16. La seule dans ses pensées

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Hugo

Je m’approche du local des Restos et j’avoue que j’y vais un peu à reculons. Avant de partir, j’ai reçu un SMS de Rébecca qui m’a rappelé que je lui ai fait des avances il y a quelques jours. Elle a l’air de s’être chauffée toute seule et semble prête à passer à l’étape supérieure. Je ne lui ai pas répondu, mais je ne suis pas sûr que ça la calme. Et pourquoi n’ai-je plus envie de m’amuser, d’ailleurs ? Peut-être parce que je ne pense qu’à la femme de mon patron depuis qu’elle est venue manger avec moi ? Purée qu’elle est jolie. Et élégante. Et magique. Et… Pfiou, il faut que j’arrête de toujours penser à elle. Je tourne en rond, là, et ça va me rendre fou.

Je franchis la porte et, bien entendu, Rébecca me saute presque dessus pour me faire la bise qu’elle appuie. Un mot de ma part et elle se déshabille devant moi, on dirait.

— Bonjour Rébecca, tout va bien ?

— Tout va très bien, merci. Et toi ? La forme ? Tu as eu mon message ? Je pensais que tu viendrais un peu plus tôt pour qu’on ait cette fameuse conversation.

— Quelle conversation ?

Je sais, je joue à l’idiot, mais peut-être que ça va suffire à lui faire comprendre que je ne suis plus dans le mood d’aller plus loin avec elle.

— OK… Tu étais ivre quand tu m’as envoyé ces messages ? Ou tu l’es maintenant ? Si c’est une façon de draguer, c’est un peu limite, quand même, rit-elle.

— Ce n’est pas ça, Rébecca… Pour être honnête avec toi, je te trouve vraiment très mignonne et… je croyais que j’étais prêt à tenter quelque chose avec une femme, mais je ne le suis pas encore. Cela n’a rien à voir avec toi… C’est juste que…

Elle ne me laisse pas finir et passe ses bras autour de mon cou pour m’embrasser. Surpris, je ne réagis tout d’abord pas avant de la repousser gentiment.

— Tu vois, il n’y a pas de connexion, tenté-je de dire.

— Je ne te demande pas de m’épouser non plus, Hugo. Mais… si tu n’es pas prêt, je ne vais pas faire du forcing, ce n’est pas mon genre. Tu ne sais pas ce que tu perds, Beau Gosse, tu t’en mordras les doigts, un jour ou l’autre.

Le regard qu’elle me lance contredit un peu ses propos. J’ai l’impression qu’elle me désire énormément mais qu’elle se retient. De la voir ainsi, mon corps commence à réagir légèrement et je me dis que finalement, ça pourrait me faire du bien de me laisser aller un petit peu et de profiter du moment. Je suis sûr qu’elle pourrait m’aider à oublier Valérie et ça fait trop longtemps que je suis abstinent pour rester indifférent face à ce désir que je ressens chez elle. Mais elle semble avoir fait le deuil de cette possibilité car déjà elle se retourne et se dirige vers la porte pour ouvrir aux familles qui attendent devant l’entrée.

— Rébecca, l’appelé-je doucement alors qu’elle se stoppe et se tourne vers moi, dans l’expectative. Non, rien, je suis désolé de t’avoir donné de fausses idées…

— Je m’en remettrai… Fais-moi signe si tu changes d’avis. Enfin, si tu changes vraiment d’avis, Beau Gosse, me lance-t-elle en me faisant un clin d’œil.

Ça arrivera peut-être un jour, mais là, la seule femme qui me fait envie est inaccessible et doit passer nous voir cet après-midi. Et quand je pense à elle, j’ai bien d’autres envies qu’envers Rébecca. Hier soir, d’ailleurs, j’ai imaginé lui retirer sa jolie robe et je me suis fait jouir plusieurs fois en fabulant plein de scénarios tous plus indécents les uns que les autres.

Le début de l’après-midi se passe tranquillement et je profite d’être dans le magasin, bien occupé à servir les personnes qui se présentent et qui ont besoin pour calmer mon esprit qui s’est bien échauffé. Quand l’objet de mes fantasmes récents se pointe enfin, Rébecca l’accueille en souriant mais je m’approche également. Je profite que les deux femmes discutent pour faire des grimaces à Robin en essayant de ne pas me faire remarquer par sa mère qui, encore aujourd’hui, est ravissante, vêtue de son petit jean et de son top trop sérieux pour être vraiment excitant. Quoique…

Robin me fait un signe que je ne comprends pas mais qui attire l’attention de sa mère.

