Passés divergents

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L'arrivée d'Elbar surprit l'équiapge de Jarvioss. Ce dernier le présenta comme une vieille connaissance, avec lequel il aimerait discuter sans être dérangé. Et désormais, ils étaient corsaires. Le lien avec leur argent était ce Quézermistoss typique, roux aux yeux orange. Cela suffit à l'équipage, bien que certains remarquaient que cela ne résolvait pas l'absence de marchands à dépouiller.

Le capitaine invita le traître près de la cambuse, plongée dans l'obscurité. Jarvioss ne prit pas la peine de présenter la personne qui y vivait. Le licornien resta dans l'ombre, comme à son habitude, surveillant l'air de rien l'intrus amené par son supérieur. Elbar s'en désintéressa rapidement.

La dernière fois qu'ils s'étaient vus, Jarvioss n'était pas passé loin de le dévorer vivant. Par la faute d'Elbar, leur ville natale, Nahrcouyss, avait été rasée par les licorniens. Leur territoire détruit. Les temples anéantis. Puis le grand dominant avait estimé que les morts ne souffraient pas. Il n'avait jamais regretté ce geste. Connaissant Elbar, même si deux siècles déjà s'étaient écoulés, il devait toujours être rongé par le remord.

Le maître des lieux proposa de l'eau, Elbar offrit directement un tonnelet de vin Quézermistoss, sorti de la réserve royale.

-Ssseh merde, tu vis bien ! siffla Jarvioss.

Son ancien soumis sourit avec une assurance neuve.

-Je côtoie les grands de ce monde depuis quinze décennies.

-Et tu causes bien en plus, connard ! railla Jarvioss. Tu causes mieux que la reine.

Elbar perdit son sourire. Jarvioss avait senti une hostilité entre eux qui l'intriguait. D'anciennes habitudes revenaient déjà. Il avait passé quarante de ses premières années d'existence à protéger Elbar. Et jusqu'à la prise de leur cité par les fronts étoilés, jamais ils ne s'étaient engueulés, pas une fois ils n'avaient regretté leur rencontre. Ce qui, vu leur milieu de l'époque tenait du miracle. Ils profitèrent du silence pour boire un coup. Fidèle à sa réputation, le vin Quézermistoss arrachait la gueule. Le grand dominant reprit.

-D'où tu sors cette épée ?

-Je l'ai forgée.

Jarvioss ne le croyait pas. Quelque chose d'aussi splendide ne pouvait être que volé à un cadavre. Elbar insista.

-Je suis devenu un Guerrier de l'Aube peu après...

Il ne put soutenir le regard de son ancien grand dominant plus longtemps, et hésita longuement.

-Notre séparation.

-T'es un quoi ? glissa Jarvioss.

Il ignorait vraiment ce que c'était, mais il flairait la connerie.

-J'appartiens au culte de l'esprit du Jour, voué à faire connaître la vérité à tous...

-Tu fais connaître la vérité en cassant des gueule ? l'interrompit le corsaire, moqueur. Comme les Sel ? Depuis quand tu veux ressembler à ces saloperies ?

-Mon ordre n'a rien à voir avec ces sous-fifres du Mal ! s'écria Elbar.

Le licornien au fond de la pièce frémit à peine lorsque le guerrier de l'aube frappa du poing sur la table. Jarvioss ne se laissa pas impressionner par le mouvement d'humeur. Elbar le considérait toujours comme son grand dominant, montrant sa soumission en gardant la tête basse, le regard droit.

-Ké schiarks, tu t'entends causer ? le coupa Jarvioss en fronçant les sourcils. Tu parles comme un elfe... C'est ta secte qui veut ça ?

-Eh bien oui, c'est une secte ! Et j'en suis le dernier membre ! Mon but est de faire éclater la vérité, en agissant différement de nos anciens bourreaux ! Mon rêve, Jarvioss...

-Ssseh, ferme ta gueule, ton rêve je me torche avec, l'interrompit Jarvioss. T'es devenu un dégénéré illuminé, très bien. Heureusement que j'ai pas vu ça. À part ça, que deviens-tu ? T'as une compagne ? T'es devenu forgeron ? Tu as monté ta caravane ?

Le ton détaché du capitaine apaisa son interlocuteur, qui daigna enfin rester calme. Il raconta alors en détail son errance dans les bois après l'attaque de leur ville, son désespoir, sa peur et les remords qui le rongeaient. Puis la rencontre d'un couple de guerriers de l'aube. Ils lui ont montré une autre façon de vivre, une existence de mercenaires certes, mais dignes de louanges contrairement aux Sel. Un mercenariat moral. Jarvioss interrompit cette description d'un puissant bâillement, et Elbar poursuivit.

