Chapitre 17 (troisième partie)

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Nous partîmes donc pour notre long périple, avançant jour après jour vers les montagnes. La fin d'été nous favorisait et mettait à mal les préjugés de Bethany. Cela lui donna du baume au cœur lorsque nous nous quittâmes, à Invergarry, eux poursuivant vers Inverness en remontant les passes et les lochs, nous partant plein ouest vers l'île de Skye. Je fis promettre à Bethany de m'écrire dès qu'elle serait arrivée chez son oncle.

Nous nous retrouvions désormais seuls, Kyrian, Clarisse et moi. La route menant d'Invergarry à Skye longeait plusieurs lochs, passant parfois à travers la montagne. J'étais enchantée du voyage et de la découverte, et passais mon temps à la fenêtre, à admirer les paysages magnifiques qui défilaient devant moi. Clarisse, je le savais, les goûtait moins et était quelque peu effrayée à l'idée de partir au bout du monde.

Au cours de ce voyage, outre nous apprendre le gaëlique que je retenais bien plus vite que ma servante, Kyrian m'expliqua des détails du mode de vie des Highlanders, et notamment, le fonctionnement d'un clan. Je m'étais en effet étonnée que nous nous rendions à Dunvegan et non à Inverie. Il m'expliqua qu'il n'avait pas encore été reconnu comme laird des MacLeod d'Inverie et qu'il était toujours redevable envers son oncle Craig. En outre, il voulait me présenter à sa famille et notamment à Jennie, sa sœur, ce que je pouvais aisément comprendre.

La route que nous avions suivie n'était peut-être pas la plus facile - il aurait été plus simple de passer par Glasgow avant de nous enfoncer dans les Highlands. Mais Kyrian voulait éviter deux endroits en particulier : Fort William qui n'était encore qu'une place-forte construite par les Anglais pour verrouiller l'accès à la vallée remontant vers Inverness et contrôler ainsi tout ce secteur, et le territoire des Campbell. Nous devions donc traverser les terres contrôlées par les MacKenzie et nous fîmes étape à Eilean Donan.

Autant, jusqu'à présent, nous avions dormi dans des auberges plus ou moins confortables, autant ce jour-là, nous fûmes accueillis dans un vrai château. Je m'attendais donc à retrouver certaines habitudes et Clarisse tout autant. Ce fut cependant très différent de ce que nous avions connu à Lures.

A notre arrivée, nous fûmes accueillis par le fils du laird, Geoffrey MacKenzie. C'était un jeune homme déjà bien costaud, aguerri au maniement des armes et aux longues chevauchées. De ce que m'en dit Kyrian par la suite, il serait très certainement un digne successeur pour son père et serait sans difficulté choisi comme laird. J'avais encore du mal à comprendre toutes ces particularités et il promit de me les expliquer mieux.

Dans la grande salle avaient été dressées plusieurs tables. Tournant le dos à une imposante cheminée de pierre se tenaient le laird Brian MacKenzie et son épouse, Lady Fiona. A la droite de son père était déjà assis Geoffrey, ainsi qu'une jeune femme qui nous fut présentée comme étant son épouse. Nous prîmes place entre Brian et sa femme. Aux autres tables étaient installés les hommes de Brian, soldats, gardes, et bien souvent, leurs épouses. Je compris confusément que vivait là toute une cour, ou, du moins, ce qui pouvait le plus s'y apparenter, même si on était bien loin de Versailles.

La conversation s'engagea en gaëlique et je fus vite perdue, même si je reconnaissais çà et là quelques mots. Je compris cependant que Brian MacKenzie souhaitait en connaître un peu plus sur notre voyage, mais Kyrian me confirmerait plus tard qu'il ne lui avait pas encore posé de questions trop précises. Le laird souhaitait lui parler en privé et je me dis que notre séjour à Eilean Donan allait durer un peu plus longtemps que je ne l'avais imaginé au départ, d'autant que, s'adressant à moi, le laird me demanda si j'avais déjà assisté à une grande chasse au cerf. Je lui dis que oui, car cette chasse était souvent pratiquée dans la région où je vivais. Nous fûmes invités à rester quelques jours afin d'y participer.

A l'issue du repas, nous fûmes conviés à prendre place dans des fauteuils confortables. Les tables furent dégagées et je vis entrer un homme dont la vue me stupéfia au plus haut point. Il était vêtu du tartan du clan MacKenzie, mais ce n'était pas cela qui me surprit, ni même sa taille imposante - il était plus grand que Kyrian - ni ses longs cheveux noirs. Non, ce qui m'impressionna, c'était ce qu'il portait dans ses bras, contre son torse. Cela ressemblait à une outre en peau, avec plusieurs tubes noirs. Quelques rubans de tartan le décoraient. Je me penchai vers Kyrian et lui demandai :

- Qui est-ce ?

- Un musicien. Il va jouer pour nous.

- Oh !

