chapitre 9

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9 heures du matin, samedi; À l’école;

L’heure a sonné. Les élèves de Guillaume entrent dans la grande pièce désordonnée qui est sa salle de classe. Il les accueille d’un regard, d’un sourire ou d’une blague. Puis il ferme la porte et le silence se fait. Chacun prend un cahier de brouillon pour écrire ce qu’il veut, ce qu’il a vécu depuis la veille, un rêve ou une histoire qu’il invente. Guillaume passe de l’un à l’autre et écrit lui-même les mots que l’enfant ne sait pas écrire. Ce soir, il calligraphiera le texte de chaque enfant sur son cahier pour qu’il le recopie. Il ne leur restera plus qu’à en choisir un pour travailler la lecture.

Peu de bruit. Sinon celui du radiateur à gaz, le vent du matin dans le cyprès et quelques chaussures qui frottent le sol. On frappe soudain et la casquette de Crenn se montre derrière la porte vitrée. Guillaume qui le connaît bien, lui ouvre aussitôt. Il tient dans ses mains la hache de pierre et après un hochement de tête qui lui tient lieu de salut, il la lui tend en déclarant :

— Tiens, j’ai trouvé ça… sur Roc'h Vras …au bout de mon champ de patates. Il était pas profond.

Guillaume prend la hache. Sur le seuil de sa classe, dans la lumière du matin, il la retourne entre ses mains, surpris et ravi. Cette pierre de tonnerre, comme les nomment les paysans, est plus belle que toutes celles qu’il a récupérées depuis qu’il été muté dans ce poste. Face à lui, Crenn reste planté là sans dire un mot et Guillaume hésite. Doit-il proposer de l’argent au vieux comme il le fait aux enfants ? Il plaque vaguement la main sur sa poche. Crenn sent son malaise et, sans la moindre gêne, il ajoute :

— Tu me donneras quelque chose quand tu auras le temps, c’est pas grave.

Guillaume a compris. Il va à son bureau, fouille dans un tiroir encombré de crayons et de craies, trouve ce qu’il cherchait et revient en disant :

— On dirait qu’il va faire beau, c’était pourtant mal parti.

 Sans un regard pour la pièce qu’il empoche rapidement, Crenn répond :

— Avec la marée, ça va changer. Il y aura de la tempête cette nuit.

Et il s’en va. Alors Guillaume ferme la porte et se retourne vers sa classe. Les enfants ont levé la tête.

— Il y a 5000 ans, dit-il, quelqu’un vivait ici et il a fabriqué cet outil pour se défendre des animaux et pour survivre. Vous avez vu comme c’est beau ? Vous imaginez comme ça a été difficile à faire sans outil ? C’est un témoignage précieux du génie humain et du début du progrès.

Il brandit la hache, l’abat dans l’air comme s’il frappait et la regarde à nouveau. Elle est superbe : verdâtre, marbrée de noir et percée d’un trou rond où s’est emmanché, un jour, un bâton.

— Elle a sûrement vécu beaucoup de choses. Ce n’est pas une pierre d’ici. Personne ne saura jamais comment elle s’est retrouvée à Roc'h Vras. D’ailleurs à l’époque ce n’était peut-être pas un îlot. La côte a changé depuis cette époque. La mer a envahi la terre.

Les enfants l’écoutent. Bouche bée. Joël est si intéressé qu’il ne prend pas le temps de lever le doigt pour demander :

— Peut-être qu’il a tué un tigre à dents de sabre avec ça?

— Peut-être, répond Guillaume.

Ses connaissances en matière de faune préhistorique ne vont pas plus loin. En fait il ne connaît que le tigre à dents de sabre dont il parle à ses élèves chaque fois qu’il leur fait entendre le Sacre du Printemps. Sous le regard des enfants et avec un peu de solennité, il va placer la pierre parmi les autres sur une étagère au fond de la salle et la classe se remet au travail, lestée d’une présence nouvelle et mystérieuse.

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