Chapitre 22 - Le mariage.

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J'arrive en courant devant la porte automatique du service des urgences. Je vois Lucie, les joues trempées de larmes et l'air totalement perdu, fixer du regard le sol. Puis Pascaline dans les bras d'Emmanuel qui la sert tout contre lui. Je suis encore sous le choc. Les enfants aussi et lorsque je les ai déposé chez leur mère, je n'ai pas trouvé les bons mots pour les réconforter et ça m'a fait un mal de chien de les laisser dans cet état pour rejoindre leur mère.

- Alors comment va-t-il?

Lucie lève les yeux dans ma direction et s'effondre sur mon épaule. Je ne comprends pas si Charles est mort ou s'il est dans un état critique. Tout ce que je sais, c'est que la situation est grave.

Pourtant tout avait bien commencé, c'était une belle journée d'automne. J'avais retrouvé Lucie et les enfants ce matin pour qu'on aille au mariage de Pascaline et Emmanuel. C'était enfin le grand jour. Mattéo avait mis un costume un peu trop grand qui lui donnait un air plus âgé et Chloé et sa mère des robes très jolies. C'était un peu étrange de se retrouver de nouveau tous les quatre. Le trajet en voiture fût léger, on écouta la radio, les enfants ont même chanté. Nous étions détendus et de très bonne humeur. Il faut dire que j'avais toutes les raisons de l'être. Grâce à Marie, je rattrapais toutes ces années de jeûne sexuel. Tout n'était que jeu et spontanéité avec elle. J'étais amoureux et je n'avais qu'une hâte, la retrouver. Nous sommes arrivés une heure avant la cérémonie pour aider aux préparatifs. Tout le monde courait dans tous les sens pour mettre les fleurs, déposer les livrets, s'occuper de la musique. Je restais en retrait à côté d’Emmanuel. C’était une euphorie joyeuse. Il n’y avait pas de tension. Madeleine restait auprès de ses filles et Charles, lui, brassait de l’air. Les invités commencèrent à arriver et Chloé et sa cousine les placèrent aux sièges qui leur étaient réservés. La cérémonie se déroula tranquillement, avec quelques longueurs toutefois. C’est inévitable pour les célébrations. Mais dès l’échange des voeux entre Pascaline et Emmanuel, un vent de soulagement souffla sur l’assemblée. A ce moment précis, Lucie et moi avons échangé un regard de satisfaction. Comme si la nouvelle vie de sa soeur nous offrait la possibilité d’en avoir une également. Charles nous avait alors lancé un regard furtif. Comme souvent ces derniers temps, j’avais l’impression qu’il nous épiait. Il essayait d’être discret j’imagine, mais j’avais toujours la sensation qu’il était derrière moi. Il devait se douter qu’il se tramait quelque chose entre Lucie et moi. Dans quelques semaines, quelques jours, il apprendrait la vérité et vaille que vaille il faudrait qu’il l’accepte. Nous avions décidé d’annoncer uniquement notre séparation et de ne pas rentrer dans les détails. C’était important pour Lucie.

  • Alors Lucie, comment va-t-il? Insisté-je.
  • Ils l’ont envoyé en réanimation, et depuis nous n’avons aucune nouvelle. Cette attente est insupportable…

« Ça va aller. » sont les seuls mots réconfortants que j’arrive à lui dire. J’étais toujours très en colère contre son père, et j’imagine que Lucie aussi mais sans doute moins que Madeleine. D’ailleurs où est-elle?

