10. La fête est finie

8 minutes de lecture

Hugo

Je commence à prendre mes marques au sein de l’agence et c’est tant mieux car ce n’est pas facile de s’intégrer dans une équipe qui est déjà bien soudée. Il faut se faire sa place, surtout à un poste qui a été créé pour moi et qui n’existait pas auparavant. Ces trois premiers jours, je n’ai pas eu beaucoup d’autonomie, j’ai surtout accompagné Etienne pour voir comment il travaille et comment trouver de nouveaux clients selon eux. J’ai aussi vu leur technique pour garder les anciens et je me rends compte que, contrairement à mes expériences précédentes, celui qui est mis au centre de tout ici, c’est le client. Louis peut être très désagréable parfois, mais il y a une chose qu’il ne faut pas lui enlever, c’est sa compréhension des besoins du marché. Des agences immobilières, il y en a des centaines, mais des agences qui s’adaptent aux besoins variés de ses clients avec autant d’attention aux détails, il y en a très peu.

Ce matin, j’ai un peu de prospection à faire, il nous faut trouver des biens à mettre en vente si on veut remporter un peu d’argent. Mais le plus important, ce sont toutes les réunions qui vont s’enchaîner toute la journée. On se voit d’abord pour préparer la réunion avec la mairie, ensuite on voit la Mairie et après, on refait une réunion pour débriefer. Et pendant ce temps-là, le reste de l’activité de l’agence s’arrête. Tout ceci montre le degré de stress de Louis et l’importance du marché pour notre avenir.

Voulant me faire bien voir, j’arrive le premier dans la salle de réunion où je suis bientôt rejoint par Fabienne qui s’installe en soupirant à mes côtés.

— Tu as l’air au bout de ta vie ! me moqué-je gentiment. C’est si terrible que ça de venir en réunion ?

— Quand tu passes ton temps à prendre des notes en écoutant tout un tas de testostérone blablater, je t’assure que oui.

— Je ne savais pas que ça parlait, la testostérone ! Moi, je suis un peu excité, c’est le début d’une belle aventure, ça, non ?

— Oui, oui, bien sûr ! C’est génial pour l’agence. Mais voilà dans quel état ça vous met. Excités comme des puceaux, mon petit, ou stressés comme pas possible. Y a qu’à voir Louis, tendu comme un string depuis mardi matin, il ne parle plus que de ça.

L’intéressé arrive à ce moment-là, escorté du reste de l’équipe. Sans un regard vers nous, il s’installe et lance le vidéoprojecteur pour afficher une présentation qu’il a intitulée : “Opération Vente à Gogo”. Il y a de la recherche, là, c’est clair. Je suis obligé de réprimer un sourire et attends qu’il lance les hostilités. Il prend son temps en rassemblant ses notes puis se lance dans une intervention dont il est l’unique voix. Il faut à la fois que je prête attention à tous les détails qu’il donne sur le contexte qui ne m’est pas du tout familier, mais aussi à tout ce qu’il explique dans la stratégie de l’agence. C’est passionnant mais aussi très lourd et je suis soulagé quand il arrive au bout et qu’il demande :

— Qui a des questions ? La stratégie est claire pour vous ? On va pouvoir parler d’une seule voix devant la Mairie ?

Je lève doucement la main, un peu inquiet d’être le seul à prendre la parole alors qu’un silence un peu pesant s’est installé. Je crois que je dois être tout rouge tellement je n’ai pas l’habitude de m’exprimer ainsi devant un groupe.

— Dans la présentation tout à l’heure, il n’y a que toi qui vas parler ou tu attends de nous qu’on donne aussi notre opinion ?

— Ça dépend de comment se passe la réunion. Dans l’idée, je déroule la présentation et les élus posent les questions ensuite, et tout le monde est amené à répondre. En gros, vous répondez aux questions si vous êtes sûrs de vos infos. Essayez de ne pas vous couper la parole, quand même.

Comme personne d’autre ne prend la parole, je préfère ne pas me mettre plus en avant que je ne l’ai déjà fait et évite de me faire à nouveau remarquer. C’est impressionnant, pour moi, et je commence à m’inquiéter de la rencontre de cet après-midi où il y aura tous les officiels. Heureusement qu’il n’attend pas de chacun de nous qu’on prenne la parole. Si j’ai bien compris, c’est lui qui mène la danse et nous, on fait les pom pom girls derrière, ce qui me convient tout à fait. Aucun besoin de me mettre en avant.

Nous partons tous ensemble à la mairie et je monte dans la voiture avec Vianney au volant pour me rendre à la Mairie.

— Alors, stressé, on dirait ? Tu sais que c’est le boss qui va faire le show ?

— Oui, je sais, mais je viens d’arriver. Tu imagines si je dis une bêtise ? Ou pire, si je ne parle pas alors que c’est attendu de moi ? Je n’aime pas trop ce genre de réunions avec autant d’enjeux.

— Moi non plus, en fait, mais Louis assure et Etienne aussi. Ils aiment se faire voir. Moi, je préfère discuter avec un petit couple qui cherche son nid douillet et aller négocier un prix avec un vendeur plutôt que de me retrouver avec tous ces costards autour d’une table. C’est pour ça qu’on bosse ensemble, chacun sa spécialité. Si tu ne parles pas, ce n’est pas bien grave. Reste attentif, acquiesce quand c’est nécessaire, feuillette tes documents quand les autres le font et ça va le faire. Je les entourloupe comme ça, moi.

