33. Les souris dansent

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Oriane

Je souris en voyant Robin débarquer dans le jardin et venir m’enlacer avec force. Mon grand bébé a passé la nuit dernière chez ses grands-parents et, si j’en crois l’heure, un bon moment avec son père à l’agence, vu qu’ils l’y ont déposé après le déjeuner.

— Ça va, Trésor ? signé-je lorsqu’il me relâche.

— Oui. Papa est devant la maison, il veut te parler.

J’acquiesce en me retenant de grimacer et traverse la maison pour trouver mon mari, adossé contre le mur, le nez dans son téléphone.

— J’imagine que tu retournes bosser, c’est ça ? l’interpellé-je en guise de bonjour.

Louis lève le nez de son mobile et fait courir son regard sur mon corps avant de planter ses yeux dans les miens, un air contrit sur le visage.

— Oui, j’ai réussi à organiser des visites pour un couple qui n’est pas disponible en semaine. Désolé, Chérie.

— J’ai l’habitude. Bonnes visites alors, soupiré-je.

— Oriane…

Je ne prends même pas la peine de répondre malgré son ton suppliant et referme la porte derrière moi avant de m’y adosser. Le bruit de la rue est remplacé par le calme de l’entrée, auquel s’ajoute, au loin, le brouhaha du groupe d’invités réuni dans le jardin. Je ne devrais même plus être déçue, ça coïncide avec son comportement des derniers mois, après tout, mais son manque d’efforts alors que nous sommes en froid depuis maintenant plus de deux semaines me peine.

Je soupire et file à la cuisine, où Rachel est occupée à préparer un grand saladier de Mojito.

— Louis vient de déposer Robin et il est retourné bosser. Un invité de moins à votre petite sauterie…

— Il abuse… On dirait qu’il ne fait que t’abandonner ces derniers temps. Ça va aller, ma Poule ?

— Oui, oui, comme toujours. Au moins, je vais pouvoir dire et faire ce que je veux sans me soucier qu’il n’apprécie pas.

Je me poste devant la fenêtre de l’évier et observe la foule, mes yeux tombant quasi directement sur Hugo, occupé à tenter de discuter avec Robin. Rachel a invité l’agent immobilier pour le remercier pour la maison, mais aussi en espérant qu’il ramène son colocataire. Ma meilleure amie avait très envie de découvrir le stripteaseur et ça m’a fait rire, même si l’idée de me retrouver en présence à la fois de Louis et de l’homme qui m’attire et me donne des envies d’infidélité, ne me réjouissait pas.

— Bon sang, ça y est, Robin est en train d’apprendre des gros mots à Hugo, ris-je. Ce gosse est irrécupérable.

— Il s’est fait un nouvel ami, c’est bien, non ? Et un ami vraiment mignon en plus. Tu as vu son sourire ?

— Difficile de le rater ! Il est… Bon sang, j’ai pas souvenir d’avoir été aussi attirée par un mec de ma vie, grimacé-je en versant la limonade dans le saladier. C’est déstabilisant…

— Eh bien, quand le chat n’est pas là, les souris dansent, non ? Louis t’a abandonnée ? Va te faire plaisir et va discuter avec lui. En plus, tu as vu comme tu es bonne aujourd’hui ? Il va littéralement baver devant toi et te manger dans la main !

Je baisse les yeux sur ma petite robe d’été fleurie qui marque ma taille et s’arrête à mi-cuisses dans un tissu vaporeux. J’avoue que mon reflet dans le miroir m’a plu, ce matin. J’ai dégagé ma nuque en tressant mes cheveux sur une épaule, dénudée par de fines bretelles.

— C’est lui qui est canon, soupiré-je. Même en jean et tee-shirt, ça me dépite. Et tu as carrément raison, les lunettes, ça ajoute un charme indéniable !

— Allez, vas-y, je vais finir toute seule, ici. Enfin, non, je vais appeler Mathieu ! Et désolée si on prend un peu de retard, il est moins sage que toi, lui !

Je lève les yeux au ciel et quitte la cuisine pour regagner le jardin. Je parviens difficilement à esquiver les parents de Rachel pour finalement me planter dans le dos de Robin alors que j’ai déjà attiré l’attention de Hugo, qui ne fait pas dans la discrétion en me matant. Je prends mon air de Maman sérieuse et tapote sur l’épaule de mon fils, le faisant se retourner avec sursaut.

— Tu vas pouvoir remplir le bocal à gros mots, jeune homme, signé-je tout en parlant. Je t’ai vu !

La bouille de Robin est à la fois drôle et attendrissante. Pris sur le fait, il s’excuse et me promet de ne pas recommencer, puis fuit littéralement en allant au buffet.

— Tu dévergondes mon fils ? souris-je. Ou c’est lui qui a voulu te donner un cours de LSF peu conventionnel ?

— Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ! répond-il en souriant. Je suis content d’être venu, tu es… juste superbe. C’est même indécent d’être aussi jolie.

— Indécent, à ce point ? Tu n’es pas mal non plus, souris-je en m’asseyant sur le rebord d’un transat. Tu ne t’ennuies pas trop ?

— Oui, à ce point. Et non, je ne m’ennuie pas ! Entre ton fils qui m’apprend à dire “con” en langue des signes et sa mère qui parade devant moi, je suis comblé.

— Je ne parade pas, m’esclaffé-je. Je marche, c’est tout. Tu devrais peut-être me descendre de ce piédestal que tu sembles avoir installé pour moi, Hugo…

— Si tu descends et que tu te rapproches de moi, je ne vais pas pouvoir résister et on va faire des bêtises que tu risques de regretter après… Tu ne te rends pas compte à quel point tu es désirable, Oriane.

