37. Le courant ne passe pas

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Oriane

Bleue ? Noire ? Bon sang, pourquoi est-ce que je fais autant d’efforts ? Je n’ai pas l’impression qu’il les mérite tant que ça, en plus… même si, apparemment, il essaie. Louis semble en avoir marre de monter deux étages pour aller se coucher. Moi, je pense qu’il mérite le deuxième étage, les plafonds plus bas, les portes moins larges. C’est bon pour son ego.

Je suis cruelle. Un peu… mais je pense qu’il l’a mérité comme jamais. Ce qui ne m’empêche pas d’attraper la robe bleue dans mon dressing, parce que c’est celle qu’il préfère, pour l’enfiler. Je récupère un petit gilet en laine blanc au passage, mes sandales compensées que j’enfile et noue sur mes chevilles. Un dernier regard dans le miroir sur pied et je descends à la cuisine où Robin est occupé à faire ses devoirs avec Rachel. Je dépose un baiser sur la joue ronde de mon fils et récupère son stylo pour signer son dernier contrôle de Français, ainsi que l’autorisation de sortie pour la journée en bâteau. Je me poste ensuite de l’autre côté de l’îlot, face à eux, pour pouvoir signer

— Tu ne te couches pas trop tard, Trésor, demain tu as ton évaluation d’Histoire.

— Ne t’inquiète pas, je veille sur lui ! On va être sages, tous les deux, et même si on fait des bêtises, tu ne le sauras jamais !

— Moi, je ne ferai pas de bêtises ! signe Robin, hilare.

Je fais la moue, pas dupe, mais ne rétorque rien puisque la porte d’entrée claque. Louis débarque dans la cuisine, adresse un sourire poli à Rachel, dépose un baiser sur le front de notre fils, et vient se coller dans mon dos, posant ses lèvres dans mon cou.

— Je file prendre une douche en vitesse et je suis tout à toi.

J’acquiesce et le regarde partir sous le regard curieux de ma meilleure amie et le sourire satisfait de mon fils. S’il savait… à quel point c’est difficile, en ce moment, comme j’en bave pour supporter toutes ces tensions que je tente plus que tout de lui éviter… S’il comprenait que son père et moi sommes sur deux planètes totalement différentes, ces derniers temps…

Je hausse les épaules en direction de Rachel. J’ai besoin de raccrocher les wagons avec Louis, pour notre famille. Il faut que tout s’améliore, qu’on trouve un équilibre. Je suis prête à ce qu’il réintègre le lit conjugal comme il l’a demandé, mais il faut qu’on arrive à trouver un compromis pour le reste.

C’est dans cette optique que nous descendons, main dans la main, en direction du port, vingt minutes plus tard, pour aller dîner en tête à tête. Louis a enfilé une chemise d’un bleu similaire à ma robe, et ses manches remontées sur ses avants-bras me ramènent inévitablement au moment que j’ai partagé à la plage avec Hugo… Je ne devrais pas penser à ça, à cet instant.

J’observe les touristes et les Honfleurais se promener entre les terrasses une fois installée, et je sens le regard appuyé de Louis sur moi tandis que nous attendons notre commande. Dix ans de mariage, plus personne ne m’empêchera de prendre des moules sauce camembert, maintenant… Il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de gène entre nous.

Ce qui me frappe, alors que nous attendons le serveur, c’est le silence autour de la table. Cruel rappel de cet éloignement… Nous n’avons rien à nous raconter, et je ne fais pas l’effort de lui demander comment s’est passée sa journée. Si je le fais, on va parler de l’agence toute la soirée, et je crois qu’elle me bouffe suffisamment la vie comme ça. Quant à lui… Comme il ne s’intéresse plus à rien à part son boulot, les questions ne viennent pas non plus. Magnifiquement gênant…

— Robin a une sortie scolaire la semaine prochaine. Jeudi, sortie en bâteau. Vous ne pourrez pas aller au tennis, ils rentrent vers vingt heures, attaqué-je finalement après avoir bu un peu trop vite mon verre de vin blanc.

— Ah, c’est bien pour lui. Ils vont où ? répond-il platement alors que ses yeux ne quittent pas mon décolleté.

— Sur l’île du Ratier. Je crois qu’ils font un circuit en bâteau avant. Il faut que je pense à passer à la pharmacie pour lui prendre des cachets contre le mal de mer, sinon ça va être la catastrophe, souris-je alors que le serveur dépose nos plats sur la table en me reluquant plus discrètement que mon mari. Merci.

