Chapitre 3 :

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Will Marx :

J'ignore si je dors, en tout cas j'espère rêver car ce qui défile sous mes yeux est un réel cauchemar. Mon cœur palpite, mes yeux n'ont pas le temps de fixer quoique ce soit, tout va beaucoup trop vite. Les branches d'arbres s'abattent sur le véhicule, un bruit monstrueux se fait entendre. J'essaie de toutes mes forces de me retenir à la poignée située sous mon siège. Ma tête se balance dans tous les sens et ma nuque me fait mal.

Tout s'arrête après un énorme choc, l'autocar ne bouge plus mais mes oreilles bourdonnent encore.

Je n'ai pas compris ce qu'il vient de se passer, j'étais tranquillement en train de m'endormir, le regard fixé sur la route déserte. Puis là, le drame. Le véhicule s'est déporté, brisant les barrières de sécurité. J'ai vu la mort, ressenti mon cœur faire une embardée. La chute a été terrible.

Je me pince le poignet pour vérifier que je suis vivant. Aïe... si ça fait mal c'est que je le suis.

— Tout le monde va bien ? hurle le coach Murray d'une voix étranglée par la peur.

J'aimerais répondre mais mon corps est en état de choc, complètement paralysé. Mes yeux voyagent, j'aperçois Judas dans mon champs de vision, il a les poings serrés et les paupières closes. Il saigne. Je ne peux situer l'endroit mais des traînées rougeâtres coulent sur son visage.

— Faut qu'on sorte d'ici, crie Brandon, le surveillant du lycée assigné à nous prendre en charge pendant le voyage.

Je tente de bouger les doigts, puis les bras. Une douleur lancinante me pénètre l'épaule, m'oblige à stopper tout mouvement.

— Putain, mais c'était quoi ce bordel ? s'écrie une voix dans mon dos.

Mes tempes battent violemment, ma vision met du temps à retrouver sa netteté. Lentement, je me retourne, vois enfin le type installé sur le siège derrière le mien. Un blond à la tignasse en pagaille et aux iris bruns, complètement apeuré, les yeux presque exorbités. Il saigne, lui aussi. Je crois que c'est sa lèvre. Les gouttes coulent de sa bouche et salissent son menton.

Du coin de l'oeil, je distingue Murray essayer de sortir de son siège en jouant des coudes. Il se relève difficilement, le visage déformé par la douleur. Il claudique vers Judas, étant celui qui se trouve le plus proche de lui. Après l'avoir rapidement examiné, il défait sa ceinture.

— Sors de là gamin, lui ordonne-t-il, les autres vont suivre.

Le gardien s'exécute sans attendre alors qu'il frotte le sang dégoulinant de son visage sur la manche de son blouson. Je gigote pour me défaire de mon siège, attrape mon sac et me redresse difficilement.

— Ça va, je peux sortir, dis-je à l'entraîneur alors qu'il s'approche de moi. Occupez-vous du blondinet.

Ce dernier s'agite fortement, tape du poing contre mon assise désormais vide.

— Ma putain de ceinture est bloquée. Faut que je sorte d'ici, je suis claustrophobe, s'énerve-t-il. Bordel bougez-vous le cul.


Pas très sympa ce gars là, mais je peux le comprendre. Je crois qu'on a tous frôlé la mort, et nous ne sommes pas encore tirés d'affaire.

— Le conducteur est inconscient, panique Brandon. Will, aide-moi à le dégager de là.

Ma tête tourne légèrement, je dois me concentrer pour ne pas chuter. Avec le peu de force qu'il nous reste, on extrait le corps inerte de derrière le volant.

— C'est à cause de lui qu'on a tous failli crever, hurle le blond encore coincé. Laissez-le et putain de merde, sortez-moi de là.

