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L’horloge dans la Clio continuait son parcours sans faiblir. Jules jeta un rapide coup d’oeil avant de descendre : dix-sept heures quinze. Montparnasse était animé, comme à son habitude. Entre la tour et la gare, des millions de personnes transitaient chaque jour.

- Je n’en ai pas pour longtemps.

- Je n’avais pas l’intention de t’accompagner mon gars, regarde mon état. Mais t’inquiète, j’aboierai et je mordrai si on essaye de rentrer dans la voiture.

L’humour de Babacar fit sourire Jules. Il ne perdait jamais le nord et avait toujours cette petite note humoristique. Le juriste lui lâche un clin d’oeil et claqua la portière.

La National Cryptology Industrie se situait dans une rue non loin de la gare. Jules n’eut pas de mal à retrouver, sa précédente visite datant de l’avant veille. Il avait encore une bonne chance de trouver Diane, c’est elle qui lui permettrait de décrypter le contenu de la clef. Du moins, il voulait voir sa réaction au moment où il lui proposerait de la faire et il aviserait ensuite.

Alors qu’il attaquait la rue Littré, il aperçut la jeune femme penchée près d’une voiture. Il ralentit le pas, se mit à l’abri derrière une voiture et observa avec attention la scène.

Diane semblait nerveuse, agitée, ses bras décrivaient des grands mouvements. Elle se prit deux fois la tête entre les mains, son regard n’était pas fixe, elle zieutait tout autour d’elle. Que me caches-tu très chère Diane ? Qui est l’inconnu avec lequel tu échanges vivement depuis cinq minutes ? Le ton montaient encore entre les deux protagonistes visiblement.

Un avant-bras sortit de la fenêtre. Jules le reconnut immédiatement et la stupeur le saisit. Il ne s’était pas trompé, il existait bien un lien entre Dimitri et Diane : Piotr. Dans sa main, une liasse de billets que la femme s’empressa de dissimuler dans sa poche de pantalon. Les choses devenaient de plus en plus claire dans l’esprit de Jules.

Cette fois, ça en était trop. Il fallait agir.

- La main dans le sac ! s’exclama-t-il.

Le Russe ne se fit pas prier et embraya. Le pied sur l’accélérateur, il fit hurler les pneus avant que le véhicule ne s’échappe à vive allure. Sur le trottoir, Diane attendait penaude.

- Vous… Je vous réserve un sale quart d’heure, jusqu’à ce que vous me crachiez le morceau.

- Ce n’est pas ce que vous croyez… Je…

Elle n’osa pas finir sa phrase, tel un enfant dans l’impossibilité de masquer sa culpabilité. Il la saisit par le bras et l’emmena dans un recoin. Il planta son regard glacial dans celui de la femme. Elle baissa la tête.

- Dimitri Balkichvski, Piotr Lizgov, quel lien avez-vous avec eux ?

- J’ai un jour collaboré avec eux pour un projet de protection de données. J’étais bien jeune à l’époque et j’ai bu les belles paroles de cet homme qui me promettait monts et merveilles.

Ses yeux se perdirent dans son passé. Chaque respiration lui rappelait ses erreurs, son côté sombre qu’elle avait dompté avec toutes les difficultés du monde. Elle était devenue une femme forte, redoutable, mais ses démons la guettaient, prêts à surgir dès que possible.

Elle sentait encore l’odeur de cet homme qui l’avait plaqué sur le lit d’un hôtel miteux alors qu’elle n’avait que dix-neuf ans. Ses mains grasses épouser sauvagement ses formes. Elle était peu fière d’elle.

- J’ai souffert, commença-t-elle. J’ai fait des mauvais choix. Je voulais tellement montrer à mes parents que je pouvais être indépendante que je n’ai pas été capable de leur avouer mes difficultés. Et je suis tombée dans la prostitution.

Jules la laissa livrer ses secrets.

- Certains m’appelaient « mon trésor », pour d’autres je n’étais qu’une vulgaire pute à baisser. Alvarez se contenter de récupérer sa part, il n’en avait que faire de nous. L’important était que son foutu club tourne et que la clientèle revienne pour un nouveau tour. J’en ai eu marre…

Elle plongea sa tête entre ses mains. Le jeune homme n’osa pas lui apporter son soutien, il se devait de rester lucide, garder son empathie.

- Un soir, alors que je venais de… Un homme est passé dans la ruelle derrière l’hôtel. Il s’est arrêté et m’a demandé s’il pouvait m’aider. J’y ai vu une opportunité de sortir la tête de l’eau, une chance venue du ciel. Cet homme s’appelait Dimitri Balkichvski.

- C’est là qu’il vous a demandé de travailler sur le projet de données.

- C’est exact.

- Et Alexian dans tout cela ?

- Je ne comprends pas. Alexian était un simple employé avec qui j’étais en concurrence pour la promotion. C’est d’ailleurs grâce à lui que j’ai acquis un tel niveau, il en savait toujours plus que moi et je devais sans cesse dépasser mes limites.

