Chapitre 1 :

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Will Marx :

C'est la tête en vrac et le corps lourd que je me laisse tomber sur mon lit, ventre contre le matelas. La soirée a été mouvementée, alcoolisée et seulement des bribes me reviennent à l'esprit. C'est ainsi après chaque victoire, des verres qui défilent et des rires qui fusent dans l'immense salon de mon meilleur ami. J'ignore comment je suis parvenu à rentrer chez moi, ni si je me suis débrouillé seul pour atteindre ma chambre mais y être est sûrement la meilleure chose qui soit dans l'immédiat. J'ai besoin de plusieurs heures de sommeil pour effacer cette gueule de bois. Je me dois d'être en forme, la journée de demain est très importante.

Mes paupières se ferment doucement, la fatigue me rattrape et m'enlace dans un cocon soyeux. C'est en souriant comme un crétin heureux que je frotte ma joue contre l'oreiller.

Un poids creuse le matelas, mes sourcils se froncent dans mon demi-sommeil. C'est sûrement Speedy, mon Rottweiler qui n'a pas trouvé meilleure idée que de s'étendre sur mon lit plutôt que dans l'énorme panier qui lui est destiné. C'est ce qu'il fait chaque fois que je rentre de soirée, sauf que la plupart du temps ça ne me réveille pas, c'est au matin que je l'aperçois. Sans ouvrir les yeux, je tâte la couverture à la recherche de ma grosse boule de poils mais mes doigts ne le trouvent pas, à la place c'est une jambe qu'ils touchent. Un léger rire résonne et je comprends à qui appartient ce membre lisse à la peau douce. Marianna.

Que fait-elle ici en pleine nuit ?

— Réveille toi, bébé, une longue journée t'attend, susurre-t-elle en approchant son corps du mien.

Je grogne, prouvant mon désaccord. C'est hors de question que je quitte ce lit maintenant, je suis certain que ça fait à peine dix minutes que j'y suis.

— Allez, Willy.

— Laisse-moi, marmonné-je en me retournant sur le dos.

Ses doigts se perdent dans mes cheveux, tirent doucement sur mes mèches et ses lèvres froides viennent se poser sur ma joue.

— Laisse-moi dormir, Marianna.

— Il est 6h45, soupire-t-elle en s'éloignant.

Ah, merde !

J'ouvre enfin les yeux, alors que je me redresse sur le matelas à la vitesse de l'éclair. Ma tête vacille, je retiens le haut-le-cœur qui me secoue et essaie tant bien que mal d'habituer ma vision à la pénombre qui se diffuse dans ma chambre. Mon regard cherche le réveil, comment peut-il déjà être si tard ? Ce truc aurait dû sonner il y a quinze minutes. Pourquoi ne l'a-t-til pas fait ? Peut-être ne l'ai-je tout simplement pas entendu.

Il faut voir le bon côté des choses, la présence de Marianna m'a fait dessoûler un minimum, mais j'ai tout de même l'impression de ne pas avoir dormi. Suis-je rentré si tard de chez Pietro ? J'aurais dû regarder l'heure avant de me laisser crouler comme un déchet sur le lit.

— Comment as-tu passé ta soirée ? s'informe ma petite amie.

Je jette un rapide coup d'œil vers elle, ses cheveux blonds sont relevés en un chignon serré qui lui donne cet air sévère qui suit parfaitement avec son caractère un tantinet tyrannique. Elle fouille dans son sac jusqu'à en sortir un carnet ornementé de strass.

— J'étais avec les gars, bougonné-je.

— Tu as bu combien de litres de bière ?

— J'ai arrêté de compter à la cinquième tournée. Comment t'es entrée ?

— Ta mère m'a gentiment ouvert la porte. Tu es rentré seulement une demi-heure avant que j'arrive, en plus tu ne t'es même pas aperçu que tes parents prenaient le petit-déjeuner au salon.

Ah oui, quand même...

