lui. Ce type est un crétin qui m'a donné l'impression d'être cancéreux pendant trois jours. Je le méprise.

— T'es glauque, Marx.

— C'est toi qui dis ça, DeNil ?

Intérieurement je souris, pourtant je le tue du regard. En réalité ce n'est peut-être pas une mauvaise idée de sortir de telles conneries. Ça me fait penser à autre chose, c'est probablement pour cette raison qu'il plaisante avec moi. Il a sûrement peur que je fasse une crise de nerfs. Je tâte la poche de mon blouson, mes médicaments sont là. Normalement je ne risque rien. Je vais en avoir besoin, je crois que nous ne sommes pas près de rentrer chez nous.

— On marche depuis combien de temps, tu crois ?

Il lève la tête, observe le ciel entre les branches puis hausse les épaules avant de répondre :

— Un moment déjà, on devrait peut-être se trouver un endroit pour dormir.

— T'as un pète au casque, mon pauvre, si tu crois que je vais dormir ici. On va se faire bouffer par une meute de loups.

— Il y a sûrement pire comme mort, tente-t-il pour détendre l'atmosphère.

— Ouais, être bouffé par William Marx.

Il pouffe de rire et avance de plusieurs pas devant moi. Je me traîne. J'en ai marre, j'ai froid et veux rentrer chez moi, en plus j'ai la dalle. Finalement c'est peut-être moi qui vais le cuisiner.

— T'as pas à t'inquiéter pour cette nuit, j'ai de quoi pour l'instant.

Connard.

Il continue d'accélérer, un peu trop à mon goût. J'ai du mal à suivre le pas et j'ai bien l'impression qu'il le fait exprès.

— Tu peux m'attendre, pauvre tâche, crié-je. Si tu me sèmes t'auras plus personne à grignoter.

J'essaie de plaisanter pour dédramatiser la situation, mais au fond j'ai bien conscience qu'elle est vraiment pourrie. Dans quoi je me suis embarqué ? Je ne suis pas fait pour le camping, d'ailleurs je n'ai même jamais campé de ma vie sauf si le jardin de ma grand-mère à huit ans compte. Je ne suis pas George de la jungle, moi.

— Personne ne va se nourrir de personne, et je compte bien retrouver les autres, répond-il en ralentissant enfin.

— On nous retrouvera jamais, tu vois bien où on est ? On ne sait même pas retrouver le bus, soupiré-je.

— On aurait dû marquer les arbres, lâche-t-il alors que j'arrive enfin à sa hauteur.

— On n'est pas dans un film, c'est la vraie vie, là. Les trucs comme ça, ça fonctionne jamais.

— T'es désespérant.

— Dans à peine une heure on ne verra plus rien du tout, le soleil se couche très rapidement.

— C'est pour cette raison qu'on devrait s'arrêter et repartir au lever du jour.

— Tu proposes quoi ?

— J'en sais rien, je suis pas Bear Grylls, soupire-t-il.

— C'est qui celui-là ?

— Sérieusement ?

— Euh... ouais.

— Tu ne connais pas Seul face à la nature, man vs wild ?

— Non, j'ai aucune idée de ce qu'est ton truc.

— Je te jure que si on sort d'ici vivant, je te fous devant la télé pendant des heures.

— Pour ça faudrait que j'apprécie ta compagnie, et je pense que t'as bien compris que ce n'est pas le cas.

J'évite volontairement de lui dire que nous n'avons pas de télévision à la maison, on n'a pas les moyens pour ça. Il trouverait sûrement bizarre qu'un étudiant en journalisme ne suive pas les journaux télévisés.

— Je peux aussi te laisser là et me débrouiller tout seul, tu me ralentis de toute façon, râle-t-il.

— Si tu fais ça, je te retrouverai et te tuerai.

— Ferme-la et avance, avant qu'il fasse nuit et qu'on soit contraint de dormir sur ce tapis d'orties.

— On dormira de toute façon au milieu de la forêt, je vois pas ce qui peut être pire.

— Rester avec toi, dit-il en se frappant le front d'une façon désespérée.

Je continue d'avancer, dans la pénombre en évitant soigneusement les chutes accidentelles, par contre j'aimerais bien pousser ce footballeur pour qu'il se brise une cheville mais si je le fais, je serai à coup sûr perdant. Je vais attendre patiemment qu'on nous retrouve avant de provoquer un malencontreux incident. Je ne sais pas où il compte s'arrêter, tout ici est pareil. Je songe rapidement que j'aurais mieux fait de rester avec les autres, au moins j'aurais pu dormir dans le van, puis immédiatement le corps du chauffeur me revient à l'esprit. C'est peut-être plus facile de supporter ce crétin à ballon plutôt qu'un mort gisant ? C'est probablement kif-kif au final. Dans tous les cas ça craint et je vais sûrement finir comme le conducteur de bus.

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