- Balkichvski et son père se connaissent, vous avez travaillé pour Dimitri sur des projets personnels, il vous devait bien un petit service. À qui profite la mort de ce jeune, à votre avis ? Et vous entretenez des relations avec l’homme de main de votre sauveur, lequel vient de fuir à mon arrivée.

Elle ne répondit pas. Les indices parlaient d’eux-même et Diane se retrouvait dans la position d’un suspect plus qu’idéal. Ce goût si amer du passé remontait à la surface. Combien d’erreur avait-elle commise au final ? Son coeur se serra.

Jules la détaillait à présent. Il avait exposé sa théorie et l’absence de réponse de l’informaticienne ne faisait que le conforter dans ses déductions. Diane et Dimitri avait orchestré l’assassinat du jeune Alexian et supprimé Mâcon l’électron libre pour ne pas prendre de risque. Un test de résidu de poudre sur les mains de la femme confirmerait sa présence sur les lieux de l’entrepôt au moins. Il ne manquait plus qu’une preuve solide pour la relier au fils Kritovsk.

Un test de résidus de poudre sur les mains de la femme confirmerait sa présence sur les lieux de l'entrepôt au moins. Il ne manquait plus qu'une preuve solide pour la relier au fils Kritovsk.

- Je sais ce que vous pensais. Mais vous faites une erreur. Certes, personne ne peut témoigner du fait que j'étais chez moi ce soir-là. C'est l'inconvénient du célibat. Mais je n'ai pas tuer Alexian.

- Il faudra convaincre la police. J'ai besoin d'un important service. Pourriez-vous me mettre en relation avec un informaticien, un spécialiste du décryptage ?

La demande surprit Diane.

- Euh… Oui, bien sûr. Mais dans quel but ?

- Je vous en dirais plus dès que nous serons paré à dévoiler le contenu de cette clef.

Il sortit l'objet de sa poche et le mit sous les yeux de la femme. Elle l'observa avec attention, comme cherchant à faire remonter un énième souvenir à la surface, en vain.

D'un geste de la main, elle l'invita à pénétrer dans le colosse de béton pour gagner son bureau. L'ascenseur était en panne depuis la veille et les marches réveillèrent la douleur à la cuisse de Jules. Il tenta de ne pas montrer sa faiblesse, grimaça par à-coup et s'interdit tout grognement.

L'ascension achevée, il marqua un arrêt à l'entrée de l'open space. Il avait besoin de renouveler sa vue d'ensemble sur du lieu de travail, de ne pas rester dans ses certitudes et envisager toute alternative à son raisonnement. Se pouvait-il qu'il ait manqué un détail ? Rien n'était impossible, il était un homme avant tout.

Il aperçut Betty près du box d'Alexian. Un rapide coup d'œil lui permit d'apercevoir une multitude de germes de fleurs déposées tant sur le bureau que sur la cloison de séparation. Quelques roses blanches, un orchidée ou bien même un bonsaï ; les génies de l'informatique prouvaient que seuls le « 0 » et le « 1 » avait une signification pour eux. Pas les fleurs en tout cas.

- Vous tenez le coup ? Demanda Jules à la jeune femme rousse.

- Les temps sont durs et seul l'égrènement des jours me permettra de panser la surface de cette blessure. La surface seulement...

Le juriste n'enchérit pas, il avait été touché par la poésie des mots de son interlocutrice. Profondeur et sincérité, les maîtres mots de l'émotion. Il retira délicatement sa main de son épaule et fila vers Diane qui l'attendait un peu plus loin.

Le bureau de « la dictatrice » reflétait son ambition démesurée. A mobilisait deux espaces à elle seule. Avec un grand sourire, elle laissa Jules découvrir son intimité intellectuelle. Elle lui apporta une chaise et prit place devant son ordinateur. Fin prête, elle se tourna vers Jules :

- Expliquez-moi ce que je dois faire.


Le jeune homme lui fit un rapide topo, omettant volontairement de lui donner les détails qu'il jugeait sensibles. Il devait la maintenir dans le flou pour se garder la possibilité de la confondre dès que possible.

- Il faut que j'accède au contenu de cette clef, mais le cryptage mis en place me barre la route. Sans ces informations, le ou les coupables s'en sortiront à coup sûr.

- Très bien, donnez-moi le support, je vais voir ce que je peux faire pour vous.

- Hors de question, vous ne travaillerez pas seule. Je dois prendre des précautions quand aux découvertes que vous serez amenée à faire.

Ils se lancèrent un regard de défi réciproque. Ni l’un ni l’autre n’avait l’intention de céder.

- Je peux rester avec madame Le Tane si nécessaire. Et si cela peut faire avancer l’enquête sur la… la mort d’Alexian, vous pouvez compter sur mon aide.

