VIII. Ordre du jour

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– Alors Alix, tu te souviens de ce qui est à l'ordre du jour ?

L'enfant haussa les épaules. L'ordre du jour, elle n'avait pas vraiment idée de ce que ça voulait dire. Un ordre qui lui serait donné ? L'ordre dans lequel il fallait faire les choses, pour bien les faire, peut-être ?

– Ce qu'on a prévu aujourd'hui, insista Paul, tu t'en rappelles ?

Paul aimait lui parler comme à une adulte. Il lui demandait souvent de lui répéter ce qui devait être fait ou les choses qu'elle avait apprises. Comme si, d'un coup de baguette magique, tout ce qu'on lui imposait, sorti de sa propre bouche, pouvait devenir le choix d'Alix ! Comme s'il la forçait à accepter la dure réalité : elle devait s'habituer à compter sur elle-même.

Alix savait parfaitement que Paul n'était pas son père et qu'elle ne pouvait pas l'appeler « papa ». Parce qu'elle avait compris qu'il était un genre de parent éloigné de sa mère, elle lui disait « tonton ».

Sa mère refusait catégoriquement qu'on l'appelât « maman ». Aussi Alix s'adressait à elle par son prénom, Cyrille. En réalité, toutes deux ne s'échangeaient presque pas la parole. Cyrille n'avait jamais demandé à sa fille comment s'était passé sa journée à l'école, elle ne connaissait pas le nom de ses amis, ni même sa couleur ou son plat préféré. La seule chose que la mère savait, c'était que la fillette aimait les renards – « les Rox », comme elle disait. Elle lui avait interdit d'en ramener un à la maison. À la place, pour ses quatre ans, elle lui avait offert une peluche.

Fait troublant : la nouvelle pensionnaire de l'auberge avait les cheveux roux et le regard rusé. La veille au soir, la mère d'Alix était rentrée plus tôt que de coutume en soutenant l'inconnue inconsciente. À la façon dont elle la transportait par-dessus son épaule, la fillette avait d'abord cru qu'elle ramenait à la maison un renard blessé.

L'étrange Cassandre, Alix sentait que sa mère l'appréciait. Ça leur faisait au moins un point commun.

– Je ne sais plus, mentit l'enfant

Elle le faisait exprès. Paul soupira :

– Je croyais pourtant que tu étais ravie d'aider Cyrille, aujourd'hui.

– Non. J'ai changé d'avis.

Au moment même où Alix savourait son coup de bluff, Cyrille descendit l'escalier, plus en forme que jamais sa fille ne l'avait vue, et rétorqua d'un ton détaché :

– Comme tu voudras, gamine. Dans ce cas, Cassie et moi, on va ramasser des châtaignes au bois. Et toi, tu restes sagement ici avec Paul.

La voilà qui était prise à son propre jeu. Blessée dans sa fierté, Alix explosa en sanglots et supplia sa mère de bien vouloir l'emmener.

– Tu sais bien que je déteste ça, les caprices.

En vérité, elle détestait les enfants. La fillette savait qu'elle n'avait nulle chance d'attendrir ce cœur de glace. Ainsi, elle dut bien se résoudre à regarder sa mère passer la porte en la laissant derrière.

C'est alors que la fameuse Cassandre à la crinière fauve dévala à son tour les marches en direction de la grande porte du hall. Elle jeta un bref coup d’œil aux yeux rouges et au nez coulant de la petite fille, avant de lui lancer :

– Eh bien, mon chou ! Tu ne viens pas avec nous ? Dépêche-toi d'enfiler un manteau !

L'enfant leva deux grands yeux incrédules sur l'inconnue, seule femme en cette maison à l'avoir gratifiée d'aussi gentilles paroles. C'était décidé : puisque sa mère ne voulait pas d'elle, elle allait conquérir la nouvelle venue ! L'ordre du jour était le suivant : une grotesque rivalité séductrice entre une marâtre immature et sa môme délurée.

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