05. Légers contretemps

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Oriane

— Votre mari n’est pas là ?

Je retiens de peu le soupir qui menace de franchir mes lèvres. Elémentaire, mon cher Watson, quel sens de l’observation ! Elle a l’œil, maîtresse Sabine.

— Non. J’ai des horaires modulables, lui a des obligations, et un appel en début d’après-midi pour un rendez-vous à seize heures, c’est un laps de temps trop restreint pour qu’il puisse se libérer. Pourquoi ? Nous devons être deux pour entendre, une fois encore, que Robin a du mal à s’intégrer ?

— Non, non… Je ne vous ai pas demandé de venir à ce propos. Asseyons-nous, Madame Rosenthal.

Je la suis et suis bien contente qu’elle me propose une chaise ordinaire en face de son bureau. La maîtresse de CP-CE1 me faisait asseoir comme une enfant à l’un des pupitres des gosses, un vrai calvaire. Si je l’aimais bien, davantage que celle de cette année de CM1 pour Robin, je finissais avec un mal de fesses pas possible et l’impression de m’être recroquevillée sur moi-même. Parce que ce genre de convocations arrive un peu trop fréquemment quand on a un enfant différent. Pour X ou Y raisons, d’ailleurs.

— Je vous écoute. Rien de grave, j’espère ?

— Juste un petit contretemps, en vérité. Je pense qu’on va s’en sortir quand même.

Elle est scénariste ou écrivaine, pour faire durer le suspens de la sorte ? Ça m’agace, cet effet de surprise, et la moue que je dois lui adresser semble faire son petit effet puisqu’elle reprend.

— Il se trouve que Maxime s’est cassé la cheville dans l’escalier qui mène au bureau de la directrice, ce matin… Il… il est en arrêt de travail pour six semaines minimum.

Mes épaules s’affaissent et cette fois, aucune retenue pour le soupir que je pousse. Bon sang, Robin va vivre un calvaire pour les six semaines à venir, minimum.

— Un petit contretemps, vous dites ? Vous vous moquez de moi ? A moins qu’il ait un remplaçant d’ici une semaine maximum, évidemment, et là, je pourrais classer cet incident dans la longue liste des contretemps dans la scolarité de mon fils.

— Il y a peu de chance pour qu’il soit remplacé, Madame Rosenthal, vous savez bien qu’il est déjà compliqué d’avoir un AVS, alors un remplaçant… Je suis désolée, la directrice a appelé le Rectorat dès que Maxime nous a informées de son arrêt afin d’en faire la demande, mais… vous savez ce que c’est.

— Oui, je sais qu’il va encore falloir que je monte au créneau et que je fasse du grabuge pour espérer obtenir ce que nous voulons, dans l’intérêt de Robin. Qu’est-ce que vous comptez faire au quotidien, en attendant ? Entendons-nous bien, je comprends que votre classe est surchargée, que vous n’avez pas le temps de faire autant d’individuel que vous le souhaiteriez, mais… il a besoin d’aide.

Maîtresse Sabine se mordille l’intérieur de la bouche comme si elle réfléchissait. Il faut croire qu’elle a davantage pris le temps de penser à comment m’annoncer la nouvelle sans que je fasse un scandale plutôt qu’à ce qu’elle pourrait mettre en place.

— Je vais changer la disposition de la classe pour qu’il soit à nouveau devant, près de moi. Ça lui permettra de lire plus facilement sur mes lèvres. Pour le reste, vous savez que je fais au mieux, vu mes moyens. Je serai vigilante, je vous l’assure.

— J’espère. Si je vois que son travail en pâtit, je risque de jouer moi-même l’AVS et je doute que vous appréciez ma présence dans cette classe. Sans compter que ça ne l’aiderait pas avec les autres… Est-ce que vous vouliez discuter d’autre chose ou je peux y aller ? Robin a tennis avec son père, ce soir, il faut qu’il soit prêt quand il rentrera, souris-je poliment alors que j’ai juste envie de hurler.

— Non, non, vous pouvez y aller, bien sûr. Merci d’être venue et, encore une fois, je suis désolée.

— A moins que vous ayez poussé Maxime dans les escaliers, vous n’y êtes pour rien.