Je l'ignore, il me gave. On est tous dans la même situation, faut qu'il arrête de hurler comme ça. Même s'il a peur ce n'est pas une raison pour laisser quelqu'un tomber. De plus, Murray est déjà affairé à le secourir. J'attrape les bras du cinquantenaire alors que Brandon tient ses chevilles, difficilement nous le faisons glisser jusqu'à l'extérieur. Une fois la tâche terminée, je me laisse tomber contre le sol. Mon épaule me fait souffrir et bordel, ma tête ne veut pas se calmer. Que vient-il de se passer ? J'ignore complètement où nous sommes tombés.

Des arbres. Il n'y a que ça autour de nous. Une étendue d'arbres verdoyants à pertes de vue. De l'herbe, des fleurs, des oiseaux qui chantent, des bestioles qui volent et des arbres encore et encore. Aucune route à proximité, pas même le bruit lointain de la civilisation. C'est un cauchemar. Une horreur.

— Sans déconner, c'est quoi cette merde ? On est où, là ? s'énerve encore l'autre abruti, une fois enfin libre de sa ceinture et debout devant le car au moteur fumant et à la carrosserie cabossée.

— Je te préviens, sale gosse, la prochaine fois que tu me parles comme ça, tu te prends un blâme ! ronchonne l'entraîneur en sortant à son tour.

— Ah ouais ? Et vous allez faire comment pour me coller un putain de blâme ? On est à six heures du bahut, au milieu de nulle part et sans aucun moyen de transport qui roule.

— Ferme ta gueule, crache Judas en avançant dangereusement vers le blond. On n'a pas besoin de tes jérémiades.

— Tu vas faire quoi, Bloom ? Regarde ta tronche, tu pisses le sang.

— Je vais t'éclater la tienne, DeNil. Ça sera réglé, tu pourras plus l'ouvrir, vocifère mon pote.

DeN... quoi ? Sérieusement, ce type est un DeNil ? Dans d'autres circonstances, je me serais probablement intéressé à lui et sa famille, mais là, il faut que j'essaie de calmer le jeu. Je me mets entre les deux, une main à plat contre le torse des duellistes et les repousse légèrement.

— C'est pas le moment pour vos conneries, lâché-je avec force. On a d'autres problèmes.

Judas recule d'un pas en jurant alors que DeNil le fusille du regard sans se démonter.

— Faut essayer de réveiller le conducteur et trouver un moyen de sortir d'ici, informe Murray.

Brandon, se penche vers l'inconscient, tâte rapidement son cou puis fronce les sourcils. Il attrape ensuite son poignet et recommence la même manœuvre. Son visage blanchit, ses sourcils se froncent davantage. Il se relève en titubant et d'une voix éteinte, il lâche :

— Il ne se réveillera pas, ce type est mort.

Bordel... j'y crois pas.

— Eh merde, siffle Judas en se laissant tomber contre un arbre.

— C'est une blague ? Je suis en plein cauchemar ? Vous vous foutez de ma gueule ? énumère le blond qui tourne désormais en rond, ses mains dans les cheveux.

— On fait quoi ? soufflé-je, complètement perdu.

— On va commencer par se calmer, et ensuite on réfléchira. Will, viens par là, ton épaule est démise, m'ordonne le coach.

Je comprends mieux d'où vient la douleur. Murray me dit de m'asseoir sur les marches du bus, je lui obéis sans dire un mot. Il se positionne près de moi, une de ses mains se pose sur mon coude, l'autre attrape mon épaule.

— Serre les dents, ça va faire mal.

Je m'exécute. En un mouvement brusque mon os est replacé dans son axe alors que je grogne de douleur.

Seigneur, c'est affreux.

— Ça devrait aller mieux maintenant, essaie de bouger.

Précautionneusement je lève le bras, les yeux fermés, persuadé d'avoir mal. Pourtant rien ne se passe, plus aucune gêne ne se fait sentir.

— Merci coach, soufflé-je en bougeant encore le bras pour être certain d'aller bien.