— Cela fait longtemps que tu n’as plus d’attention comme ça envers moi, me reproche-t-il en me servant un verre de vin. C’est quand la dernière fois où tu as pris le temps de t’occuper de quelque chose dont j’ai besoin ? Je dois toujours passer à la pharmacie en rentrant du boulot quand j’en ai besoin.

Je fronce les sourcils et l’observe en silence alors qu’il s’attaque à sa cocotte pleine de moules à la crème. En voilà une excellente question, à laquelle je n’ai pas de réponse. Il y a quand même une grande différence entre Louis et Robin.

— Je ne suis pas ta mère, Louis, et Robin est un enfant… C’est différent.

— Non, c’est vrai que tu n’es pas ma mère, tu es ma femme, même si parfois, j’ai l’impression que tu oublies ce que le maire nous a dit le jour de notre mariage. On se doit assistance mutuelle, non ? Moi, je n’hésite pas à te rendre service quand tu me le demandes.

— Je te demande pardon ? Et dis-moi quel est le problème, au juste ? Qu’est-ce que tu as à me reprocher ?

— Eh bien, j’ai l’impression que depuis que tu as repris un travail dont on n’a pas besoin pour vivre, tu me délaisses. Avant, tu avais toujours du temps pour moi, toujours une attention, mais là, c’est comme si je n’existais plus. Tu as même trouvé un prétexte pour m’exclure de notre chambre, j’ai l’impression de vivre en célibataire, si tu vois ce que je veux dire. Et je ne dis pas ça pour t’énerver, hein ? C’est juste un constat et je crois qu’il faut échanger et communiquer, cela permet d’apaiser les tensions, il paraît.

— Je veux bien échanger, mais à quoi bon puisque tu ne m’écoutes pas ? Je te signale que c’est toi qui vis comme un célibataire depuis des mois, à partir tôt le matin, à rentrer tard le soir, à bosser le weekend sans te préoccuper de nous. Et je ne te dis pas ça pour t’énerver, c’est juste un constat, lui rétorqué-je calmement. J’ai envie de travailler, Louis. J’en ai même besoin. J’en ai marre de jouer la mère de famille.

— Mais en faisant ça, tu mets notre couple en danger ! Tu ne t’en rends pas compte ? En plus, comme l’agence fonctionne de mieux en mieux, on n’a vraiment plus besoin de l’argent que tu gagnes pour bien vivre. Je t’assure que Robin aurait toujours tout ce qu’il lui faut même si tu arrêtais ton activité. J’y veillerais personnellement.

Je souffle sans répondre, déjà agacée par cette conversation. Il ne m’écoute pas, pour changer. Il n’y en a que pour le fric, ça m’épuise.

— Quel couple, Louis ? Tu as vraiment l’impression que depuis que tu ne vis que pour ton agence, nous sommes encore un couple ? Si la signification d’un couple pour toi, c’est une partie de jambes en l’air quand tu le décides, désolée, mais nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes. Tu n’es jamais à la maison, je te rappelle.

— A quoi ça sert que je sois à la maison si tu n’y es pas non plus ? Je sais que j’ai un emploi du temps un peu chargé, mais justement, si tu ne travaillais pas, tu aurais cette flexibilité nécessaire pour que l’on puisse se voir quand je suis disponible. Et honnêtement, ça ne te manque pas nos parties de jambes en l’air ? Ce soir, il faut qu’on se retrouve, ça nous aidera à aplanir le reste de nos différences, conclut-il en posant sa main sur la mienne et en me jetant un regard concupiscent, qui me répugne autant qu’il me révolte.

Je retire ma main et m’adosse à ma chaise en prenant quelques gorgées de vin. Je veux bien faire des efforts, mais à un moment donné, il faut qu’il se remette en question aussi !

— Je ne suis pas un chien que tu laisses à la maison quand tu pars bosser et que tu siffles quand tu rentres, Louis. Ni une prostituée que tu viens voir quand tu as besoin de te vider les bourses, marmonné-je en jetant un œil à nos voisins qui semblent heureusement concentrés sur leur propre conversation. Si tu crois que le sexe va résoudre nos problèmes, tu te trompes lourdement. Ce qui me manque, c’est d’avoir un mari, pas un amant. De voir mon fils sourire et rire avec son père. De partager des moments avec toi autres qu’au lit. Je ne vais pas passer ma vie à t’attendre à la maison bien sagement, en faisant le ménage et en te préparant à manger. Je réitère, je ne suis pas ta mère.

