29. Les Adonis au réveil

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Oriane

J’observe le plafond depuis facilement un bon quart d’heure, n’osant pas bouger de là. Qu’est-ce qui m’a pris de m’incruster comme ça chez Hugo et son colocataire ? J’aurais dû rentrer à la maison hier soir, même si je n’en avais aucune envie. Voilà que j’abandonne mon fils sur un coup de tête, tout ça pour… aller pleurnicher dans les bras d’un autre homme. Un employé de Louis. Un homme qui me plaît. Je fais n’importe quoi.

Je soupire en me levant finalement, enfile ma robe et tente de discipliner mes cheveux avant d’entrouvrir la porte qui donne sur le couloir. Je perçois du bruit à l’étage inférieur du duplex, mais personne sur le palier. Pour la seconde fois en quelques heures, je m’enferme dans cette salle de bain qui ne m’est plus si inconnue, me brosse les dents et me rafraîchis. J’ai des cernes, c’est horrible. Pourtant, j’ai bien dormi dans ce lit, une fois que je suis parvenue à trouver le sommeil. J’ai quand même cogité un bon moment, sur mon mariage, sur l’attitude de Louis, sur la mienne… et sur Hugo. Difficile de faire autrement quand tu te retrouves dans la chambre de l’homme en question. Décorée sobrement, elle m’a semblé particulièrement chaleureuse malgré cela et les affaires qui traînaient un peu partout. J’ai souri en voyant des bouquins ouverts sur son bureau, des vêtements empilés sur sa chaise de bureau. On aurait pu penser se trouver dans une chambre d’ado, en fait, et j’ai découvert une nouvelle facette de l’agent immobilier.

Je descends timidement les escaliers après avoir retrouvé forme humaine et m’arrête au bas pour observer mon sauveur du soir, occupé en cuisine. Cet homme est vraiment magnifique, y a pas à dire. Bon, son colocataire est pas mal non plus, j’en conviens, mais mes yeux sont irrémédiablement attirés par Hugo, dans son bas de jogging et son tee-shirt gris ajusté qui ne laisse que peu de place à l’imagination quant à sa silhouette affûtée.

Comme s’il avait senti mon regard sur lui, l’intéressé lève les yeux dans ma direction, les mains encore plongées dans l’évier où il fait la vaisselle. Il faut dire que tout l’appartement respire l’adolescence. Enfin, un peu moins ce matin, mais j’ai pu constater hier soir qu’ils n’étaient pas très à cheval sur le rangement.

— Voilà donc notre squatteuse.

Le ton de David est plutôt moqueur, et je leur offre un sourire contrit en approchant de l’îlot central.

— Je suis vraiment désolée de m’être incrustée, soufflé-je, mal à l’aise.

— Bonjour Oriane. Pourquoi es-tu désolée ? Tu n’as pas bien dormi ? L’accueil est si mauvais que ça, ici ? Ou alors, c’est la literie qu’il faudrait revoir ?

— Non, non, tout est… parfait. Qui ne rêve pas de trouver deux Adonis dans une cuisine à son réveil ? ris-je. C’est juste que j’ai clairement abusé de ta gentillesse…

— Deux Adonis ? Ça pourrait être mon nouveau nom de scène, ça ? se marre David en laissant traîner ses yeux sur moi. Et il n’y a pas que lui qui est gentil, moi aussi, je le suis !

— Sans moi, tu ne pourrais pas utiliser ce nom-là, se moque son colocataire. Et c’est normal qu’on t’accueille, Oriane, tu en avais besoin. J’espère que ça t’a fait du bien, cette prise de recul.

Est-ce que ça m’a fait du bien ? Oui et non. Honnêtement, m’éloigner de l’ambiance de la maison m’a sans doute été bénéfique. Pour le reste, je crois que je suis de plus en plus perdue. Les paroles de Hugo me tournent encore en tête ce matin. Je mérite qu’on prenne soin de moi… Oui, et Louis l’a fait il y a dix ans, il a été parfait durant nos premières années de mariage. Et hier soir, c’est un autre homme qui s’est occupé de moi… Si je me sens coupable par rapport à mon mari, je ne peux m’empêcher de me sentir bien, ici.

— Un nom de scène ? demandé-je finalement à David. Tu fais quoi ? De la musique ? Du théâtre ?

— Je suis dans le monde du spectacle, dirais-je. Et par certains moments, on peut dire que je fais du théâtre. Mais l’Adonis que tu vois devant toi est la star du Lotus Club ! Tu connais ? C’est une boite de striptease assez réputée dans le coin. Et pour tes beaux yeux, je veux bien faire un show privé quand tu veux et où tu veux ?