— Bon, maintenant à ton tour, Bloom. On va désinfecter ta vilaine plaie.

L'entraîneur remonte dans le bus en boitant, en ressort deux minutes plus tard les bras chargés de sacs. Il dépose tout au sol alors que le blond se précipite déjà sur son bagage qu'il fouille hâtivement. Il en sort un flacon de médicaments et en gobe deux sans prendre la peine d'avaler une goutte d'eau. Je le fixe un instant, puis détourne mon attention quand il relève la tête.

Parmi tout ce bordel se trouve une trousse de secours. Murray soigne Judas, bande le genou de Brandon puis s'approche de DeNil avec des compresses et une bouteille d'alcool à 90°.

— À toi, gamin, faut décrasser ta lèvre.

— Ne me touchez pas, peste-t-il. J'ai pas besoin de votre merde.

Ce type mérite des grandes claques pour lui apprendre la politesse. Une réelle plaie celui-là.

— Comme tu voudras, mais je ne veux pas t'entendre te plaindre.

Le blond lève les yeux au ciel en s'éloignant de nous de quelques pas.

— On va essayer d'appeler les secours. Sortez tous vos portables, demande le sexagénaire qui porte la casquette du lycée.

— Vous auriez dû penser à ça avant de jouer au infirmier, grogne DeNil toujours en retrait.

Je fouille dans ma poche, en sors mon portable. L'écran est fêlé mais il fonctionne, pourtant un problème s'impose. Je n'ai aucun signal.

— Ça capte pas, déclaré-je.

— Idem pour moi.

— Et le mien est mort, se lamente Judas.

Instinctivement on se retourne tous vers le seul qui n'a pas parlé. DeNil nous regarde tour à tour, un sourcil haussé.

— Arrêtez de me reluquer, j'ai pas de téléphone, crache-t-il.

— Qui de nos jours n'en a pas ? s'étonne mon ami en jetant le sien sur le sol.

— Qu'est-ce que ça peut te foutre, Barthélemy¹ ?

— Je m'appelle Judas.

— Ouais, t'es le pire toi, un traître.

— Je vais lui refaire la face à celui-là.

— Ça suffit, s'énerve Murray. On arrivera à rien si vous vous comportez comme ça.

Je ne sais plus où donner de la tête. La situation est irréaliste. Normalement nous aurions dû arriver à l'hôtel dans deux ou trois heures. Au lieu de ça on est au milieu d'une forêt qui semble immense, sans moyen de prévenir qui que ce soit et sans savoir comment sortir de là. Je n'en reviens pas, j'ai envie de hurler pour que quelqu'un nous entende mais je suis certain que mes efforts s'avèreraient vains. Nous sommes perdu au milieu de la flore et si on ne se bouge pas rapidement nos forces nous quitteront rapidement.

— Je vais marcher pour essayer de trouver de l'aide, déclaré-je.

Je préfère encore tenter ma chance plutôt qu'attendre patiemment que quelqu'un nous trouve, ou pas d'ailleurs.

— T'es sûr ? demande le coach. C'est un peu risqué.

— C'est la seule solution, peut-être qu'il y a un garde forestier dans le coin.

Il réfléchit deux minutes, semble peser le pour et le contre, puis soupire en hochant la tête. Il vient probablement de réaliser que c'est notre seul espoir.

— Reviens vite dans ce cas, et prends garde à ne pas te perdre.

— Je viens avec toi, s'exclame Judas.

— Hors de question, le recadre immédiatement Murray. T'as pris un gros choc sur la tête, c'est pas la meilleure des idées.

Bloom souffle bruyamment puis reprend sa place contre un arbre avant de se laisser glisser jusqu'au sol. Je récupère mon sac, prêt à m'aventurer dans cette étendue de troncs feuillus.

— Je te suis, lâche le blondinet.

Je le dévisage un instant, pas certain de vouloir supporter sa présence.