Elle me gratifie d’un sourire contrit et me raccompagne à la porte de la classe. Je profite de l’air frais pour prendre quelques inspirations et essayer de me calmer. Je sais que j’ai peu de chance de parvenir à mes fins, mais j’appellerai quand même le Rectorat dès demain matin, et j’irai faire le pied de grue au bureau de Lisieux si nécessaire, même à Caen s’il le faut. La liste des choses à faire s’allonge dans mon esprit au fur et à mesure que mon cerveau tente de trouver des solutions, notamment avec l’association des parents d’élèves ou celle qui m’a accompagnée pour la scolarisation de Robin en école ordinaire.

J’avance sur le chemin en me sommant de ne pas me mettre à pleurer devant cette nouvelle montagne, et rejoins mon fils, installé sur un banc en train de faire ses devoirs.

— On y va, Trésor ? On va être en retard, signé-je en attrapant son cartable.

Comme s’il lisait sur mes traits malgré le masque que je me suis recomposé, Robin ne discute pas et range son cahier avant de me prendre la main pour rentrer. Je me raccroche à lui sur le chemin, nous papotons un peu de l’école et de l’absence de Maxime. Je lui aurais bien offert une glace, mais vu la file d’attente devant la boutique, ce sera pour un autre jour. De toute façon, je lui ai ramené un goûter à l’école pour ne pas perdre trop de temps, je crois que c’est moi qui avais besoin d’une bonne grosse dose de chocolat et de sucre, finalement.

Louis sort de sa voiture lorsque nous passons le portillon. Ses cheveux sont dans tous les sens, comme s’il avait passé la journée à marquer son agacement des nombreux passages de sa main dedans, ou qu’il avait passé l’après-midi à la plage, au choix. Je pourrais presque opter pour le second choix vu le sourire qu’il adresse à Robin quand il le prend dans ses bras pour le saluer.

— File te changer, Champion, signe-t-il avant de m’embrasser à mon tour.

— Tu as passé une bonne journée ? le questionné-je en m’engouffrant dans la cuisine pour me préparer un café.

— Pas vraiment, mais on a survécu. Un propriétaire nous a fait revoir toutes les offres qu’il a déposées, avec la menace d’aller voir ailleurs si on ne le faisait pas dans la journée. Une vraie galère. Vivement que le nouveau collaborateur arrive.

— Lundi prochain, c’est ça ?

— Oui, c’est bien ça. Il faudra que tu ramènes des verres pour son pot d’accueil, d’ailleurs. C’est à dix-sept heures.

Je papillonne des yeux en me repassant sa phrase en tête pour être sûre de la comprendre.

— Pardon ? J’ai autre chose à faire lundi à dix-sept heures, Louis.

— Eh bien, tu repousses ou tu reportes, c’est tout. On a mis exprès en soirée pour que toutes nos épouses et compagnes soient là.

— Ben voyons, je vais repousser l’orthophoniste ? Tu crois quoi, que tu peux me siffler pour que je rapplique ? m’agacé-je.

— C’est important que tu sois là. J’ai l’air de quoi, moi, si ma propre épouse me lâche ? Le nouveau va tout de suite se barrer s’il pense que je ne suis même pas capable de faire venir ma femme à son pot d’accueil !

J’ai envie de lui envoyer ma tasse en plein visage pour le faire taire, là. Ou de lui dire de bien aller se faire voir. Une part de moi me dit de temporiser, de me calmer, qu’il ne sert à rien de chercher le conflit, mais il vient de laisser tomber la goutte d’eau dans le vase de ma fin de journée pourrie.

— Moi, moi, moi, il n’y en a jamais que pour toi, c’est pas possible ! C’est quand, la dernière fois que tu m’as demandé comment s’est passée ma journée à moi ? Oh, et au cas où ça t’intéresserait, le rendez-vous avez la maîtresse de Robin s’est plutôt bien passé, juste un petit contretemps et six semaines sans AVS, mais oui, je vais apporter tes foutus verres et jouer l’épouse modèle à ta petite sauterie plutôt que d’aider notre fils, évidemment !

— C’est quoi, cette histoire d’AVS ? Il a démissionné ? Et c’est quoi le rapport avec le pot ? Je ne te demande pas grand-chose, quand même ! Juste de venir te détendre à cette soirée. Et Robin est le bienvenu, bien sûr. Tu t’énerves pour rien, là, conclut-il d’un ton condescendant. C’est la mauvaise période du mois, c’est ça ?