Je n'eus pas le temps d'en dire plus que déjà, l'homme s'installait. Il porta à sa bouche l'un des tubes de son instrument, posa son pied gauche sur un petit tabouret. Et il commença à jouer. Je portai aussitôt mes mains à mes oreilles tant le son était puissant. J'ouvris de grands yeux et me tournai, bouche bée, vers Kyrian. Il n'était pas loin d'exploser de rire devant ma mine stupéfaite et ma réaction. Avec douceur, il retira mes mains de mes oreilles et se pencha vers moi pour que je l'entende :

- C'est une cornemuse, mon amour. Le plus bel instrument de musique qui soit.

- Le plus diabolique ! m'écriai-je. Cela fait un boucan du diable !

- Je suis certain que tu vas apprendre à apprécier.

J'en doutais quelque peu, mais, passée la première surprise, je me concentrai sur la mélodie. Les sons se répercutaient sur les murs de pierre. Les airs que le musicien jouait étaient très beaux. Lorsqu'il entama un nouveau morceau, je songeai immédiatement à la journée que nous avions passée dans la vallée de la Spey, à remonter les berges le long de la rivière, dans cet écrin magnifique au coeur des montagnes. La musique m'évoquait irrésistiblement ces paysages et leur majesté.

Kyrian, tout en appréciant la musique, ne me quittait pas des yeux et je le sentis sourire alors que moi-même je souriais.

**

Le lendemain matin, Kyrian me laissa aux bons soins de Clarisse et celle-ci m'aida à m'habiller. J'avais vite fait le choix de tenues plus simples pour le voyage que celles que je portais habituellement à Lures. Néanmoins, je ne passais déjà plus que des robes que j'avais emmenées en prévision de l'hiver et je commençais à me demander si j'allais avoir assez chaud au cours des semaines à venir ou s'il n'allait pas me falloir refaire une partie de ma garde-robe. Mon manteau d'hiver, aussi, me paraissait bien léger...

Clarisse était en train de fermer ma robe dans mon dos. J'avais remarqué son air soucieux, une fois encore, ce matin. Je commençais à m'inquiéter pour elle. Qu'elle ne rencontre un souci dans ce château, peut-être avec les autres domestiques, comme elle ne parlait bien que le français et que cette langue n'était pas du tout utilisée à Eilean Donan. Kyrian m'avait dit durant le voyage que seul Brian le parlait un peu, ce que j'avais pu constater d'ailleurs puisqu'il m'avait souhaité la bienvenue dans ma langue maternelle, ce dont je lui avais été reconnaissante.

N'y tenant plus, j'entamai la conversation :

- La matinée s'annonce belle, n'est-ce pas, Clarisse ?

- Oui, Madame, me répondit-elle d'une voix à peine audible.

- Es-tu bien installée ?

- Oui, Madame, ne vous faites pas de soucis de cela. J'ai un bon lit, une penderie pour ranger mes affaires. La chambre n'est pas grande, mais je n'y ai pas froid. Tout va bien.

Elle me répondait a minima. J'eus un léger froncement de sourcils. Je n'étais pas habituée à cette attitude de sa part.

- Clarisse, il y a quelque chose qui te soucie, non ?

Elle suspendit un instant son geste, avant de reprendre et de fixer les dernières attaches de ma robe. Son visage était fermé.

- Réponds-moi, dis-je. Je devine que quelque chose ne va pas et j'aimerais que tu me dises ce que c'est !

J'avais ponctué ma phrase d'un ton plus autoritaire que je ne l'aurais voulu.

- Pardonnez-moi, Madame, mais... il ne faut pas vous soucier de moi. Je vous assure que je vais bien, c'est juste que...

Je la sentis hésiter, mais réfrénai mon envie de l'interrompre.

- Oui, c'est juste que... Je m'inquiète de la suite de notre voyage. Combien de temps allons-nous rester ici ? Combien de temps mettrons-nous à arriver à Dunvegan ? Et ensuite ? Monsieur parlait de vous conduire avant l'hiver à Inverie, mais... j'ai l'impression que l'hiver arrive vite, dans ces régions.

- J'ignore combien de temps nous allons demeurer à Eilean Donan. Mon époux m'a expliqué qu'il était difficile de refuser l'hospitalité de Brian MacKenzie car il est le chef d'un des plus importants clans des Highlands. Ses terres jouxtent celles des MacLeod. Il convient donc de rester en bons termes avec lui. Et il veut parler de certaines choses avec mon mari, afin que celui-ci puisse en faire part à son oncle. Je ne sais pas quand il le fera, j'espère que cela ne prendra pas trop de temps. De toute façon, nous nous sommes engagés à assister à cette chasse au cerf, la semaine prochaine... Nous ne partirons pas avant une bonne dizaine de jours, je pense.

Clarisse poussa un long soupir. Je poursuivis :

- Nous ne sommes plus très loin de Dunvegan, deux à trois jours de voyage. Là, et bien... Je pense qu'une fois là-bas, nous n'en repartirons pas non plus très vite. Même si mon époux m'a parlé de son souhait de ne plus tarder à se rendre à Inverie, pour pouvoir collecter les redevances.