— Je t'ai fait un petit emploi du temps pour que tu sois organisé et que tu ne te mettes pas en retard. Je suis certaine que le reste de l'équipe est dans le même état que toi, mais eux ne m'ont pas pour tout gérer à leur place.

— Je n'ai pas besoin de ça, Marianna. Je suis un grand garçon, fais-je remarquer en la voyant ouvrir son carnet pour relire ses notes.

— Ah oui, je vois ça. Tu t'es mis minable la veille de votre départ pour les qualifications.

— Je rattraperai mon sommeil dans le car.

— Je ne suis pas sûre que le coach Murray soit d'accord.

— Il dormira sûrement avant nous, dis-je nonchalamment en haussant les épaules.

Ma bouche est pâteuse, je n'aime pas ça. J'ai besoin de boire, au minimum un litre d'eau pour calmer le tiraillement qu'a causé l'alcool le long de mon œsophage. Je me frotte vivement le visage pour remettre de l'ordre dans mes pensées brumeuses et me lève en titubant.

— Je vais prendre une douche.

— Tu dois manger avant.

Un frisson de dégoût me parcourt. Si j'avale ne serait-ce qu'une miette de pain, mon estomac hurlera son désaccord.

— Même pas en rêve.

Je laisse ma copine en plan sur mon lit et enjambe les quelques mètres qui me séparent de la salle de bains. Je me déshabille à la va-vite puis entre dans l'immense cabine de douche sans avoir fait chauffer l'eau. Le jet froid me fait reprendre mes esprits plus rapidement. Après une vingtaine de minutes, j'en sors complètement dessoûlé mais toujours aussi épuisé. J'aimerais retrouver ma couverture et mon oreiller, remettre à plus tard les préparations qui m'attendent mais ce n'est pas possible. Mon père ferait une crise et Marianna hurlerait si fort de sa voix aigüe que la seule idée qui me viendrait à l'esprit est un suicide de dernière minute.

D'un pas trainant je rejoins le sejour, y retrouve sans surprise mes parents encore attablés ainsi que Marianna qui me jette un regard glacial.

— Tu es en retard sur ton planning, tu as mis trop de temps à la salle de bains, se plaint-elle quand je m'installe avec eux.

Je l'ignore, préfèrant ne pas répondre au risque que mes paroles dépassent ma pensée. Elle sait que lorsque je suis fatigué, il vaut mieux ne pas me contrarier.

— Maman, tu peux me servir un café, s'il te plaît ?

— Tu peux aussi te débrouiller, tonne la voix grave de mon père. Non mais regarde-toi, tu as dix heures de route devant toi et un match qui t'attend dans trois jours. Tu n'aurais pas pu remettre ta nuit de beuverie à plus tard ?

— Pas de panique, papa. Tu me connais, je suis toujours un as sur le terrain, lâché-je avec un clin d'œil complice.

— Tu étais exactement comme lui à son âge, s'amuse ma mère qui dépose la tasse fumante sous mon nez.

— Kristen, voyons, j'étais encore pire, s'exclame-t-il en riant. Mon père devenait fou.

— C'était il y a genre... une éternité, le taquiné-je.

— Nous ne sommes pas si vieux, s'esclaffe ma mère. Fils ingrat.

Je ricane, puis lance un coup d'œil à Marianna qui tire une tête de dix mètres de long. Elle n'apprécie pas quand je ne suis pas à la lettre ses instructions. Après toutes ces années, elle me connait et devrait savoir que je n'en fais toujours qu'à ma tête. Je ne sais pas pourquoi elle s'évertue à faire toutes ces listes.

— Willy, hurle Jude en courant vers moi.

Je le rattrape avant qu'il ne s'écrase et le pose sur mes genoux. Ce gosse est trop énergique, tellement qu'il n'aurait jamais réussi à s'arrêter avant de se cogner contre le bois de la table. Il gigote, se met debout sur mes cuisses et enroule ses petits bras autour de mon cou.

— Je ne veux pas que tu t'en ailles, chouine-t-il en reniflant.

— Je ne pars que quatre jours, Jude. Ça passera très vite, le rassuré-je en ébouriffant ses cheveux indomptables couleur de jais.