Betty se tenait de l'autre côté de la cloison, un semblant de sourire maladroitement accroché à ses lèvres. Sa gêne, palpable, traduisait son angoisse de se retrouver seule avec cette femme, mais son initiative tombait à pique.

Diane se tourna vers Jules, dans l'attente qu'il se prononce sur la proposition. Il feinta une réflexion à laquelle personne ne croyait. Après un court instant, il hocha la tête d'un signe approbateur.

- Très bien.

Au bout du couloir, un homme marchait d'un pas décontracté, la joie de vivre ancrée sur le visage. Il marqua le pas lorsqu'il entendit plusieurs voix s'élever du box de sa collègue. Qui pouvait bien rendre visite à Diane ? Personne ne l'appréciait. Elle était la réunion de la peste et du choléra, un combo des pires saloperies existantes.

A pas de loup, il se rapprocha de son antre. On cherchait à lui voler sa place auprès de la nouvelle chef. Hors de question ! S'il fallait mordre, il montrerait ses crocs avant d'en faire usage. Ses griffes aussi.

Planté devant l'entrée du bureau, Philippe se figea.

- Phil, nous avons une priorité absolue pour monsieur, tu mets de côté tous les autres dossiers en cours. Illico.

Tous se tournèrent vers l'homme. Son teint vira au pâle quand Diane lui montra la clef USB remise par le juriste cinq minutes auparavant.

- Tu ne vas pas bien ? s'enquit la femme.

Son regard faisait des allers-retours entre le support et le juriste, sa déglutition plus compliquée. Il fit un léger pas en retrait. Puis un second. Jules sentit un mal-être s'installer, il se tramait quelque chose sans qu'il puisse mettre le doigt dessus.

- Réponds-moi, insista Diane, tu ne sembles pas dans ton assiette cette après-midi.

- C’est que.. Non. J'ai besoin de me rafraîchir. Je reviens...

Un nouveau pas en arrière : la voie était libre.

Philippe jeta un ultime coup d'œil à Jules. La flamme de la haine s'y consumait à présent. Il n'était plus le même, il avait basculé dans sa véritable nature. Jules comprit alors qu'il s'était fait manipuler par l'homme lors de sa première venue. Quel con !

Trop tard.

L'homme s'éloignait déjà pour rejoindre les escaliers sous le regard interrogateur de ses collègues. Jules s'élança à sa poursuite, il ne devait pas le laisser s'échapper. Il esquiva une première femme, mais fit tomber une pile de dossiers en équilibre. Des râlements s'élevèrent.

Philippe attaquer déjà les premières marches, mais son poursuivant le talonnait de près. Encore deux mètres et il pourrait le plaquer au sol. Deux mètres, mais... La douleur le foudroya. Une pointe dans la cuisse qui le scotcha sur place. A deux doigts de perdre l'équilibre, Jules s'arrêtera non sans jurer par tous les Saints. Il traquerait sa proie plus tard, elle ne lui échapperait pas.

Sur le sol, un papier chiffon attira son attention. Il le déplia avec soin et lu :

« Саша, Дом - вторник »

De retour au box de Diane, la patte traînante, chacune des deux femmes partagea son sentiment :

- Je ne comprends pas ce qu'il lui a pris... commença l'informaticienne. J'ai comme une désagréable sensation. Je n'ai pas reconnu l'homme avec qui je travaille depuis tant de temps.

- Je suis d'accord avec madame, ajouta Betty. Je sais que Philippe était amoureux de moi et que mon rapprochement avec Alexian l'a beaucoup affecté.

- Je confirme.

- Mais ce regard... J'en ai froid dans le dos.

Jules assimilait les nouvelles informations, repensait son schéma et ses hypothèses. Bien que cette jalousie constituait un parfait mobile pour assassiner de sang froid le jeune Russe.

- Alexian était un obstacle pour Philippe et cela ne fait pas de doute, mais de là à le tuer... Non, il avait fini par passer à autre chose et nous en avions parlé longuement autour d'une vodka, confia Diane.

- Et que cela vous a-t-il fait d'apprendre que Philippe avait des sentiments à votre égard Betty ?

- Flattée, mais j'ai eu un peu de mal à lui faire comprendre qu'il ne pouvait rien se passer entre nous deux. Il a été agressif au départ, mais comme le dit madame Le Tane, il a su revenir à la raison. Peut-être est-ce l'effet du petit mot que je lui ai transmis.

Un petit mot... Encore une fois, Jules sentait que les pièces du puzzle se mettait peu à peu en place. Il avait besoin de réfléchir, de faire le tri et de partager ces nouvelles données avec son équipe pour obtenir un regard neuf.

- Autre chose : l’une d’entre vous parlerait-elle le russe, par hasard ?

Les deux répondirent négativement.

Ses affaires regroupées, il quitta le box sans pus de précision. Il se retourna une dernière fois et lança :

- Je compte sur vous.

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