Je la vis bouger la tête de droite à gauche, en signe d'impuissance. Je ne comprenais toujours pas quel était le souci. J'imaginais qu'elle avait hâte de se poser, de s'installer définitivement dans notre nouvelle demeure, ce que je pouvais comprendre. J'aspirais moi aussi à découvrir Inverie, le loch Nevis, et tous les alentours. Kyrian me les avait tellement décrits que je pouvais déjà me l'imaginer rien qu'en fermant les yeux. Et j'avais bien envie de voir si mes rêves allaient correspondre à la réalité. J'avais vu déjà tant de beaux endroits que je me demandais si Inverie tiendrait ses promesses. Néanmoins, et même si cela était moins beau que les alentours d'Eilean Donan ou que la vallée de la Spey que nous avions suivie en partie, peu m'importait : je savais déjà que j'y serais bien car j'y serais avec Kyrian. Et cela seul comptait. C'était sa maison natale, son pays, les terres dont il aurait bientôt la responsabilité. Il aimait cet endroit car c'était la terre de son père. Il voulait y vivre et je voulais y vivre aussi, avec lui.

Clarisse reprit une longue inspiration, mais elle hésitait toujours à me livrer le fond de ses pensées. Je me retournai alors et la fixai :

- Clarisse, nous sommes toutes les deux en terre étrangère. Nous sommes deux Françaises, parlant à peine le gaëlique. J'ai tout juste l'avantage sur toi de parler anglais, mais tu as pu constater qu'on l'utilise fort peu. Nous devons nous serrer les coudes pour nous faire à notre nouvelle vie. Tu es à mon service. Mais je veux que tu te sentes bien ici, aussi. Je t'ai laissé le choix de m'accompagner ou pas, tu as voulu venir, maintenant...

- Oh, Madame ! Oh, non ! N'allez pas croire que je suis malheureuse ici ou que je regrette de vous avoir suivie ! Non, surtout pas... Je... Je ne voudrais pas être ailleurs qu'avec vous, c'est simplement... que je me soucie de vous.

J'ouvris de grands yeux. Quel souci était-ce donc là ?

- Dis-moi ce que c'est...

- Et bien, Madame... commença-t-elle, encore hésitante.

Mais elle sentit qu'elle en avait maintenant trop dit et se tordant les mains, elle poursuivit :

- Oui, Madame. Il reste encore beaucoup de jours de voyage, de ce que j'en comprends. Et je m'inquiète de cela, pour vous. Que vous ne fatiguiez trop et que... que ce ne soit vraiment pas bon pour vous. En ce moment, ajouta-t-elle après une nouvelle hésitation.

- En ce moment ? Pourquoi est-ce que ce serait plus fatigant maintenant pour moi de voyager que dans deux ou trois mois ?

- Et bien, Madame... Je... Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais moi, je vous vois chaque jour, je m'occupe de vous, de vos affaires et...

- Et quoi, donc ? parvins-je à dire doucement alors qu'elle s'était interrompue une fois encore et que je me demandais bien comment je parvenais à ne pas la secouer avec force.

- Madame... Vous n'avez pas saigné depuis votre mariage.

Elle avait lâché ces mots en baissant la tête, ses joues ayant rosi. Je la fixai, incrédule, totalement prise au dépourvu. Les mots de ma mère me revinrent alors violemment à l'esprit, ce "sois vigilante quant à tes saignements mensuels... Si tu ne saignes plus, c'est que tu attendras un enfant". Je n'eus pas à calculer bien longtemps. Je n'avais pas eu mes règles depuis mon mariage, soit depuis la mi-juillet. Je me souvenais très bien, maintenant, du soulagement de ma mère quand elle avait constaté que je les avais une semaine avant la noce. Je n'avais pas alors prêté plus que cela attention à sa réaction. Après coup, je m'étais dit qu'il valait mieux en effet les avoir eues avant, que d'être indisposée le jour de mon mariage ! Cela aurait été du plus mauvais effet que de devoir me refuser à mon époux pour ce prétexte...

Je demeurai silencieuse et Clarisse n'osait relever la tête. Je finis par dire :

- Tu crains que le voyage ne me fatigue trop désormais, si… si j'attends bien un enfant ?

- Oui, lâcha-t-elle en un souffle.

- Et bien, pour l'heure, je vais bien. Tu peux toi-même le constater. Quant à l'enfant… Il est peut-être encore un peu tôt pour être sûres.

- Bien, Madame, répondit-elle en faisant une petite courbette.

Puis, prise par une inspiration soudaine, elle dit :

- Je vais chercher un peu plus d'eau pour finir votre toilette !

Et notre conversation prit fin ainsi. Mais elle me laissa songeuse une bonne partie de la matinée, me demandant s'il existait d'autres signes d'un début de grossesse. Je ne me voyais pas annoncer la nouvelle à Kyrian sans en être totalement certaine…

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