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Paris, Place de la Concorde, 20 Juillet 1978 , 11h11

Blanie était en planque depuis une bonne heure devant l'hôtel des Sécuria lorsque du mouvement attira son attention. Lara Runnert débouchait sur le trottoir accompagnée de ses gorilles. Genre cow-boys, les deux types. Les flingues qui bosselaient les costumes et tout... Discrétion assurée. Peut-être qu'elle appréciait, peut-être que ça faisait partie du show Runnert.

Il se laissa paisiblement dériver derrière le trio. Madame Securia, exceptionnellement, n'était pas vêtue fantasquement. Certes, sa silhouette élancée, sa chevelure claire, et ses talons hauts la désignaient aux convoitises masculines, mais un tailleur gris souris et une coiffe plutôt sobre ne reflétaient pas ses habitudes tape à l’œil. Ses lèvres coralliennes se fondaient en un sourire énigmatique.

Selon toute vraisemblance, le petit groupe s'était mis en tête de rejoindre le boulevard des Italiens. Blanie, intérieurement, s'en prit aussi sec au gros Gaston et à ses consignes stupides. ' Me voici inspecteur principal délégué au shopping', rumina-t-il.

L'heure qui suivit entretint sa mauvaise humeur. Lara, comme un oiseau de proie, piquait dans les échopes, et les deux garçons vachers en ressortaient, les bras emplis de merveilles. Bien qu'elle les payât généreusement en sourires, ils semblaient de plus en plus renfrognés, ce qui consolait Blanie de sa propre corvée. Ce manège continua une bonne demi-heure, le temps pour Lara de dévaliser trois autres commerçants.

Soudain, Sa Blondeur parut en avoir assez. Elle se retourna vers les portefaix dont la face émergeait à peine de la pyramide des paquets, leur susurra quelques ordres charmeurs et tout ce beau monde repartit en direction de la Concorde. Blanie consulta sa montre en leur emboîtant le train. Ce n'était pas trop tôt. Fin de la pantalonnade.... Toutefois, il tint à les filer jusqu'aux portes du palace.

Bien lui en prit. Contre toute attente, le groupe stoppa au coeur de la rue Volney. Lara attira les deux monticules dans un renfoncement où ils déposèrent leur chargement. Intrigué, Blanie s'approcha. Sans doute allait-il se passer quelque chose...

La statue blonde, dédaignant les badauds qui déambulaient autour d'eux, se pencha vers le premier gorille, qui ne s'en émut pas. De ses gants souples, elle lui enveloppa le visage et, aimantant sa bouche, y puisa un long baiser. Les yeux de Blanie dessinèrent un arc tendu à l'extrême. Déjà, l'autre boy venait chercher sa pitance. Lara le servit avec la même simplicité onctueuse. Manifestement, ce n'était pas une première.

— Quelle salope ! gémit l'inspecteur, stupéfait. Le gros Gaston lui avait parlé d'une femme fatale, mais de là à dévorer ses porte-flingues...

La poupée décolorée claqua des doigts avant d'émettre une sentence définitive dans un dialecte incompréhensible. Les macaques produisirent quelques courbettes, et s'en furent. Elle les regarda s'éloigner avec toujours aux lèvres cette mimique indéfinissable. Enfin, elle tourna les talons et tailla la route d'un pas déhanché.

En la suivant, l'inspecteur revisionna la scène. Les cow-boys lui avaient fait l'effet de drogués venant prendre leur dose. Celle-ci administrée, il avait constaté à leur attitude une forme de soulagement. Rien à voir avec la désinvolture hautaine de Lara. Remarque, il se serait volontiers adonné lui aussi à ce style de came, quitte à porter deux ou trois paquets. Une poupée pareille devait bien valoir son lot de sacrifices. Pour lui, petit fonctionnaire de police, une Madame Securia représentait un luxe inaccessible. Bien que détestant ce genre de traînée parvenue, il subissait un paradoxe particulièrement vivace selon lequel désir et jugement ne font pas bon ménage.

Ils marchèrent une bonne douzaine de minutes. Blanie, plus songeur qu'attentif, épousait le sillage de la belle comme robotisé. Il s'y prenait si mal qu'une femme un tant soit peu rompue à de telles pratiques l'aurait promptement repéré. Heureusement, elle négligeait toute précaution, et , martelant le pavé de ses escarpins précieux, avait accéléré la cadence.

A l'angle de la rue Pasquier, elle tourna à quatre-vingt-dix degrés pour pénétrer dans un square désaffecté.

Là, sur un banc jadis vert, un petit bonhomme morose était assis. Surmonté d'un chapeau, muni d'un parapluie et d'épaisses lunettes, il n'avait pas l'air français. Lara souleva sa coiffe. Carl Loogel lui rendit son salut. Ensuite, d'un geste étriqué, il lui enjoignit de prendre place.

Dans un premier temps, Blanie fut estomaqué. C'était avec ce nain grotesque que la poupée avait rendez-vous ? Allons ? Sérieusement ? Pas avec ce Droopy !

Quoi qu'il en fût, il lui fallait entendre ce qu'ils échangeaient. Un fourré bienvenu lui permit de réduire la distance. Il s'accroupit dans l'ombre. La situation d'écoute, privilégiée, était inespérée.

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