— La star ? demande Hugo en rigolant. Rien que ça ? Tu as les chevilles qui gonflent, toi ! Attends un peu que je croise ta cheffe et que je lui dise comment tu te la pètes !

— Le Lotus Club ? Non, je ne connais pas. Attends, tu es stripteaseur ? Nom de… Ok, m’esclaffé-je. Tu dois faire un tabac, j’avoue…

— Ouais, j’ai du succès ! La star, je te dis, quoi que puisse en dire l’autre jaloux ! Il faut dire qu’avec un corps comme le mien, je peux satisfaire les fantasmes de toutes les femmes, quelles qu’elles soient !

Je souris alors qu’il se lève pour déposer sa tasse dans l’évier, et mon regard dévie sur Hugo, qui n’a rien à envier à son colocataire, il faut le dire. Je suis sûre que Rachel s’imaginerait déjà au lit entre eux deux si elle était à ma place. D’ailleurs, peut-être bien que cette pensée m’a traversé l’esprit, mais je ne l’avouerai jamais. Rachel… qui va sans doute me poser un millier de questions suite à mon message de cette nuit lui demandant de me couvrir si des fois Louis la contactait. Je me suis fichue dans un sacré pétrin toute seule, comme une grande.

J’observe David quitter le coin cuisine et monter à l’étage, avant de détailler un peu plus attentivement leur appartement, moderne avec une touche d’industriel, dans cette vieille bâtisse de style normand à l’extérieur. Même le bazar qui y règne ne parvient pas à gâcher l’ambiance chaleureuse et conviviale du lieu.

— Il est sympa, ton coloc, déclaré-je finalement en contournant l’îlot pour me poster à côté de Hugo.

Je récupère le torchon posé sur le plan de travail et me rends utile en essuyant la vaisselle qu’il finit de laver. J’avoue que je n’ai pas envie de partir… J’abuse clairement, soyons honnêtes, et je n’en reviens pas du culot que j’ai encore ce matin. Je devrais partir en me confondant en excuses, à la place de quoi j’envahis littéralement son espace vital.

— Ne le dis pas trop fort, sinon il risque de ne pas avoir la même retenue que moi et te sauter dessus. Tu vas faire quoi, maintenant, alors ? Rentrer chez toi ?

Est-ce que je viens de me dire que j’adorerais qu’il me saute dessus ? Mon cerveau part en vrille…

— Je vais attendre que la maison soit vide pour rentrer… Pour le reste… on verra ce que ça donne ce soir, soupiré-je. J’avoue que tout ça me dépasse un peu.

— Je ne sais pas vraiment ce que je peux encore faire pour t’aider, mais n’hésite pas. Et, si je peux me permettre, il va falloir que tu te poses des questions sur ta relation avec Louis si tu en arrives à le fuir comme ça…

Je sais… mais je ne peux pas faire n’importe quoi. Louis m’a consacré dix ans de sa vie, après tout. Ce serait cruel de l’abandonner maintenant, non ? D’un autre côté, j’ai l’impression qu’on ne vit même plus ensemble. Des colocataires qui passent leur temps à se disputer ou à se faire la tête… Tu parles d’un mariage.

— Parfois il vaut mieux s’éloigner avant de devenir cruel dans ses propos… Je crois qu’on se blesse déjà suffisamment à chaque dispute. Je sais qu’il peut faire des efforts, et c’est sans doute ça, le pire. Quand il veut, il peut être plus présent à la maison, là pour Robin… pour moi aussi, même si…

Même si ce n’est plus pareil, c’est vrai. Mais c’est sans doute la même chose pour tous les couples. Dix ans de relation, c’est normal que les choses changent. De plus, Louis a toujours été ambitieux. Il adore son boulot et ne m’a jamais caché sa volonté de se faire un nom dans l’immobilier. Pour autant, je crois qu’on peut concilier vie professionnelle et personnelle, surtout lorsqu’on élève un enfant ensemble…

— Bref, continué-je en secouant la tête pour me remettre les idées en place. J’ai la journée pour y penser, on verra bien. Et tu m’as déjà bien aidée, je t’en remercie encore une fois.

— Tu vas rester ici toute la journée ? me demande-t-il, surpris. Je ne sais pas si Louis va me permettre de ne pas aller travailler aujourd’hui…

— Non, non, bafouillé-je en me sentant rougir. Je vais rentrer chez moi, j’ai suffisamment abusé comme ça.

— Je te le redis, tu n’abuses pas du tout, vu que ça me fait vraiment plaisir de passer du temps avec toi. Tu sais bien que je n’attends que ton accord pour aller plus loin dans notre relation.