— Personne ne me lira mon histoire le soir, boude-t-il de façon adorable.

Mon petit frère est vraiment la personne que j'aime le plus sur cette terre. Bien qu'il soit collant et parfois un peu casse-pieds, j'adore passer du temps avec lui.

— Je suis convaincu que si tu demandes à maman de le faire, elle s'exécutera avec grand plaisir.

— Mais maman ne sait pas faire la voix du pirate comme toi.

— Peut-être, intervient Kristen en ricanant, mais moi je fais la fée Clochette mieux que personne.

— J'aime pas Clochette, râle-t-il. Je préfère le capitaine Crochet.

Ce petit m'amuse, cela fait presque trois mois que je lui lis Peter Pan tous les soirs et il n'a toujours pas compris que Captain Hook est le méchant de l'histoire. Enfin, aucun personnage n'est réellement gentil, quand on y pense. Le héros a quand même kidnappé trois mioches dans leur chambre d'enfant.

— Allez, petit pirate, c'est l'heure du bol de lait et des céréales, rétorque mon père en attrapant Jude pour l'installer à table. Quant à toi, Will, va préparer ton sac de voyage.

— À vos ordres chef, m'exclamé-je en faisant un signe militaire.

Je quitte le salon d'un pas trainant pour commencer mes bagages. Ces quatre prochains jours vont être décisifs pour mon équipe et moi. Si on foire nos matchs, on peut faire une croix sur notre bourse d'études pour la meilleure université de l'Illinois. Je ne vis que pour ça depuis que j'ai appris à taper dans un ballon, approximativement à l'âge de trois ans. Cette année est ma dernière en tant que lycéen. J'étudie dans un établissement spécialisé en sports et journalisme. Marianna est dans l'équipe de natation, moi dans celle de football, mais il y a aussi le hockey, le lacrosse, la gymnastique, la danse et le basket-ball. À côté de ça, il y a des classes de journalistes, sportifs uniquement, des apprentis commentateurs, chroniqueurs et j'en passe. Tout un établissement consacré à l'univers et la diversité du sport.

J'ouvre mon sac et fourre à la va-vite des piles de vêtements, ma trousse de toilette et mon kit de survie personnel : oreillettes, iPad, repose tête de voyage et un gros paquet de Dragibus.

— Tu ne devrais pas te gaver de ces cochonneries, peste ma petite amie.

Elle a en horreur le fait que j'avale ces petits bonbons colorés par poignées.

— Je suis déjà un régime plus que barbant, laisse-moi au moins profiter de ça, soupiré-je.

— C'est bourré de sucre.

— Ça maintient mon taux de glycémie.

— Tu vas finir diabétique, râle-t-elle.

— N'importe quoi. Tu es toujours dans l'excès, c'est dingue.

— Je m'inquiète pour ta santé.

— Je vais très bien, Marianna, ce ne sont pas quelques sucreries qui vont me tuer.

— À d'autres, bougonne-t-elle.

Je lève les yeux au ciel, silencieux. Si je réponds elle trouvera toujours quelque chose à redire et ce débat ne s'arrêtera jamais. C'est la même histoire toutes les deux semaines, une bataille que l'on mène inlassablement.

Après ça, une petite séance de sport s'impose. Je fais quelques aller-retours dans le jardin, une heure de musculation dans la salle de sport que mon père a aménagée au sous-sol et je termine par des séries de pompes.

— Pietro est encore en retard, se plaint mon paternel quand j'entre dans la cuisine.

Je me sers un verre d'eau et le bois d'une traite.

— C'est dans sa nature, ce gars ne sera jamais à l'heure une seule fois dans sa vie.

— Surtout s'il était dans le même état que toi cette nuit.

— Je ne sais pas, je ne me souviens pas vraiment de ce qu'il s'est passé hier. Ça ne m'étonnerait pas qu'il se soit retrouvé deux ou trois fois plus défoncé que moi.