Lorsque la centaine d’invités arriva au château où se déroulait la réception, nous n’avions plus à nous préoccuper de rien. Ils y avaient une armée de serveurs qui s’appliquaient à nous fournir alcool et petits fours. L’esprit était vraiment festif. C’était une belle soirée qui s’annonçait. Les enfants couraient un peu partout, certains invités dansaient et les mariés étaient comblés de bonheur. Mais je n’avais pu m’empêcher de penser à Marie, et discrètement lui envoyer un petit message gentiment évocateur accompagné d’une photo de mon pantalon devenant un peu étroit à la pensée de notre dernière nuit ensemble. En gros, je lui disait qu’elle me manquait et que j’avais hâte de la retrouver sans pour autant imaginer que cela déclencherait un gigantesque cataclysme. Pascaline et Emmanuel étaient venus à notre table pour se reposer un peu. En effet, je les avais vu faire le tour des convives, échangés des mots avec chacun d’entre eux et à aucun moment, ils ne s’étaient assis. Ils devaient être épuisés. Ils nous ont demandé comment nous trouvions la soirée et si tout se passait bien. Et de toute évidence c’était le cas. Ce mariage était réussi. Quand le fils de Pascaline nous a rejoins pour nous prévenir que Mattéo avait glissé dans un petit fossé dans le parc de la propriété et qu’il s’était blessé. J’ai dit à Lucie que ce n’était sans doute pas grave et que j’allais le voir. Lucie a toujours tendance à s’inquiéter plus que de raison dès qu’un de nos enfants se fait mal. Et Mattéo a un tempérament très téméraire, je préférais gérer la situation seul. Et en effet ce n’était pas grand chose, quelques écorchures au niveau du genou et encore un pantalon à mettre à la poubelle. Il nous coutait cher en vêtement ce petit! Le parc n’était pas très bien éclairé et en l’aidant à marcher, je me suis rendu compte que mon téléphone n’était plus dan ma poche. Je fis un petit demi-tour pour voir si je ne l’avais pas fait tomber par terre lorsque j’ai aidé mon fils à se redresser mais je ne l’ai pas trouvé. On arrivait aux abords de la grande salle de réception et déjà des invités commençaient à partir. C’est vrai qu’il était déjà tard, il était un peu plus d’une heure du matin et nous n’avions plus vingt ans. En rentrant dans la grande pièce, je dis à Mattéo que nous n’allons pas tarder nous aussi à rentrer et qu’il peut se poser sur une chaise en attendant. J’allais lui chercher un verre d’eau en direction d’un des buffets quand je découvris Lucie, debout à côté de sa chaise, rouge de colère, s’exprimant avec une certaine véhémence à l’adresse de son père. Pascaline et Emmanuel semblaient remplis d’effroi et face à moi, je voyais Madeleine s’approcher d’eux l’air incrédule.

  • Je te dis que ce n’est pas mon téléphone!
  • Je pensais t’avoir mieux éduqué que ça, tu me fais honte!
  • Mais de quoi parle-tu Charles? Demanda Madeleine.

Plus je m’approchais moins j’arrivais à appréhender la situation. J’essayais de sonder le regard d’Emmanuel pour comprendre mais en retour il me fit une sorte de petit rictus comme pour me dire que ça sentait vraiment le roussi.

  • Non, Madeleine ne t’inquiète pas, c’est rien. Va te reposer, je te rejoins dans quelques minutes…. Dit-il dans l’embarras.
  • Mais ça suffit de me traiter comme si j’étais une enfant Charles! Tu deviens vraiment insupportable!

Il était devenu violet, et ne cessait de triturer ses mains. C’était un signe annonciateur, mais ni sa femme ni nous tous étions disposer à nous rendre compte.

  • Que se passe-t-il Lucie? Osé-je demander.
  • Il se passe que tu as reçu une photo de la femme au maquillage de la kermesse sur ton téléphone… Me répond Pascaline dépitée.

Lucie passa mon téléphone à sa mère, qui après vu la photo, grimaça, puis elle le donna à Pascaline qui n’y jeta aucun regard car je la soupçonne de l’avoir déjà vu pour finir par le donner à Emmanuel. Il s’approcha de moi, me le tendit en me posant une main sur l’épaule, il avait l’air vraiment désolé. En regardant mon écran, je constate que Marie a répondu à mon message avec un simple « moi aussi » accompagné d’une photographie d’elle dans son bain, les seins flottant dans une cascade de mousse. Je suis un peu estomaqué, non pas par la photo que j’aurais pu apprécier dans d’autres circonstances mais par le fait que tous ceux autour de cette table l’aient vu. Dans quel état serait-elle si elle savait qu’elle était l’objet d’une discussion intense entre les membres de ma future ex belle famille!

  • Frédéric, avez-vous une aventure avec cette femme? Me demanda sèchement Madeleine.
  • Non Mère, il n’a pas vraiment d’ « aventure » avec cette femme! Dit Lucie. Et d’ailleurs ce n’est pas vraiment la question. La vraie question est de savoir pourquoi Père a cru bon de me dire que je devais arrêter de regarder « encore » les femmes lorsqu’il m’a surprise regardant la photo de Marie et que je mettais mon mariage en péril ? Que veut dire ce « encore »? Explique-toi.

Charles avait une mine renfrognée. Je sentais qu’il était vraiment gêné et se pinçait les lèvres jusqu’au sang.

  • Mais qu’elle est cette histoire! Je ne comprends strictement rien! S’exclama Madeleine.
  • Mère tu devrais t’assoir, ce n’est pas bon pour ton coeur! Lui dit Pascaline en lui prenant le bras.
  • Mais il suffit de me prendre pour une malade! Je vais parfaitement bien et j’aimerais bien que vous cessiez tous de me faire passer pour une mourante! Vous êtes totalement secoués à tous à m’infantiliser de la sorte!

