chapitre 11

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Joël ne s’est pas mêlé pas aux jeux des autres. Il est maintenant adossé au mur de l’école, tout près de la porte d’entrée. Après avoir regardé autour de lui, il pose doucement la main sur la poignée. Elle cède. Il ouvre et se glisse dans la classe par l’entrebâillement. C’est formellement interdit, il le sait et son coeur de sept ans bat avec violence. Il traverse doucement la salle. Le radiateur à gaz grince quand il passe sur la plaque de tôle sur laquelle il est posé. Les bruits de la cour lui parviennent assourdis. C’est la première fois qu’il est seul dans cette pièce. Il a même l’impression que c’est la première fois de sa vie qu’il est seul.

Quelques minutes plus tard, il sort et reprend sa place contre le mur. Personne ne l’a vu. Guillaume s’est mis à jouer au foot avec les grands comme il le fait souvent. Il vient de tomber et se relève en riant sous le regard perplexe de ses collègues. Joël croise son regard et soudain il se précipite vers les cabinets, triste édifice abritant des WC à la turque. Un trou. Sans chasse d’eau. Et il s’y enferme.

Bientôt le maître de la grande classe frappe dans ses mains. C’est la fin de la récréation et tout le monde rentre. Sauf Joël. Guillaume s’informe auprès des enfants, se dirige vers les cabinets et l’appelle :

— Qu’est-ce qui se passe, Joël ? Tu es malade?

Sans dire un mot, le petit sort aussitôt. Il est très pâle. Guillaume le fait entrer en classe puis saisi d’une intuition, il jette un regard à l’étagère au fond de la pièce. Aussitôt il comprend : Joël a volé la hache et, par peur d’être grondé, il l’a jetée dans la fosse ! Il hésite un instant puis dit d’une voix douce dans le silence général :

— Ce n’est pas bien ce que tu as fait, Joël, moi, je te faisais confiance .

Tout le monde regarde Joël qui aimerait mieux être ailleurs. Il ne nie pas. A tout hasard il pose la tête sur son pupitre et se met à pleurer en balbutiant :

— Je la trouvais jolie!

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Sur la côte, au camp scout, les enfants ont un peu de temps libre sauf ceux qui préparent les repas. Maxime s’éloigne vers la plage mais il reste sur le chemin des douaniers : il ne veut pas mouiller davantage ses chaussures. Il regarde la mer, les rochers et essaie de trouver ça beau. Mais ça ne l’intéresse pas beaucoup. Un couple s’approche sur le sentier. Ils ne sont pas d’ici, cela se sent. L’homme a passé un bras sur les épaules de sa femme et ils se parlent à mi-voix. Max les laisse s’éloigner un peu puis il les suit un moment à distance sans trop les regarder pour se faire croire qu’il est derrière ses parents. Et soudain son désespoir monte sans qu’il puisse le retenir et son chagrin éclate avec une violence soudaine, il enfouit son visage dans l’herbe fine de la berge et pleure éperdument sans plus entendre le ressac de la marée haute qui couvre le bruit de ses sanglots tandis que le couple s’éloigne sans se retourner.


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13 heures 30 heures, samedi

Quand Guillaume revient après le repas de midi, il aperçoit Joël dans un angle au fond de la cour. Il a décidé de l’ignorer et s’apprête à regagner sa classe, mais Joël se met soudain en route vers lui d’un pas mécanique en le fixant et Guillaume s’arrête, curieux de ce qui va se passer. L’enfant suit une diagonale parfaite jusqu’à son maître. Là il s’arrête et sans un mot, il lève la tête. Guillaume comprend, spontanément il se penche et l’enfant l’embrasse sur les deux joues puis fait demi-tour et repart. Toujours aussi raide. Guillaume le suit du regard en souriant. Ce qui vient de se passer ne lui est jamais arrivé. On n’embrasse pas les maîtres à l’école. Mais par chance, la scène a été si rapide que personne ne s’en est aperçu. C’est heureux. Joël a échappé aux moqueries des autres. Guillaume lui pardonne sans rien dire. Il est même fier de son élève.

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