XIV. Couverture

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  Les premières lueurs du jour s'insinuèrent par-dessous le rideau trop court et vinrent chatouiller les paupières de Cyrille. Elle battit des cils, éblouie par l'agression striée du soleil levant. Dehors, un pigeon se mit à roucouler. Maudit piaf...

Elle détestait le chant des oiseaux en automne. Ils la rendaient triste, ces galants attardés qui, probablement éconduits à la saison des amours, poursuivaient leurs sérénades à l'heure où la nature se mourrait, préférant la quête désespérée de l'âme sœur à la migration salutaire. Autant de petits cœurs emplumés sacrifiés sur l'autel du romantisme.

Elle se retourna sur le matelas, ses membres s'empêtraient dans les draps chiffonnés. Cassandre dormait encore, à ses côtés. La bretelle de sa robe de nuit avait glissé sur son bras, découvrant une épaule nue et son cou blanc comme la neige.

Elle conservait dans son sommeil une sorte d'attitude digne, comme une poupée soigneusement rangée. Bien sûr, il arrivait que sa tête s'affaissât et parfois Cyrille la surprenait alors à baver sur l'oreiller. Cependant, ses postures disgracieuses rappelaient davantage les poses obscènes d'une figure de cinéma que le vulgaire quotidien d'une dormeuse. Du moins, en contemplant son corps étendu et son visage vide d'expression, il lui prenait l'envie d'acquérir un appareil photo, avec lequel elle l'aurait jour après jour mitraillée aux aurores. Figée dans ses songes, Cassandre semblait déjà réduite à l'état de tableau.

Cyrille glissa doucement contre le flanc engourdi de son amante afin de profiter de sa chaleur et passa un bras autour de sa taille.

Cassandre était-elle belle ? À dire vrai, elle n'en savait rien. Elle aimait ses sourires taquins, les éclats de malice qui pétillaient dans ses yeux. Elle aimait le bout retroussé et perpétuellement froid de son nez, surtout lorsqu'il venait se nicher au creux du sien. Sur ses joues clairsemées de taches, elle se plaisait à tracer mentalement des constellations. Une carte des étoiles au beau milieu de la figure, en négatif sur sa peau blême. Elle aimait les rares signaux de lumière qu'envoyaient les dents en or depuis le fond de sa bouche. Elles les voyait comme des bijoux, peut-être pour atténuer l'atroce souvenir du jour où l'on avait démoli la mâchoire de Cassandre. Elle l'aimait alors, par la force des choses, elle la trouvait somptueuse.

Agacée par le soleil, Cyrille rabattit la couverture sur son visage. Elle savait que c'était du sérieux, entre elles, parce que la literie se trouvait tout imprégnée du parfum de Cassandre. Jamais jusqu'alors elle n'avait dormi dans un lit qui portait une autre odeur que la sienne.

Cela faisait une semaine que leur rendez-vous avait eu lieu. Ça aura été un fiasco jusqu'au bout...

Lorsqu'elles étaient rentrées, cette nuit-là, Cassandre répétait ne pas vouloir dormir. Elle avait suivi Cyrille jusqu'à sa chambre et elles avaient profité du confort du matelas pour poursuivre ce qu'elles avaient entamé dans la voiture.

De fil en aiguille, Cyrille avait fait l'amour à Cassandre. Elle avait été déstabilisée par le tempérament entreprenant de cette dernière, par l'impulsion naturelle avec laquelle elle l'accueillait en elle et réclamait son retour chaque fois que Cyrille faisait mine de se dégager.

Naïvement, elle s'était imaginé fouler en Cassandre une contrée inexplorée. Inexplorée, elle ne pouvait en être sûre ; elle n'avait pas osé demander. Elle avait nourri un fantasme puéril, croyant découvrir auprès de son amour de jeunesse des sensations inconnues. Certes, elle avait éprouvé une jouissance particulière à toucher la personne qu'elle aimait. Néanmoins, la chair, les fluides et la chaleur utérine demeuraient les mêmes que chez n'importe quelle autre femme.