Je souris alors qu’il s’assied face à moi sur la seconde chaise longue. Je me rapproche du bord de la mienne, glissant mes jambes entre les siennes, écartées.

— La réciproque est vraie, j’en ai bien peur. Et… j’ai de plus en plus de mal à résister, pour ma part, soufflé-je en observant les autres, occupés à discuter.

— Ton mari n'est pas là ? me demande-t-il subitement, refroidissant ainsi un peu l'atmosphère.

— Non, apparemment il a des visites cet après-midi, avec un couple overbooké en semaine. Ou alors il va retourner à Deauville retrouver la vampire qui lui a fait un suçon ? Qui sait…

— Au moins, il ne m'a pas demandé de le faire et ça me permet d'être là avec toi. C'est quoi ton parfum ? J'aime beaucoup…

Il s'est penché un peu vers moi, comme s'il voulait juste mieux entendre ce que je dis, mais je constate qu'il est en train de se faire plaisir en matant ma poitrine qui réagit à cette attention soutenue.

— Mon parfum ? Vanille Monoï… Un petit artisan pour qui j’ai travaillé me l’a offert, c’est lui qui l’a fait. Un air de vacances toute l’année. Mes yeux sont plus hauts, Hugo, soufflé-je, le sourire aux lèvres.

— Désolé, répond-il en rougissant légèrement avant de poser son regard brûlant de désir sur moi. J'ai du mal à rester concentré, là.

Bon sang, je meurs d’envie de l’embrasser… Finalement, il aurait mieux valu que Louis soit là, il m’aurait été moins difficile de me tenir. J’ai l’impression que mon cerveau a perdu quinze ans, réveillé mes hormones d’adolescente, que mon corps répond à cet excès d’hormones en s’échauffant comme rarement. Je ris souvent en lisant des romances quand les nanas ont le souffle court sans même avoir été touchées, mais j’avoue que je fais moins la maligne, là. Mon rythme cardiaque s’est emballé et je peine à respirer normalement. La tension sexuelle entre nous est folle, et je me rends compte que la question n’est pas de savoir si je vais finir par craquer, mais quand ça va arriver. Je devrais m’éloigner, couper les ponts avec Hugo pour préserver mon mariage… Oui, je devrais.

— Je ne pensais pas que tu étais du genre à éteindre ton cerveau aussi facilement, me moqué-je en faisant glisser ma main posée sur ma cuisse jusqu’à ce que mes doigts atteignent la sienne.

— Moi non plus. Mais là, si ton fils si mignon n'était pas en train de revenir avec des verres pour nous, je crois que je t'aurais invitée dans un coin plus tranquille pour t'embrasser…

Je me redresse brusquement en l’entendant et grimace en constatant que j’ai totalement occulté l’endroit où nous nous trouvons. Robin, bien loin de mes pensées, avance difficilement avec trois verres réunis entre ses deux petites mains. Je l’aide dès qu’il est à proximité et le remercie d’un regard avant de tendre un verre à Hugo. J’ai atrocement conscience de nos doigts qui se touchent, comme si les sensations étaient démultipliées à chaque contact avec lui.

Je bois une gorgée de mon Mojito et dépose mon verre sur l’herbe avant de signer en parlant.

— Alors, Trésor, tu t’amuses bien ?

— Oui et toi ? Hugo est gentil et ne dit pas de bêtises comme avec moi ?

— Hugo dit des bêtises avec toi ? Est-ce que je dois le disputer ? souris-je en jetant un œil à l’intéressé alors que je mime tout en parlant.

— Comment ça, je dis des bêtises ? Je suis toujours sérieux, moi ! réplique l'intéressé en faisant une grimace qui fait éclater de rire Robin.

Mon petit cœur de Maman fond en voyant mon fils aussi léger et souriant, et s’attendrit encore un peu plus pour l’agent immobilier qui, depuis qu’il a rencontré Robin, se montre intéressé et adorable avec lui, faisant fi de son handicap tout en cherchant à communiquer avec lui. Je me souviens de cette soirée où il est venu dîner à la maison, et où il a plus interagi avec mon fils qu’avec ses collègues. Comment ne pas fondre en les voyant tous les deux, en bout de table, en train d’enseigner et d’apprendre la LSF ? Robin était tellement fier de lui enseigner !

— Robin dit que tu es loin d’être sérieux, mais que c’est cool, traduis-je en lui jetant un regard amusé. Il a raison, trop de sérieux, c’est ennuyeux.

— Oui, ce serait parfait si nous étions encore plus fous, tous les deux, n'est-ce pas ?

Je lui souris et acquiesce doucement avant de me tourner davantage vers Robin. Il faut que je fasse attention à tout, mon fils est du genre observateur… et je ne veux pas qu’il se rende compte de quoi que ce soit. Je crois que sa position, en ce moment, est déjà suffisamment compliquée comme ça, et mon souhait le plus cher reste encore de le préserver au maximum de tout ce qui touche à mon couple, et à mes folies. Mon dieu… j’ai tellement envie de craquer avec Hugo que j’en ai mal au ventre. J’ai l’impression que notre attirance est tellement forte qu’il suffirait d’une caresse pour que je sois au bord de la jouissance. Plus de dix ans à fréquenter le même homme, j’ai la sensation de redevenir une jeune vierge aussi excitée qu’angoissée à l’idée de partager un moment intime avec lui… Parce que j’en ai vraiment envie et que je vais devoir déployer de sacrés efforts pour que ça n’arrive pas.

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