— S'il n'est pas là dans dix minutes, on part sans lui, continue-t-il de râler.

À cet instant la porte d'entrée s'ouvre et le visage basané et rieur de Pietro apparaît dans le vestibule.

— Pas de panique m'sieur Marx, je suis là. Je vous ai entendu pester de l'extérieur, s'exclame-t-il hilare.

— Un jour, je te botterai le cul, le menace mon père en quittant la cuisine, dépité.

J'observe mon meilleur ami aux traits fatigués, qui malgré ça ne se défait pas de son air amusé qui ne le quitte jamais.

— T'as une sale gueule, vieux, ne puis-je m'empêcher de constater.

— J'ai dormi trois heures, sois indulgent, déclare-t-il en ouvrant le frigo pour se servir un verre de lait.

Si ce n'était pas lui, j'aurais sûrement protesté mais Pietro est ici comme chez lui. Ça fait tellement d'années que l'on se côtoie qu'il fait partie de la famille. C'est le seul de l'équipe qui me connaît réellement. Je crois qu'on est comme deux frères jumeaux séparés à la naissance. Nous sommes nés à quelques heures d'intervalles. Ma mère a accouché le 7 avril à 22h30 et la sienne le 8 à 3h00. Elles se sont rencontrées à la maternité et sont devenues très amies. Autant dire que Pietro et moi ne nous sommes jamais quittés depuis.

— C'est toujours deux heures et trente minutes de plus que moi.

— Ce n'est pas comparable, personne n'égale Will Marx, s'amuse-t-il en se faisant tourner sur le tabouret. Marianna n'est pas là ?

Je soupire et pose mes coudes sur le bar pour soutenir ma tête.

— Si, elle est sûrement avec ma mère à faire je ne sais quoi.

— C'est quoi cette tête ? demande-t-il immédiatement quand il aperçoit mes sourcils se baisser.

— Elle m'étouffe. Parfois j'aimerais juste respirer et être tranquille.

— Je te comprends, c'est vraiment affreux de sortir avec la meuf la mieux gaulée de l'équipe de natation.

— C'est pas drôle, crétin. Elle est envahissante, enfin, elle l'a toujours été mais c'est pire depuis quelques mois.

— Tente d'en discuter avec elle.

— Mouais, je vais déjà profiter de ces quatre jours loin d'ici et après on verra.

Il me jette un regard compatissant alors que mon père débarque, suivi de ma mère et Marianna.

— Il est temps d'y aller, les jeunes.

Comme à son habitude, Kristen reste à la maison pour que ma petite amie prenne sa place. Par moments, j'aimerais lui dire de se barrer pour que ma mère puisse nous suivre. J'adore Marianna, vraiment. Elle compte beaucoup pour moi mais trop, c'est trop.

Jude saute immédiatement dans mes bras alors que nous quittons la maison. J'embrasse sa joue et l'installe convenablement sur son siège enfant dans la grosse berline de Karl, notre père. Ensuite, j'enlace fort ma mère et lui promets de téléphoner dès notre arrivée à l'hôtel. J'ai toujours l'impression de quitter la maison pour des mois quand je pars de cette façon. Pietro embrasse la joue de Kristen, ses yeux sombres l'admirent avec adoration. Avant de grimper à l'arrière de la voiture, il pivote une dernière fois dans sa direction.

— À bientôt m'dame Marx, j'ai hâte de vous revoir, lâche-t-il en riant.

En passant près de lui, mon père lui assène une tape dernière la tête, sur son crâne dépourvu de cheveux qu'il rase à chaque millimètre qui repousse et lui grogne de fermer, je cite : sa grande bouche pleine de dents et de conneries. J'éclate de rire, amusé par cette scène que je connais par cœur. Mon meilleur ami est raide dingue de ma mère et cela depuis des années.

Une fois derrière le volant, mon paternel démarre en faisant criser les pneus. Nous voilà en route pour rejoindre l'équipe et tous les autres sur le parking du lycée, partis pour de longues heures d'entraînements intensifs et d'un match décisif pour notre avenir.

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