— Je comprends, Chérie, énonce-t-il lentement après quelques secondes de silence. Je vais demander à Fabienne de me mettre dans mon agenda des plages pour avoir du temps pour Robin et toi. Comme ça, tu me verras plus, et notre fils aussi. Tu vois ? Je peux faire des efforts de mon côté. Je fais ma partie du chemin, à toi de faire la tienne et de diminuer ton nombre d’heures de boulot au moins. Comme ça, tout s’arrangera, tu vas voir.

— Ah oui ? Tu vas faire des efforts comme les dernières fois où tu m’as dit que tu le ferais ? Tu parles d’efforts, j’ai l’impression que nous ne sommes que des clients pour toi, soupiré-je. Des plages horaires, tu t’entends ?

— C’est juste une mauvaise période à passer, mon Cœur. Je crois que si déjà on se retrouvait physiquement, tout irait mieux. Rien de tel qu’un câlin très coquin pour oublier tous ces différends, non ? Et comme ça, le reste suivra. Si tu me donnais envie de venir passer du temps, je peux t’assurer que je viendrais plus !

Je finis mon verre de vin et m’essuie la bouche avant de me lever. J’aimerais que cette conversation n’ait jamais eu lieu, parce que j’ai l’impression de ne pas reconnaître mon mari et je n’arrive pas à croire qu’il me colle, une fois de plus, tout sur le dos.

Je me penche sur la table pour approcher mon visage du sien, remarquant évidemment ses yeux qui profitent de mon décolleté. J’en rirais presque s’il ne m’avait pas agacée à ce point.

— Donc, qu’est-ce que je dois faire, Louis ? M’occuper de la maison, de notre fils, préparer les repas, nettoyer ton linge et t’attendre nue dans notre lit tous les jours ? Je dois passer mon temps à t’aguicher pour que tu daignes m’accorder ton attention ? Tu veux que j’arrête de bosser pour me consacrer à toi ? Je dois débouler dans ton bureau en lingerie pour que tu puisses tirer ton coup entre deux rendez-vous ? Ou pour espérer un dîner à l’extérieur comme ce soir ? Je dois te donner envie de rentrer à la maison ? chuchoté-je en glissant ma main sur sa cuisse. Tu te rends compte de ce que tu dis ?

— Je me rends compte que tout ça t’excite, petite coquine, répond-il en interprétant mes gestes sans prendre en compte mes paroles. Et que si tu étais libre tout le temps, tout ce que tu viens de dire pourrait être possible, en effet. Et qui sait ? On pourrait réessayer de faire un petit frère ou une petite sœur à Robin avec tout ça. Un enfant vraiment de nous deux, ça te plairait, non ?

Quelle enflure… Là, c’est trop pour moi.

— Tu te trompes totalement, Louis, ça ne m’excite pas, ça me dégoûte. Il va vraiment falloir que tu réalises que je ne suis pas ta chose, mon Chéri. Tu peux réintégrer le lit conjugal dès ce soir, je te le laisse, je dormirai dans la chambre d’amis. Et ne compte pas sur moi pour jouer l’aguicheuse. Moi aussi, il faut que j’aie envie, tu sais ? Et un mec qui me prend pour sa boniche et attend de moi que j’arrête de vivre pour qu’il puisse s’épanouir, ça ne me fait pas du tout envie. Sur ce, je te laisse finir de dîner, et payer aussi, puisque tu as les moyens. Je rentre retrouver mon fils.

— Mais, tu ne peux pas partir avant la fin du repas ! tente-t-il de me retenir. Et… je ne comprends pas, là. On discutait et je croyais que…

— Non, le coupé-je en récupérant mon sac. Tu discutes, tu cherches à m’influencer, tu imposes. Ce n’est pas ça, être un couple. Alors je vais être très claire, Louis. Ça fait dix ans que je vis pour ma famille, pour mon fils, pour toi, et c’est fini. Moi aussi, j’ai envie de m’épanouir, de vivre pour moi, d’avoir des objectifs autres que te satisfaire. Et tant que tu n’auras pas compris qu’il n’y a pas que toi qui comptes, tu peux aller te faire foutre pour qu’on couche ensemble.

Je me faufile rapidement entre les tables pour en finir avec cette conversation et bifurque dans la première rue pour m’éloigner au plus vite. Mon couple bat de l’aile, ce n’est pas une nouveauté et je sais que c’est censé être du cinquante-cinquante, sauf que sa façon d’être, ses exigences, son comportement, me semblent totalement inconnus. Est-ce que je me suis voilé la face pendant des années ? Ou cette recherche de reconnaissance professionnelle l’a totalement changé ?

Les larmes me montent aux yeux alors que je réalise que je ne parviendrai jamais à protéger Robin de tout ce qui se trame entre Louis et moi. Je ne vais pas pouvoir faire semblant éternellement…

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