La secte lui offrit un susbtitut de famille qu'il n'avait jamais connu, et devint très proche du haut-prêtre. Beaucoup le voyaient comme son successeur. Pendant ces temps bénis, il apprit l'art de la forge et du combat. Les membres de la secte lui donnèrent les potions qui permettaient d'éveiller la part instinctive et la magie, afin qu'il devienne un dragonien à part entière. Puis un jour, une secte rivale, les soldats du crépuscule lancèrent un raid contre eux, et seul Elbar survécut. Le haut-prêtre l'avait envoyé dissimuler leurs écrits sacrés.

Pendant quelques lunaisons, Elbar vécut en mercenaire indépendant, puis, alors qu'il était revenu à Nahrcouyss dans l'espoir de racheter sa faute, d'une façon ou d'une autre, il avait croisé le chemin de la reine. Séra Rogaa venait de battre un chef de bande local, et faisait savoir que quiconque s'enrôlerait dans l'armée régulière pourrait considérer son passé comme oublié. L'occasion était trop belle, le Quézermistoss sauta dessus. Et c'est ainsi qu'il se rapprocha de la reine.

Sur le navire les emmenant à Guétrice, il y rencontra celle qui, peu de temps après deviendrait sa compagne. Et depuis, il ne quittait plus le sillage royal. Jarvioss resta dubitatif concernant cette compagne.

-C'est le quart de portion blond qui m'a soigné ? s'enquit-il, sceptique.

-Oui. Elle est belle, hein ? glissa Elbar avec un regard que Jarvioss connaissait bien.

C'était un regard de sous-merde. De ceux qui considéraient une consoeur faible comme leur propriété. Elbar avait toujours aimé la facilité... Le capitaine renifla.

-Comment vous vous êtes connus ?

Autant savoir sans plus attendre. Il siffla un nouveau verre de vin pour se détendre, ce qui attira l'attention du licornien toujours resté en retrait. Le front étoilé se prépara lentement à lancer ses couteaux, attendant un ordre de son capitaine. Jarvioss aimait l'obéissance aveugle du fou. Elbar sourit. Le corsaire y trouva quelque chose de malsain. Ses écailles se hérissaient légèrement. La suite allait le dégoûter.

-Sur le chemin de Guétrice, je lui ai rendu service... raconta le guerrier de l'aube d'un ton lourd de sous-entendus. Elle avait ses chaleurs, et n'osait pas demander à ce que quelqu'un la satisfasse... Et c'est là que je lui ai rendu service. Et elle a tellement apprécié qu'elle revient me voir à chaque lunaison.

Jarvioss ne réagit pas. Son instinct lui soufflait qu'Elbar ne racontait pas tout, et enjolivait la chose. Il grogna. La reine détestait Elbar, ce dernier le lui rendait bien. Et la petite blonde que le mercenaire désignait comme sa compagne semblait très proche de la reine.

Il plissa le front en cherchant à deviner pourquoi il pressentait quelque chose de malsain dans ces relations. Dans leur culture, les enfants étaient d'une importance capitale. Assumer sa parentalité aussi. Dans certaines régions, une personne accusée d'être un mauvais parent pouvait se faire démembrer dans l'instant. Alors si la compagne d'Elbar cherchait à tomber enceinte pour lui mettre la pression et lui pourrir l'existence, elle pourrait difficilement mieux s'y prendre.

Préférant ne pas y passer plus de temps, Jarvioss hésita entre raconter son propre vécu, ou présenter son second. Elbar choisit pour lui en désignant leur auditeur du menton.

-Comment peux-tu tolérer cette bête de foire ?

Sous son capuchon, le licornien sourit de toutes ses dents carrées. Jarvioss lui fit un discret signe pour le dissuader de se dévoiler tout de suite, et raconta sa propre histoire. Mais avant, il préféra mettre quelques petites choses au clair.

-Lui est mon second, et figure-toi, officiel, que la vie maritime n'a rien à voir avec la vie des continentaux. Pour nous, peu importe le peuple d'origine. On récupère tout le monde. Qu'il s'agisse d'elfes, d'impériaux, de drows, d'humains, d'yrdeïs, de licorniens, de dragoniens, de dragocorniens ou d'hybrides. Les différences culturelles et religieuses, on se torche avec. Tout ce qui compte, c'est la survie. Et pour survivre, on doit vivre en groupe. On doit savoir quels royaumes prennent les armes, lesquels s'affaiblissent, lesquels s'enrichissent. Et c'est tout. Pour le reste, à nous la liberté.

Jarvioss vit Elbar se rembrunir. Il marqua une pause, l'autorisant à en placer une. Son ancien soumis siffla entre les crocs :

-Danses-tu à Sonndelayo ?

-Pas toujours, se vanta le capitaine.

Elbar se crispa. Sonndelayo était la fête la plus sacrée pour les dragoniens... du moins, pour ceux vivant sur la terre ferme. Pour les déviants comme Jarvioss, ça restait une fête noyée parmi toutes les autres.

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