Pour ce qui touchait au sexe, Cyrille était une amante expérimentée. Elle n'avait jamais rencontré aucune difficulté à faire jouir ses conquêtes et Cassandre n'avait pas fait exception à la règle. Bien sûr, la gratification qu'elle en avait tiré était sans commune mesure. Sans doute n'avait-elle jamais entendu une aussi douce mélodie que les soupirs langoureux et les gémissements allègres de celle qui, par sa main, goûtait à son amour.

Seulement, après s'être délectée jusqu'à l'exaltation de ses attouchements, Cassandre avait pris l'initiative de combler de même sa partenaire. Cyrille, qui n'avait guère pour habitude d'offrir son intimité, avait fait son possible pour prendre sur elle et accepter les caresses voluptueuses de sa bien-aimée. Toutefois, au moment où les doigts de Cassandre pénétraient en elle, elle s'était écartée dans un sursaut affolé. Rattrapée par une espèce de honte adolescente, elle n'avait pas été capable de la toucher depuis autrement que pour de brèves étreintes.

Cassandre roula sur le côté en laissant échapper un gémissement ensommeillé. Elle emporta avec elle toute la couette et abandonna Cyrille, le bras dans le vide, à la merci du froid.

L'irréductible partage de la couverture exemplifiait à merveille les efforts de cohabitation que requérait la vie de couple. Pour Cyrille, qui n'avait jamais pris la peine de faire de concession pour personne depuis qu'elle avait gagné son indépendance, cette promiscuité nouvelle revêtait quelques aspects violents.

Il lui fallait supporter la fraîcheur matinale pour ne pas risquer de réveiller Cassandre en tirant vers soi la literie ; endurer en pleine nuit ses assauts affectifs lorsque, troublée par un cauchemar, elle se jetait dans les bras de Cyrille. En contrepartie, elle avait su rester ferme pour ce qui était de la discrétion : celle qui partageait sa couche avait interdiction de l'embrasser devant Paul ou Alix. À en juger toute l'attention que réclamait Cassandre dans l'intimité, on imaginait bien à quel point elle se refrénait en public.

La pluie commençait de battre le carreau quand Cassandre abandonna l'étreinte de Morphée pour venir se blottir contre son amante, en l'enveloppant avec prévenance dans la couverture tantôt dérobée.

– J'ai cru mourir de froid, râla Cyrille.

La jolie amnésique la frictionna tendrement pour se faire pardonner. Cyrille se laissa aller contre elle, résolue à lui pomper toute sa chaleur si cela s'avérait nécessaire.

– Si ça dure, dit-elle, on va avoir besoin de plus de couvertures...

– Si ça dure ?

Face à la mine inquiète de Cassandre, elle se rendit compte de sa maladresse.

– Enfin, j'espère bien que ça va durer !

La réalité venait soudainement de la rattraper. L'euphorique parenthèse qui les avait rapprochées durant toute la semaine ne pouvait pas se prolonger éternellement.

– Dis, combien de temps tu as prévu de rester à Vilmorne ? Je suppose qu'on t'attend, là où tu habites. Que tu as un travail, tout ça. Maintenant que j'y pense, je ne sais même pas à quoi ressemble ta vie actuelle. Est-ce qu'il y a de la place pour moi, dans ta vie ?

– Espèce d'idiote...

La question était bête, sûrement, mais Cyrille repoussait déjà les offensives de tant d'incertitudes qu'elle ne pouvait s'encombrer d'un doute superflu.

– Si je n'étais pas sérieuse, si je n'avais pas l'intention d'aller plus loin, je n'aurais même pas accepté de sortir avec toi. Il n'y a rien qui me retienne, nulle part. À part toi, maintenant, ici... Si c'est sérieux, pour toi aussi, alors je pourrais...

Cyrille étouffa les mots de sa bien-aimée d'un baiser langoureux. Si les paroles qui devaient suivre étaient bien « rester vivre ici », elle ne souhaitait certainement pas les entendre.

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