J’ouvre la bouche et reste muette. Je dois ressembler à un poisson, pour le coup, mais il vient de me couper la chique. Non, il n’y a pas de rapport direct, mais c’est mon mari, il aurait bien dû voir que j’étais perturbée, non ? Moi, j’ai vu à son visage que sa journée avait été compliquée, bon sang ! Et puis, ce pot… qu’est-ce que j’en ai à faire, sérieusement ? A part gérer le site internet de son agence, je n’ai aucune implication dans son entreprise et je vais juste faire office de potiche, sourire comme une dinde et jouer la petite épouse polie. Il n’y a bien que la présence de Fabienne, la secrétaire, qui va rendre ce moment moins ennuyeux.

— Robin a autre chose à faire que de subir un pot d’accueil qui ne lui apportera rien. Des devoirs, par exemple, ou son rendez-vous chez l’orthophoniste. Sans compter que l’absence de Maxime va l’épuiser, lui dis-je plus calmement que je le suis en réalité.

— Eh bien, on fera venir une babysitter, alors. Ou ton amie Rachel ne peut pas venir le garder et l’emmener à l’orthophoniste ? Ce serait une bonne solution, ça, non ?

— Oui, je vais me débrouiller, comme d’habitude, de toute façon, marmonné-je. Tu devrais aller te changer, vous allez être en retard. Et fais en sorte que vous finissiez à l’heure, Robin n’a pas fini ses devoirs.

— Tu es un ange ! Et promis, ce soir, on rentre tôt ! Je vais la jouer à la Nadal et tout ira plus vite !

Bla-bla… Je ne lui réponds pas et sors de la cuisine pour me réfugier dans la véranda. Je sens que je vais avoir du mal à le supporter, ce soir, le Nadal blond et désagréable qui fait office de mari. Il n’y a que Robin qui vient m’embrasser avant de partir pour me redonner le sourire, et j’attends qu’ils aient quitté la maison pour appeler Rachel, qui me répond rapidement, comme d’habitude. Je sais qu’elle a son cours de danse sous peu, aussi je ne tarde pas à lui expliquer la raison de mon appel.

— Est-ce que tu pourrais gérer Robin lundi soir, s’il te plaît ? Louis m’embarque dans l’un de ses pots d’accueil ennuyeux à mourir. J’espère au moins que son nouvel employé est canon.

— Ça dépend, ma Puce. Je ne suis disponible qu’à partir de seize heures trente. Ça irait pour toi ?

— Oui, bien sûr. J’irai le chercher à l’école et on se rejoint chez l’orthophoniste ? Je suis désolée de t’ennuyer avec ça, je… il risque d’être fatigué, son AVS sera absent, alors plutôt que de l’embarquer à l’agence après son rendez-vous, je préfère qu’il soit tranquille à la maison. Tu es sûre que ça ne te dérange pas ? Je m’arrangerai autrement, sinon, je ne suis plus à ça près, tu sais ?

— T’inquiète pas, ça me fera plaisir. Et je te ramènerai mon catalogue pour la décoration des tables à mon mariage. Tu me donneras ton avis ! Cela vaut largement une soirée avec ton petit enfant chéri, non ?

— Je crois que je préférerais rester avec mon petit chéri, soupiré-je. Bref, je ne t’embête pas plus longtemps, je te laisse te lâcher en te déhanchant, encore merci, Rach, heureusement que je peux compter sur toi. Amuse-toi bien et passe le bonjour au pauvre futur marié qui doit en avoir marre de tous ces préparatifs !

— Mais non, il adore ça ! Bonne soirée et à lundi alors !

— A toi aussi. A lundi, ma Belle !

Je raccroche en me disant qu’il va falloir que je me penche sur l’enterrement de vie de jeune fille de Rach, en plus du reste. Je suis à la bourre pour ça aussi, ça devient la catastrophe tout ça. J’aurais presque envie de prendre ma voiture et de fuir pour le weekend, me vider la tête et me ressourcer loin de tout ce stress que je m’impose. En attendant, le dîner ne va pas se préparer tout seul…

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