Elle se dégagea de l’emprise de sa fille et demanda à son mari des explications sur le champs. Charles était tétanisé, il ne parlait plus. Lorsque Lucie reprit la parole pour lui demander si le « encore » qu’il lui avait lancé, signifiait qu’il savait qu’elle avait déjà « regardé » une femme? Pascaline, la suivait en lui demandant pourquoi leur mère disait qu’elle allait parfaitement bien alors que sa maladie était censée être incurable? Madeleine découvrant la supercherie de son époux s’approcha de lui, et le secoua en criant « Parle, mais parle enfin! ». Et là, malgré tous les regards posés sur lui, il fût incapable de dire un mot. Il s’écroula au sol comme un château de carte. Sans prévenir. Passé la stupéfaction, nous réalisons qu’il a fait une crise cardiaque et pendant nous appelions les secours, Emmanuel lui fit un massage. Cette journée qui était parfaite jusque là, s’était transformée en cauchemar.

  • Je ne comprends pas, mais pourquoi vous a-t-il dit que j’étais souffrante? Demanda Madeleine sous le choc. Pourquoi a-t-il menti ainsi?
  • Il nous a dit que tu ne voulais pas qu’on soit informé de ton état et qu’il fallait te ménager car la moindre contrariété pouvait te tuer… Dit Lucie vraiment incrédule sur ce qui était en train de se dérouler sous ses yeux.
  • Mais quelles contrariétés? Tu as dit tout à l’heure que tu regardais « encore » les femmes, ça a un lien avec cette histoire où ton père t’a surpris avec la petite Céline au stage d’équitation? Mais c’était il y vingt ans! J’aimerais bien comprendre ce qui se passe! Cette famille devient folle et qui est-ce cette femme les seins à l’air dans son bain?

Nous restions tous interdits. Les pièces du puzzle se mettaient à s’emboiter et chacun d’entre nous commençait à comprendre ce qui se dessinait. J’étais incapable de parler mais Pascaline qui sembla réfléchir à toute vitesse, s’assit sur la chaise, regarda désespérément son père gisant sur le plancher et son époux tenter de le réanimer, déclara :

- Il nous a tous manipulé ! Lucie, je crois qu’il sait depuis longtemps que tu aimes les femmes, il a du sentir que ça ferait capoter ton mariage et ils nous a menti à tous pour vous empêcher de vous séparer. D’abord, il a utilisé Mère pour te culpabiliser s’il lui arrivait malheur à cause de toi puis il a fait en sorte que je ne sois pas informée en prétextant que je n’épouserais jamais Emmanuel si je connaissais l’état de notre mère pour rester auprès d’elle ! Mais quel hypocrite

- Lucie, tu aimes les femmes? Demanda Madeleine. C’est le pompon!

Le Samu était arrivé, et dans le vacarme assourdissant du départ des invités inquiets, et de l’ambulance, j’avais eu juste le temps de prévenir les deux soeurs que je déposais les enfants chez Lucie et que je les rejoindrais à l’hôpital. Bien évidemment, le trajet m’avait permis de réfléchir à tout ça et de réaliser à quel point Charles avait saboté la vie de sa fille et de la mienne par la même occasion. Que s’il ne nous avait pas menti de la sorte, nous aurions pu nous séparer depuis longtemps et menés les vies que nous voulions. J’étais vraiment en colère contre lui et le fait qu’il soit sans doute mort, n’apaisait en rien mon sentiment.

Au bout de longues heures d’attente, Madeleine nous rejoint enfin dans le couloir où nous patientons en silence. Elle nous informe que son époux sort du bloc, qu’il va se rétablir et qu’il est increvable. Je sens qu’elle est toujours très irritée par ce qui vient de se passer. Elle nous dit qu’elle est lessivée et qu’elle va prendre un taxi pour rentrer, que de toutes façons, rester à l’hôpital ne servirait à rien. Elle nous sourit, embrasse ses deux filles sur le front, et sans nous laisser le temps de lui répondre s’en va dans la nuit. Alors tous les quatre, nous décidons de rentrer à notre tour. J’ai un petit pincement au coeur en imaginant que la nuit de noce des jeunes mariés ne ressemble sans doute pas à ce qu’ils avaient imaginé. Je raccompagne Lucie. En la déposant chez elle, elle me dit:

-Tu avais raison, tout va bien se passer maintenant.

Nous nous sourions avant de nous quitter. Il ne fait aucun doute que tout va bien se passer maintenant.

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