— T'en es certain ?

— Je préfère dégager de là plutôt qu'attendre que tu reviennes avec un moyen de sortir d'ici. Il y a un foutu cadavre qui gît sur le sol et personne semble s'en soucier. Je ne reste pas là.

Je hausse les épaules. S'il veut venir qu'il le fasse, au moins si je meurs attaqué par un ours je ne serai pas seul. On sera probablement deux à périr, mais j'ai la fâcheuse impression que si on n'essaie pas de chercher quelque chose, on mourra tous ici. S'il vient, je pourrai discuter en marchant, ça m'évitera probablement de devenir fou.

— Revenez avant la tombée de la nuit et faites attention, crie Murray alors que nous nous éloignons.

Nous avançons au milieu de toute cette végétation, évitant les branches qui trainent autour de nous. Il ne fait pas très chaud, le soleil est caché par la verdure des arbres. DeNil traîne son sac dans son dos en râlant toutes les trente secondes. Finalement j'aurais peut-être mieux fait de partir seul. Il me prend déjà la tête alors que ça fait à peine cinq minutes que nous marchons. On peut encore apercevoir le van et nos compères qui nous observent.

Je n'arrive pas à réaliser ce qu'il se passe, c'est glauque comme situation. En plus d'être perdus, on se retrouve avec un mort sur les bras. Je songe à la famille du conducteur, ses proches qui ne le reverront jamais, qui ne pourront peut-être jamais retrouver son corps et je me dis qu'on finira sûrement comme lui. Morts et disparus.

Je jette un coup d'œil vers le blondinet qui a laissé entre nous un espace d'au moins deux mètres. Il est étrange. Ses cheveux sont épais et clairs, coiffés négligemment. Je ne sais pas si c'est volontaire ou si c'est le remue-ménage du car qui y a mis la pagaille. Ses sourcils sont froncés depuis que j'ai posé les yeux sur lui et son regard marron semble noir tellement il est tendu et crispé. Sa bouche est toute gonflée. Je la zieute parfois en me demandant si c'est naturel ou si c'est la plaie qui enfle les contours.

— T'aurais dû laisser Murray désinfecter ta lèvre, c'est pas beau.

Il grogne, avance plus vite, me dépasse et râle encore.

— En quoi ça te regarde ?

— Ça va s'infecter.

— C'est mon problème, pas le tien.

— En effet, mais si on est coincé ici pour un moment je préfère ne pas t'entendre geindre.

— Si quelqu'un geint, ce ne sera sûrement pas moi, crache-t-il.

— Qui alors ?

— Ton connard de Judas Bloom.

— Pourquoi tu ne l'aimes pas ?

— C'est pas le seul, je ne t'aime pas non plus.

Au moins il a le mérite d'être franc, il ne tergiverse pas. Je ne sais pas si c'est une qualité ou pas. Je vais peut-être oublier l'idée de faire ami-ami avec ce type. J'aurais sûrement plus de conversation avec un caillou. Je continue d'avancer, sans vraiment savoir où je vais. De temps en temps il me dépasse, puis par moments il se traine derrière moi. Il ne parle pas, continue de râler quand son pied se pose sur un truc qui craque sous sa chaussure élimée. J'observe mon téléphone toutes les trente secondes dans l'espoir qu'une barre de réseau s'affiche, mais elle n'apparait jamais.

J'espère que les autres vont bien et que les secours nous trouverons vite. J'observe DeNil à la dérobée, je n'ai définitivement pas le meilleur binôme. Sa tronche est tellement tirée qu'on pourrait croire qu'elle est accrochée à des ficelles guidées par un marionnettiste. Il pense probablement qu'on va mourir, au fond je suis d'accord avec lui. C'est sûrement ce qui va se passer.

¹ Référence aux douze Apôtres, disciples choisis par Jésus de Nazareth dont Judas et Barthélemy font partis.

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