Chapitre 3 - Les Yaoyorozu

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- C'est ici ?

C'est grand !

 Yannis jeta un autre coup d'œil à son téléphone portable ; un modèle moyen que la police avait truffé de capteurs et de traceurs en tout genre. Sur la messagerie textuelle était affichée un seul message, soit le nom de la rue et le numéro de la maison.

Elle se trouvait dans le quartier aisé de la ville, en périphérie du centre, au nord-est. La plupart des galeries marchandes entouraient ce quartier qui ressemblait à un havre de paix, avec ses arbres exotiques hors-de-prix et son architecture clairement calquée sur un style italien-espagnol. La maison en question était immense (pas aussi grande que le manoir des Al'Tain, mais presque), avait l'air moderne et surtout, spacieuse.

Yannis décida d'appuyer sur la sonnette ; un bruit de cloche léger se fit entendre, et une voix grésillante sortit du haut parleur :

- Qui est-ce ? J'espère que ça n'est pas l'association de la dernière fois ; nous n'avons rien à vous offrir pour le moment !

- Je viens de la part de M. Tsuragamae ; je suis Synnaï Hencherick !

- Ah ! C'est vous ! Je vais vous ouvrir la porte, attendez un instant...

Il attendit donc, et la porte émit un bip caractéristique, avant de s'ouvrir automatiquement. Yannis passa le pas.

Il se retrouva dans une longue allée à l'intérieur d'un jardin entretenu, mais bien fourni. Les vives odeurs des fleurs et de la terre fraîche attaquèrent ses narines avec force ; bien qu'il eut perdu ses pouvoirs magiques, son métabolisme était tout à fait différent des humains, et ses sens beaucoup plus développés. D'ailleurs, il entendit les pas d'une personne dévaler les escaliers, et ne fut pas surpris quand la porte s'ouvrit avec fracas :

- Bonjour ! Tu es donc le jeune homme dont Kenji m'a parlé !

L'homme qui s'adressait à lui était plus jeune que Yannis l'aurait cru. Il avait les cheveux drus et noirs, et portait des vêtements, qui, bien que vraisemblablement faits sur mesure, étaient couverts de tâche de peinture. Ses doigts étaient d'ailleurs noirs d'encre. Un artiste, donc... grimaça Yannis tandis que l'homme s'écartait :

- Entre, entre ! Ma femme n'est pas là, mais ma fille est présente. Ah oui ! Je suis Tadashi Kandae Yaoyorozu. Ravi de te rencontrer, s'exclama-t-il joyeusement en serrant vivement la main du magicien.

Tout en sentant sa main se couvrir d'encre de Chine, Yannis observa les alentours : l'entrée ressemblait vaguement à celle de l'opéra de Paris (en plus petit, bien sûr) : un escalier gigantesque qui se séparait en deux parties pour rejoindre l'étage supérieur, et derrière devaient probablement se trouver les salles communes. Un lustre en cristal pendait paresseusement au plafond. Cette maison puait la richesse, mais y avait-il un effluve de luxure ?

- Plaisirs partagés, M. Yaoyorozu. Je vous remercie grandement de votre hospitalité.

- Ce n'est rien ! Appelle-moi Tadashi, sinon j'ai l'impression d'être au bureau ! (il se tourna ensuite vers l'intérieur de la maison) Momo ! Notre invité est arrivé !

Yannis entendit une porte claquer, et les pas plus légers d'une personne dans un couloir hors de son champ de vision. Puis, il la vit descendre les escaliers ; Momo était une grande jeune fille à la longue chevelure noire attachée en queue de cheval, au visage fin et aux yeux couleur acier terne.

Son air ne trahissait nulle répugnance, ni méfiance à son égard. Yannis sentait que cette fille... cette presque-femme était digne de confiance. Elle arriva à son niveau, sourit à son père et s'inclina comme le font tous les japonais devant leurs aînés.

- Enchantée. Je m'appelle Momo. Et vous êtes...?

- Synnaï. Mais vous pouvez me tutoyer, si vous le souhaiter, fit Yannis avec une gêne feinte.

- Momo, pourquoi n'irais-tu pas faire visiter la maison à notre invité ? proposa le père en sortant un mouchoir pour s'essuyer les mains. Je vais appeler ta mère pour la prévenir de son arrivée.

La jeune fille opina du chef, et fit signe à Yannis de la suivre, laissant le père seul vaquer à ses occupations. Ils se dirigèrent d'abord dans la cuisine, où elle lui expliqua les modalités de toutes les machines avec une précision délicieuse. Le magicien adorait les consignes, et s'abreuva avec joie de toutes les explications qu'elle lui prodiguait. Momo lui montra ensuite les nombreuses pièces, comme le salon de lecture, le salon de réception, la salle de travail, la salle des bains interne.

