Prologue

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Angelo DeNil :

03h37

Mes sanglots pleuvent comme s'épanchent les perles de sang sur mes avant-bras mutilés. L'arme du crime est posée sur mes draps souillés, une lame de rasoir tordue que je n'ai pas changée depuis des mois. Elle brille sous la pâle lueur de la lampe de chevet, m'appelle encore alors que ma peau est déjà bien amochée. Le silence règne dans la petite maison délabrée, seuls mes hoquets de détresse s'élèvent en échos entre les quatre murs de ma chambre. Lolita doit probablement dormir depuis longtemps, maman est plongée dans un profond coma causé par ses nombreux excès tandis que je me perds dans ma douleur. Cette fatigue émotionnelle qui malmène mon esprit malade, ce ras-le-bol global qui enserre mon cœur et rend folle chacune de ses pulsations.

L'envie de tirer ma révérence me titille les nerfs, me brûle les doigts mais une partie de moi résiste. Comment pourrais-je abandonner ma si jolie Loli ? Comment pourrais-je la laisser seule face aux addictions incontrôlables de notre mère désemparée ?

Dans l'obscurité, mon Ombre s'éveille, elle malmène mon palpitant enragé, me blesse jusqu'à l'âme.

De légers coups frappés contre la porte me font sortir de ma torpeur. Dans un geste empressé, je descends les manches de mon sweat sur mes bras ensanglantés alors que ma petite sœur entre dans la pièce. Tête baissée, elle approche de mon lit en triturant le bas de son tee-shirt. Je sais parfaitement ce qu'elle fait là, elle s'est sûrement réveillée en sursaut après un cauchemar me mettant en scènes dans mes mauvais jours, ou alors ceux de maman qui la rendent un peu plus triste à chaque fois. Bien qu'elle fasse en sorte de toujours garder la tête haute, je sais pertinemment que nous avoir comme famille est un réel calvaire pour elle.

— Je te pensais endormie, murmuré-je alors qu'elle se glisse sous la couverture tachée.

Elle reste silencieuse un moment, observe la lame qui s'est échouée près d'elle lorsqu'elle s'est installée sur le matelas puis la prend et tend le bras avant de la remettre à sa place, dans le tiroir de la table de chevet. Elle ne fait aucune remarque à ce sujet, elle est habituée.

— Pense à désinfecter, soupire-t-elle avec peine.

Je me contente d'acquiescer, comme chaque fois qu'elle est témoin de mes instants de folie.

— Pourquoi tu pleures, Lolo ?

— Pourquoi tu ne dors pas ?

— Un mauvais rêve.

— Une nouvelle crise, réponds-je pour justifier mes larmes.

Ses doigts viennent effleurer le dos de ma main alors que ses beaux yeux me fixent avec tristesse.

— Je peux dormir avec toi ? murmure-t-elle en fermant les paupières.

Envoie-la promener, Lolo, chantonne l'Ombre qui rôde dans mon esprit. Moi seule te comprends.

Je secoue le menton pour la chasser, cette insupportable conseillère.

— Bien sûr, soufflé-je en m'allongeant à ses côtés.

Lolita se blottit contre moi, la tête sur mon épaule. Mon bras passe dans son dos afin qu'elle s'approche davantage. Mon lit est petit, je ne souhaite pas qu'elle tombe dans la nuit. J'inspire profondément, me gorge de son odeur apaisante. Elle me rassure, me calme. Mes larmes se tarissent doucement tandis que la douleur de mes plaies s'accroît. Une satisfaction malsaine surpasse mon désespoir, la souffrance est ce qui me permet de tenir, elle me rappelle que je suis encore en vie, que mon corps n'est pas encore mort.

— On s'en sortira, dit Loli d'une voix à peine audible, tu verras. Maman ira mieux, ta maladie se stabilisera, et je pourrai dormir en paix.

Mon cœur se serre, elle a toujours été la plus optimiste de nous deux.

— Un jour, quelqu'un te trouvera et t'aidera.

— Simona est là pour ça, réponds-je, les yeux fixés au plafond.

— Elle t'aide pour la maison, moi je te parle de ton cœur abîmé. Quelqu'un le soignera et te rendra heureux.

— Je ne veux de personne, grogné-je agacé. Ne recommence pas, Loli.

— Cesse de haïr le monde entier.

— Bonne nuit.

J'ignore pourquoi elle me répète sans arrêt ces quelques mots. Elle croit que l'amour guide les âmes vagabondes, mais je suis bien trop occupé, bien trop fracturé pour perdre mon temps avec ce genre de futilité. Après un instant, son soupir s'élève, ses doigts cherchent les miens, s'y enroulent et me maintiennent fermement.

— Bonne nuit, grand frère.

Un baiser s'échoue sur ma joue, puis son souffle se régule quand le sommeil s'installe sous ses paupières.

Je déteste le monde extérieur, les gens et leurs petits tracas insignifiants. Je hais ma vie à l'intérieur et la douleur qui s'y répand. J'exècre être moi ; j'exècre cette existence fanée qui rend triste ma jolie Loli.

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