Aller, dégage de chez moi

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Le capitaine glissa :

-À ton avis, comment réagiraient Séra et Seg en apprenant qu'il vit ?

Elbar le fixa d'un air hanté pendant un long moment. Le temps que le choc passe. Que la question lui monte au cerveau. Puis qu'il y réflechisse. Enfin, la réponse vint, hésitante.

-Ça foutrait un sacré bordel... Uniquement chez les licorniens. Sans intervention divine, Séra aurait réclamé l'extermination de ce peuple, donc le savoir en vie la poussera seulement à vouloir sa mort. Et je ne connais pas assez Seg pour deviner sa réaction. Je l'ai seulement apperçu à quelques batailles.

Ceci arrangeait Jarvioss. Il pouvait garder Lui sous le coude l'esprit tranquille. Le capitaine se réintéressa à la question des taxes revues et corrigées par la nouvelle reine. Elbar s'envoya d'abord deux verres de vin.

-Si un capitaine s'engage à pourchasser tous les licorniens qu'il rencontre, et à rapporter les peaux comme preuves, ainsi que ses prises de guerre... sseh, il voit ses taxes fondre.

-Les peaux ? s'étonna Jarvioss.

-Humains et licorniens sont foutus pareil à l'intérieur... seulement, les licorniens ont un cuir et une couche de graisse un peu plus épais que les humains. Et dans ce cas précis elle permet la nécrophagie.

Le relâchement du rouquin amusait Jarvioss. Il lui laissa encore un temps de répi, avant d'estimer qu'il était temps de le foutre dehors. Le Quézermistoss avait mieux tourné que ce à quoi s'était attendu Jarvioss, mais il restait au fond un pauvre type. Le capitaine n'avait que peu de patience pour ce genre de personne. Il posa sa main sur le verre d'Elbar quand celui-ci voulut s'en offrir encore un, puis lui dit :

-Aller, dégage de chez moi.

Elbar grogna. Son dominant devinait ses pensées. Comment pouvait-on désigner un bateau comme un "chez soi" ?

-Je t'emmerde Elbar, retourne auprès de tes petits jeux malsains.

-Je te signale que ma compagne revient me voir de son plein grès.

-Ouais, avec l'idée de tomber en cloque puis ne pas assumer et boire le thé du lendemain sur le tard.

-T'en sais quoi, Jarvioss ? se hérissa le guerrier de l'aube.

-J'en sais que j'ai vu ça des dizaines de fois, soit elle te crève un jour, soit elle te pond un môme. Dans les deux cas, tu ferais mieux de la fuir dès maintenant et d'aller voir ailleurs.

-Je vois déjà ailleurs, rétorqua le soumis.

Jarvioss l'applaudit avec sarcasme.

-Vire la de ta vie avant qu'elle ne te la pourrisse, seul et unique conseil que je t'offre. Et maintenant, dégage d'ici. J'ai un marché à respecter.

Le capitaine songea brusquement à quelque chose, et se pencha vers le guerrier de l'aube répandeur de vérité.

-Tu vas dénoncer mon ombre protectrice ?

-Je pense qu'il n'a plus rien d'un prince... il ne m'a même pas reconnu...

Elbar se tut. Il ferma les yeux et frémit. Son coeur battit plus fort, plus vite. L'odeur de peur revint. Jarvioss estima qu'il l'avait bien cherché. Il lui souhaita de ne jamais se remettre de sa trahison. Que quoi qu'il fasse, les esprits l'envoient en Enfer. Par pure bonté, il le laissa se reprendre avant de l'attraper par le col, pour le soulever et le tourner vers la sortie. Elbar comprit le message, et fut aveuglé par le soleil en arrivant sur le pont.

Tout l'équipage suivit du regard son départ en silence. Ils se méfiaient des officiels, de ceux qui contrairement à eux pouvaient déambuler sur les terres appartenant à une tête couronnée sans que quiconque ne les reconnaisse comme criminels. Le dragonien bondit par-dessus le bastingage, et prit sa seconde forme pour voleter jusqu'à l'embarcation de sa reine.

Jarvioss retourna à son ennui. Les seuls bateaux qu'ils croisèrent appartenaient à l'armée dragonienne, les condamnant à rentrer chez eux bredouille. L'équipage put se rattraper en faisant circuler les informations qu'ils venaient de grapiller, et comme convenu, Elbar amena l'argent à Jarvioss à la nouvelle lune. Cette fois, ils ne se parlèrent pas. Et chacun reprit sa vie comme avant leur rencontre.

Fin.

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