- Ici se trouve le bureau de ma mère, expliqua-t-elle en désignant une porte fermée. Elle travaille dans une entreprise affiliée à une agence héroïque pour de la publicité, alors elle utilise cette pièce pour éviter de faire des trajets supplémentaires. Il est possible d'y entrer, mais il n'y a rien d'intéressant pour nous, et puis elle n'aime pas que l'on dérange ses affaires.

- Je comprends, comprit Yannis, lui-même attaché à son propre bureau dans l'Agence de Recherche du Surnaturel sur Terre.

Vint ensuite les chambres, qui atteignaient presque la dizaine, sans compter la taille de certaines ; celle de Momo atteignait au moins celle d'un T2 généreux. Le plus drôle, c'était l'ameublement : on aurait dit qu'une princesse au petits pois y avait élu domicile. Mais cela ne le fit ni sourire, ni grimacer. Devant son absence de réaction, Momo décida de se justifier :

- Tu dois penser que je suis une fille à papa, mais je peux t'assurer que je suis pas réduite à cela !

- Loi de moi l'idée de t'enfermer dans un modèle, rétorqua distraitement Yannis, en remarquant qu'il y avait une porte dérobée au fond. Qu'est-ce qu'il y a derrière ? Le style est différent et ça n'a pas l'air d'être un placard...

- Et si on allait voir ta chambre ? décida subitement Momo en le tirant par le col. Je suis persuadée qu'elle te plaira !

- Pour sûr... admit Yannis, non sans jeter un dernier coup d'œil à la porte dérobée, en vieux bois de genévrier.

Y avait pas à dire, sa chambre à lui n'avait rien à envier à celle de son enfance. Bien que faisant pâle figure auprès de celle de la jeune Yaoyorozu, elle était très spacieuse. Aucune décoration cependant, mais Yannis ne comptait pas rester après son entrée à Yuei.

Il se tourna vers Momo, qui avait l'air d'attendre sa réponse avec appréhension. Pour la rassurer, il lui sourit.

- Je suis comblé... Merci !

Elle acquiesça doucement, mais on aurait dit qu'elle avait autre chose à dire. Peut-être que l'idée d'avoir un pseudo-membre de famille, en tant que fille unique de bonne famille, l'avait exposé à un choc auquel elle ne s'était pas préparée ?

- Si tu as besoin d'aide pour quoi que ce soit, je serais là toute la journée... (Yannis se frotta la nuque, se donnant un air gêné) Je ne sais pas si vous avez toutes les facilités pour faire les tâches ménagères, mais crois-moi, je ne suis pas venu ici pour parasiter qui que ce soit : je peux cuisiner, nettoyer, faire la vaisselle, la less...

- Tu veux réviser avec moi ?

Yannis s'arrêta un instant. Avait-il mal entendu ? Non. C'était surtout qu'il n'avait pas envie d'écouter.

- Pardon ? fit-il sur un ton étonné.

- Je dois réviser pour mon examen d'entrée à Yuei. Même si j'ai peu de soucis en mathématiques, je dois m'améliorer en physique-chimie...

Quel soulagement de savoir que, quelque soit le monde où il se trouvait, il y aurait toujours un ou une imbécile pour lui demander de leur enseigner le monde.

Yannis sourit. Pour sûr qu'elle allait s'améliorer ; après tout, il était le meilleur scientifique de tout l'Empire Mourmon.

* * *

Quand il arriva à Yuei, ce grand bâtiment qui ne valait pas un pet de lapin face à l'Académie du Typhus, Yannis vit qu'Eraserhead l'attendait déjà.

- Bonsoir !

- S'lut... (Il aspirait "gaiement" une compote de pommes) Alors, cette première journée, ça s'est bien passé ?

- Il faut dire que ça ne me dépayse pas vraiment, marmonna le magicien dans sa barbe.

- Quoi ?

- Rien, ajouta à voix haute Yannis, tout en suivant le héros jusqu'au terrain d'entraînement.

Quand ils arrivèrent, Eraserhead ramassa un sac qui traînait là, et le passa à Yannis. Ce dernier l'ouvrit pour y voir une tenue de sport intégrale, bleue et blanche.

- C'est la tenue officielle des apprentis superhéros, expliqua Eraserhead. Enfile-la, et on pourra commencer.

Deux minutes plus tard, Yannis revint sur le terrain d'entraînement, où son entraîneur avait déjà installé plusieurs cibles à des distances différentes d'une cercle blanc tracé au sol.