— Ça a l’air facile quand tu présentes ainsi les choses ! ris-je alors qu’il se gare pas très loin du Carrousel. En route alors, pour impressionner les costards.

— Ça l’est, je t’assure. Honnêtement, Louis préférera que tu ne dises rien plutôt que tu dises une connerie, OK ? Tu débarques, en plus, donc c’est compréhensible que tu ne sois pas dans le bain. Ce projet… on le bosse depuis des mois, lui et moi. L’appel d’offre était une aubaine pour nous, on maîtrise tout sur le bout des doigts. Il veut envoyer un message fort en amenant l’équipe complète, mais on aurait pu y aller à deux.

Effectivement, la réunion, après un tour de table un peu pompeux, est une simple formalité pour lancer le chantier et officialiser devant les deux journalistes locaux le lancement de l’opération. Louis a l’air heureux comme jamais et gère les questions et les demandes en vrai professionnel. De mon côté, je me contente de hocher la tête en silence, en espérant que ça me donne l’air intelligent et compétent. Je ne peux m’empêcher de me rappeler que notre responsable aurait dû être en repos et passer la journée avec sa charmante épouse, qu’on aurait dû gérer la réunion sans lui. Heureusement pour nous qu’il est venu !

Lorsque nous sommes de retour à l’agence, tout le monde se congratule. Louis ramène le champagne pour la deuxième fois de la semaine et nous trinquons à ce beau marché qui vient de nous être confirmé. Les chiffres avancés font un peu peur, ils parlent de millions d’euros et le moment est assez euphorique jusqu’à ce que la porte d’entrée s’ouvre sur Oriane qui déboule, accompagnée de Robin. Le silence se fait immédiatement et tous nos yeux, curieux, se tournent vers le couple. On se croirait presque dans un western, avec les deux cowboys chacun à un bout de la pièce et leurs regards qui s’affrontent.

— Oriane ? Il y a un problème ? lui demande assez froidement son mari.

— Bonjour à tous. Je suis désolée d’interrompre votre petite fête, mais il est l’heure pour le patron de s’occuper de son fils et d’aller évacuer le champagne ingurgité en faisant du sport. Besoin que je t’y conduise, mon Chéri, ou tu peux prendre le volant ? sourit-elle d’un air innocent qui en est pourtant loin.

— Il est déjà l’heure ? demande-t-il en faisant signe à son fils de venir. Mince, je ne suis pas prêt. Je n’ai même pas ma tenue, grommelle-t-il après avoir fait un bisou à Robin.

— Heureusement que je suis une épouse très prévoyante et que ton sac de sport est dans mon coffre. Je te l’ai dit, Louis, moi, pas de problème, mais lui, c’est hors de question. Vous devriez y aller, vous allez être en retard et je sais combien tu détestes ça.

— La fête est finie, les collègues. Bonne soirée à tous et encore bravo pour le boulot tout à l’heure.

Sur ces mots, il attrape son fils dans ses bras et sort, suivi par son épouse alors que nous restons tous silencieux suite à l’interruption non prévue de notre petite célébration. Je récupère mes affaires dans mon bureau et salue mes collègues avant de sortir. Je suis surpris de tomber sur Oriane qui semble comme pétrifiée sur le trottoir.

— Tout va bien ? Il a bien récupéré son sac ? Joyeux anniversaire de mariage, au fait.

— Je… Oui, oui, tout va bien. Désolée pour le petit spectacle, c’était ridicule, je ne sais pas ce qui m’a pris, grimace-t-elle en détournant le regard.

— C’est bien d’essayer de préserver votre fils, en tout cas. Je suis sûr qu’il n’aurait pas aimé rater son activité avec son père. Il a de la chance de vous avoir, dis-je sans préciser de qui je parle.

— Hum… Je commence à haïr cette agence. Robin ne mérite pas que son père le délaisse pour fêter un contrat, ou pour une quelconque réunion d’ailleurs. Ce n’est qu’un enfant, il n’a rien demandé. Bref, je ne vais pas commencer à m’épancher sur le sujet, excusez-moi, Hugo. Comment ça se passe pour vous ici, alors ? La première semaine est agréable ?

— Pour moi, ça va. Je trouve ma place. Enfin, je crois. Les journées de réunions que je passe à me faire oublier, ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je préfère le contact avec les clients, rendre possibles leurs projets…

— Heureusement que les réunions ne sont pas le gros du travail, alors, sourit-t-elle. On vous a déjà confié des clients ? Ou Vianney tient à tout prix à ce qu’Etienne vous forme alors que vous avez déjà de l’expérience ?

— Ils me forment encore, oui. Mais ça devrait bientôt évoluer, j’arrive à leur montrer que je ne suis pas un débutant qui n’y connait rien. Bonne fin de soirée, Oriane. J’espère qu’ils ne vont pas rentrer trop tard et que vous pourrez avoir un petit temps de fête chez vous quand même.

— Merci, bonne soirée à vous aussi, Hugo. Et passez le bonjour à David de ma part. À bientôt…

J’ai un peu de peine à la quitter là, comme ça. J’ai envie de la réconforter et de la prendre dans mes bras tellement elle a l’air triste. J’ai l’impression qu’elle se sacrifie pour que sa famille continue de fonctionner normalement et je l’admire pour ça. J’en veux à Louis pour ne pas se rendre compte de la chance qu’il a de l’avoir dans sa vie et me promets que si un jour, je suis en couple, je ferai tout pour rendre ma partenaire heureuse. Espérons que ce soit une femme comme Oriane !

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