Je soupire en m’adossant contre le plan de travail. Je n’arrive pas à croire que je puisse envisager de craquer. Tromper Louis n’a jamais été une option envisageable dans mon esprit. Entièrement centrée sur Robin et lui, je n’ai jamais répondu aux sollicitations que j’ai pu recevoir à droite, à gauche. Sauf que Hugo me plaît beaucoup… Il est gentil, attentionné, empathique… et bon sang, il est vraiment canon, il faut l’avouer. On ne se connaît pas beaucoup, et j’ai pourtant la sensation de pouvoir lui faire confiance.

— Je te mentirais si je te disais que tu ne me plais pas, avoué-je en me glissant entre lui et l’évier, nos corps à quelques centimètres l’un de l’autre.

— Eh bien, qu’est-ce qui te retient ? me demande-t-il en posant ses mains sur mes hanches, mais sans aller plus loin, me donnant une profonde impression de respect.

— Je n’ai jamais envisagé de tromper mon mari… A vrai dire, je déteste l’idée d’être infidèle, comme je détesterais d’être trompée… Et puis, tu mérites mieux qu’une mère de famille dans un couple bancal, disponible de temps en temps pour un peu de plaisir, non ? lui demandé-je en promenant mes doigts sur son torse.

— Peut-être que je pourrais m’en contenter pour l’instant, je ne serais pas contre essayer, vu comment la proposition est tentante. Une jolie femme comme toi mérite mieux que le peu d’attention et de respect que ton mari te consacre. Mais je comprends tout à fait que tu ne sois pas dans une situation facile et cette volonté de rester fidèle t’honore.

Il devrait me repousser, me dire qu’il n’est pas un passe-temps, que je ne peux pas me servir de lui pour me sortir de ce quotidien qui m’étouffe… Pourquoi est-ce qu’il me dit tout ça ?

— J’ai besoin d’un peu de temps… Tu as raison sur un point : il faut que je prenne du recul, je ne peux pas agir sur un coup de tête, même si tout ce dont j’ai envie, là, maintenant, c’est de t’embrasser.

— Un baiser, ce n’est pas si grave que ça, tu ne crois pas ? insiste-t-il en approchant son visage du mien sans toutefois oser me toucher.

Mon regard alterne entre ses yeux et ses lèvres, si tentantes… Les brumes de l’alcool que j’avais ingurgité la dernière fois rendent ce souvenir flou, mais je me rappelle de leur douceur, en contraste total avec la rugosité de cette barbe qui les encadre et les met en valeur…

Tant pis, j’aurai honte plus tard. Pas d’excuse valable aujourd’hui, j’en ai envie et j’agis. Je pose finalement mes lèvres sur les siennes en réduisant l’espace entre nous. Les mains de Hugo, posées sur mes hanches, viennent se loger sur mes reins et ma nuque, il m’enserre contre lui alors que nos langues se découvrent et se taquinent. Comment vais-je pouvoir résister à cet homme si rien qu’un baiser me laisse pantelante et brûlante de désir ? Mon cerveau est totalement déconnecté au profit des sensations qui m’ont assaillie. J’ai outrageusement conscience de son corps pressé contre le mien, de son excitation apparente logée contre mon bas-ventre, et je ne rêve plus que de son corps nu contre le mien.

C’est un raclement de gorge dans mon dos qui nous sort tous les deux de cet instant hors du temps, et je rougis plus que de raison sans pouvoir me retourner.

— Désolé de vous déranger, mais tu vas être en retard au boulot, Hugo… T’as pas une visite, ce matin ?

— Mêle-toi de ce qui te regarde, David, répond-il, agacé, alors que la magie du moment est brisée.

— Disons que tu paies la moitié du loyer, donc ça me regarde à moitié quand même, non ?

— Je vais y aller, de toute façon, j’ai… moi aussi du boulot, soufflé-je en déposant un baiser sur la joue de Hugo. Encore merci pour l’accueil, et pour hier soir…

— N’oublie pas que tu es la bienvenue à tout moment. Même si tu ne pourras utiliser que la moitié du canapé ou de l’appartement, me chuchote-t-il en souriant.

Je pouffe et me retiens de l’embrasser à nouveau, préférant m’éloigner. Je n’ose pas croiser le regard de son colocataire, et récupère mon sac à main avant de quitter les lieux. Je sais que je devrais regretter ce moment. C’est ce que toute personne normale ferait, non ? Je devrais m’en vouloir d’avoir embrassé un autre homme que le mien… Pourtant, alors que je foule la rue commerçante du port, je ne quitte pas le petit nuage sur lequel j’ai atterri. J’aurai bien le temps de regretter plus tard, j’ai juste envie de savourer cette bulle de bien-être que Hugo m’a offerte, d’abord en me permettant de vider mon sac hier soir, puis en m’hébergeant, avant de m’offrir un baiser de folie qui ne m’a pas laissée indifférente… Et si je lâchais prise ?

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