- Voilà qui est mieux, approuva-t-il en regardant le jeune homme s'étirer dans sa nouvelle tenue. Maintenant que tu as l'air d'être prêt, tu vas me dire exactement en quoi consiste ton Alter.

- Je vous avais dis que je ne savais pas l'utiliser.

- Certes, mais c'est pour ça qu'on est là ; tu as dis avoir déjà vécu des expériences avec ce dernier. Tu m'en parles pour que je puisse déterminer à peu près quoi m'attendre.

C'est ainsi qu'il lui raconta toutes ses expériences, qui étaient au nombre formidable de... deux. Lorsqu'il s'était retrouvé subitement sur ce toit, et la vive lumière qui avait jaillit de sa paume lors de sa confrontation avec le Roc. Silencieux, Aizawa écoutait avec attention, ne posant aucune question. Quand Yannis eut terminé (environ 49 secondes et 12 centièmes), le héros se tourna vers les cibles et en désigna une :

- Explose-la.

Le magicien le regarda avec circonspection.

- Tu m'as bien entendu, et compris, puisque j'espère qu'il y en a autant dans ta caboche que Nezu en affirme. Laisse-moi te donner un conseil : ton Alter fait partie de toi, comme un nez ou un doigt de pied. Alors ne te pose pas de questions quand tu l'utilises pour la première fois, c'est comme si tu respirais.

Parti de moi, hein ? pensa le magicien avec une certaine ironie. Dans son monde d'origine, aucun de ses pouvoirs ne faisait vraiment partie de lui. Sa Porte venait du corps sans vie de Synnaï à partir duquel il avait été créé, son talent d'Outsider venait de Laura Blake, et même le fait d'être le porteur du Sceptre du Pouvoir n'était que le fruit de son âme façonnée à l'intérieur de celle de Yannis, un simple terrien malchanceux, qui aurait pu devenir le véritable héros si il n'était pas tombé dans les escaliers par inadvertance ce jour-là.

Mais désormais, pourrait-il posséder un pouvoir qui lui appartiendrait ? Pour de vrai ? L'appréhension de cette sensation inédite lui faisait froid dans le dos. Lui, un simple clone créé dans le but ultime de combattre pour les mages, et seulement pour eux, n'ayant ni passé, ni avenir. Posséder quelque chose qui lui était propre ? Une expérience qui s'annonçait enivrante.

Quand à l'activation, c'était une autre histoire ; chaque don pour le magicien était quelque chose qui lui était destiné, mais pas naturel. Maintenant, il devait trouver sa propre voie. Fouiller au plus profond d'un être qui n'était pas seulement l'amalgame de trois existences, mais quelque chose de plus. Il s'enfonça dans les labyrinthes de son esprit, évitant les spectres de ses existences, cherchant quelque chose de nouveau. Et il trouva quelque chose.

Une lumière minuscule. Pathétique. Mais d'une splendeur éphémère tel un minuscule Big Bang qui éclaterait dans la seconde où il lui demanderait de le faire.

Son pouvoir.

Son être.

Quand Yannis rouvrit les yeux, sa main brillait doucement, mais pas seulement ; la lumière qu'elle projetait formait un disque au blanc pur, émettant un doux vrombissement aussi réconfortant que le ronronnement d'un chat sur vos genoux. C'était son essence à lui. Ni un Alter, ni un pouvoir de Vérité, d'Outsider ou magique. C'était sa Nature.

- Eh bien, ça t'a mis longtemps, grommela Eraserhead en indiquant un chronomètre qui affichait déjà que cinq minutes avaient passé. Maintenant, tente de voir comment ça fonctionne.

Obéissant, Yannis passa sa main à l'intérieur du disque, et pensa à un autre endroit.

Eraserhead attendit quelques instants, avant de voir qu'un autre disque s'était formé juste devant la cible, et la main du jeune homme en sortit, incandescente, et traversa de part en part la cible, formant un trou fulminant en plein dans le mille.

Efficace, mais le plus extraordinaire, c'était que le visage du jeune homme trahissait une joie immense, comme si il était un enfant découvrant son pouvoir pour la première fois... Non, découvrant qu'il pouvait littéralement respirer.

Il se surpris à sourire légèrement, devant cette mine qui ne ressemblait pas à celle d'un sans-abri désabusé, ou un adulte qui comprenait les autres et cherchait à les manipuler. Non, c'était juste celle d'un adolescent heureux de découvrir ce qu'il pouvait faire. Enfin quelque chose de normal, pensa le héros en faisant un signe de tête aux autres cibles.

- Pas mal, mais tente d'être plus rapide, plus précis. Quand tu seras capable d'atteindre un score d'une seconde maximum, on pourra passer à la projection de cette énergie.

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