— Bonjour Oriane. Désolé, je n’ai pas compris ce que ton fils vient de me dire, je ne maîtrise pas la langue des signes.

— Bonjour, Hugo. Je crois que Robin vient de te dire que tu avais une tête bizarre quand tu fais des grimaces, rit-elle en signant en même temps. Oui, enfin, il a utilisé un gros mot que je ne répéterai pas et qui lui coûtera un euro.

— Un euro pour un gros mot ? Mais c’est abusé, dis-je en faisant attention à bien articuler devant le petit. Refais-moi le signe, Robin ! demandé-je, un peu excité.

— Ah non, certainement pas ! Ne dévergonde pas mon fils, ça va pas ? plaisante-t-elle en attrapant les mains de Robin pour l’empêcher d’agir.

— Oui, c’est vrai que ce n’est pas sérieux. Tu es venue pour les jouets, c’est bien ça ? Il y en a beaucoup ?

— J’ai trois cartons dans le coffre, plus le sac qui est là… Il faut croire qu’on a trop gâté cet enfant. J’ai vérifié les puzzles et jeux de société, ils sont complets… Bref, il y a de quoi faire.

— Ça devrait aller, je m’en occupe. Robin, tu viens m’aider ? Avec tes muscles, ça va aller vite !

— Ben voyons, parce qu’étant une femme, je n’ai pas de muscles, me toise-t-elle en souriant avant de me tendre les clés de sa voiture.

— Non, parce que tu es une femme, tu peux profiter de ma galanterie et te reposer un peu, c’est tout. Fais comme Rébecca, abuse de ma gentillesse.

— Il ne faut pas abuser des bonnes choses, non plus. Mais mon dos te remercie, je vais en profiter pour discuter avec Rébecca de ce que tu m’as suggéré hier.

— Allez, viens, Bonhomme, les grandes personnes ont à discuter. Nous, on va aller s’amuser à porter plein de jouets !

J’apprécie le sourire que me lance la jolie brune et j’emmène son fils avec moi. Il a l’air ravi de ma proposition et sautille à mes côtés jusqu’à leur voiture. Je lui donne un des petits cartons et prends les deux autres pour les ramener jusqu’à notre réserve.

— C’est bien de donner tout ça, Robin. Ça va faire plaisir à plein d’enfants qui n'ont rien. Tes parents doivent être fiers de toi.

Le petit tire sur mon tee-shirt pour attirer mon attention avant de me montrer ses yeux, sous le rire de sa mère.

— Il m’arrive encore d’oublier… Tu vas finir par t’y faire, même s’il y aura des ratés. A quelle heure tu finis ici ? Robin… Il voulait t’inviter à manger une glace sur le port. Je crois que tu l’intrigues beaucoup…

— Eh bien, si Rébecca me libère, on peut y aller tout de suite. Tu crois que tu vas t’en sortir, Rébecca ? Le petit m’offre une glace, je ne peux pas refuser !

— Tu es bénévole, je ne peux t’obliger à rien… mais, je devrais m’en sortir, oui.

— On n’est pas loin. S’il y a un rush, tu m’appelles et promis, dans les cinq minutes, je suis là. A la semaine prochaine !

Je constate qu’elle est déçue de me voir partir et que ça n’a rien à voir avec le travail, mais c’est ça aussi, la vie. Des fois, il y a des opportunités et on les rate, et ensuite, c’est trop tard. Je prends la main de Robin qui prend aussi celle de sa mère et c’est lui qui nous entraîne, qui nous fait presque courir pour le suivre jusqu’au glacier qui se trouve près du Carrousel.

— Robin, dis-moi comment tu dis “chocolat” ! C’est le mot le plus important à savoir dans toutes les langues !

Le petit utilise deux doigts de sa main droite pour frotter les articulations au début des doigts de sa main gauche. J’imite le geste un peu maladroitement, je trouve, mais Robin et sa mère m’applaudissent alors que le vendeur nous regarde un peu bizarrement. Sans parler, je me tourne vers lui et reproduis le geste en mimant de la bouche le mot puis en montrant la glace au chocolat derrière la vitrine. Amusé, il me sert et je le remercie en joignant les mains et en m’inclinant, un peu à la façon d’un chinois qui salue dans une BD de Tintin. Je sais que ce n’est pas comme ça qu’on dit officiellement merci, mais c’est l’intention qui compte. Et nous repartons tous les trois vers le banc qui se trouve à côté. Nous nous asseyons, Robin entre nous deux.

— Bon, j’ai encore des progrès à faire sur la langue des signes, mais je crois que j’ai du potentiel, non ?

— Il va falloir s’accrocher, mais oui, effectivement, j’ai l’impression que tu peux vite apprendre. C’est… gentil de ta part, de t’intéresser. Ça touche toujours Robin qu’une personne essaie de communiquer avec lui autrement qu’à travers ceux qui parlent déjà la LSF.

— Moi, je n’y connais rien en LSF, mais je sais que le geste et le corporel parlent autant que le verbal. Il y a plein de choses que l’on peut exprimer sans dire un seul mot. C’est même parfois plus facile de faire passer plein de choses en silence, tu ne trouves pas ?

Robin applaudit à mes paroles et je suis surpris de voir qu’il continue à lire sur mes lèvres. Je lui souris et profite de notre petit échange pour admirer sa mère. Elle a l’air beaucoup moins tendue que quand elle est en présence de Louis et je la trouve encore plus belle. Il faudrait vraiment que j’arrête de passer mon temps à la reluquer…

— Nous validons, sourit-elle. Je crois que Robin est plus impressionné quand je me fâche en silence que lorsque je gesticule pour le disputer. Ils font des cours gratuits de LSF sur le net, si tu veux l’impressionner la prochaine fois que tu le vois. Et si tu as un peu de temps, pendant ta pause déjeuner en solitaire, par exemple…

— Parce que tu ne comptes plus venir m’offrir à manger ? Mais je vais dépérir, moi ! me moqué-je doucement en me disant intérieurement que si elle veut, elle peut venir tous les jours.

— Qui sait, peut-être que je vais augmenter la fréquence de mes passages à l’agence…

Je suis surpris par sa réponse qu’elle fait en regardant les bâteaux devant nous. Robin, lui, essaie de suivre en tournant la tête de l’un à l’autre et je lui fais un petit clin d'œil avant de dire sans parler : “Elle est belle, ta maman.” Il acquiesce et pose sa joue contre le bras de sa mère, ramenant l’attention d’Oriane sur nous.

— Je rêve ou vous discutez sans moi, là ? demande-t-elle en signant. Faites attention, je vais être jalouse.

— Secrets de mecs ! dis-je en riant avant de tendre la main à Robin qui me fait un check en riant aux éclats. Tu ne sauras jamais ce que l’on s’est dit, je suis sûr que ton grand garçon va garder le silence !

— Là, je ne te garantis rien. Robin est une pipelette, et je suis sa confidente préférée.

— Tant pis, je pense vraiment ce que je lui ai dit. J’espère que ça te fera plaisir quand mon secret sera éventé. Je vais vous laisser avant de dire encore plus de bêtises. Merci pour la glace, dis-je à Robin en portant ma main à mon menton avant de l’ouvrir vers lui.

Je sais que ça veut dire merci en langage des signes américain et j’espère que c’est la même chose en français.

— A très vite, Oriane. Deux fois en deux jours, je peux compter sur le jamais deux sans trois ?

— C’est bien possible… Qui sait ? Merci de nous avoir accompagnés, me dit-elle en reproduisant le signe que je viens de faire. Bonne fin de journée, et au fait, offre une bière à tes collègues après le boulot, si tu veux vraiment te fondre dans le groupe. Ça t’évitera peut-être de jouer le secrétaire pendant qu’ils se gavent de moules-frites.

— Je crois que ça ne me dérange pas du tout de jouer le secrétaire, quand tu passes. Bonne fin de journée !

Je m’éloigne après les avoir salués pour retourner à mon appartement. Je suis en train de jouer avec le feu avec Oriane, et je le sais. A chaque fois que je la vois, mon envie d’oublier qu’elle est mariée avec mon patron devient plus forte et je ne sais pas si je vais résister à tous les désirs qu’elle fait naître chez moi. Et le pire, c’est que je me moque des éventuelles conséquences. Un signe précurseur de folie ?

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