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Le break familial se gara dans l’allée. La pelouse avait été fraichement tordue, probablement le matin même. Cette odeur… Pas de doute, Nicolas Laville avait passé ses nerfs à l’aide de la tondeuse.

Le contact coupé, Irène ouvrit sa portière et contourna le véhicule pour aider Alice à sortir. Jusqu’à la fin de cette affaire, elle crècherait chez ses parents. Bien qu’elle contesta cette décision avec vigueur dans sa chambre d’hôpital, sa mère ne lui laissa pas le choix. À quoi bon lutter face à la détermination d’un parent surprotecteur.

Les premiers pas furent douloureux. Sa jambe gauche peinait à tenir son rôle et Alice détestait les béquilles. « J’ai l’impression de ressembler à mamie » argumentait-elle pour ne pas l’utiliser. Elle céda aussi sur ce point. Maman poule était bien trop forte pour elle aujourd’hui.

- Je vais chercher ton père pour les bagages, ne t’embête pas.

- D’accord, merci.

Dans l’allée menant à la porte, la jeune femme s’immobilisa. Cette maison avait bercé son enfance, des milliers de souvenirs en pagaille. Revenir ici lui provoquait toujours une montée de nostalgie, plus encore aujourd’hui alors que son frère ne serait pas autour de la table ce midi.

- Mon poussin, comment vas-tu ?

Le policier prit sa fille avec prudence dans ses bras. Il lui déposa une bise avec tendresse et disparut derrière la voiture. Le coffre s’ouvrit dans un couinement.

- Tu vas te reposer et d’ici quelques jours, tu seras d’attaque pour reprendre le boulot.

- Il faut aider Lucas, tu connais la détention provisoire, ce qu’il s’y passe.

- Chaque chose en son temps Alice. C’est le petit Charles sur le dossier, il va s’en tirer. Il va faire le job comme à chaque fois et Lucas sera innocenté.

La fille franchit le palier et se retourna vers son père. Elle croisa les bras non pas sans douleur. Peu importait, elle pouvait souffrir le martyre qu’elle s’en fichait. Son frère et son copain étaient tous les deux en danger. Marie n’avait pas pu tenir sa langue en appelant son amie. Elle lui avait tout raconté.

- Il faut aussi aider Jules, que tu le veuilles ou non.

Un long silence s’en suivit.

À l’heure du thé, Irène Laville monta chercher son mari. Enfermé dans son bureau, il se coupait bien trop du monde depuis sa mise sur le banc de touche dans l’affaire Kritovsk. Pieds et poings liés, cet homme était un lion tournant encore et encore dans sa cage. Sa fille l’avait aussi piqué au vif dans la matinée.

La femme toqua à la porte. Sans autorisation, elle pénétra dans le bureau. Dans son fauteuil, Nicolas Laville épluchait les journaux papier nationaux. Son fils était au centre du monde, le regard de la France entière braqué sur lui, réclamant que justice soit faite. Il marmonnait, pestait un peu plus à chaque nouvelle ligne.

Irène Laville s’assit sur le rebord du bureau, attendant que son mari fasse le premier pas. Il le ferait, elle le connaissait par coeur après vingt-cinq ans de mariage. Il se retourna et la fixa, gardant le silence intact.

La première fois qu’il avait vu cette jeune et belle demoiselle, il avait su qu’elle était sa moitié. Aucun doute possible. Ses petits yeux verts, cette natte marron couleur tabac et cette silhouette fine de sportive… D’un simple sourire elle avait conquis le coeur de Nicolas, version adolescent puéril. Puis il y eut le premier rendez-vous, le premier baiser. Non, il ne s’était pas trompé.

Comme prévu, il craqua :

- Cette expression, je la pratique depuis assez de temps pour la reconnaître. Et autant te dire que je ne cèderai pas. Ce garçon est un danger.

- Je le sais.

- Il a envoyé notre fille à l’hôpital. Il se prend pour un super héros sans se soucier des conséquences pour ses proches. Je ne peux pas cautionner un tel comportement. Encore moins aider cet inconscient dans ses numéros.

Elle l’écoutait cracher sa colère. En réalité, il s’en prenait à Jules car lui-même était incapable d’agir. Il y avait aussi une pointe de jalousie, le jeune homme étant très doué pour résoudre les énigmes. Nicolas devait encore avoir en travers l’aide qu’il lui avait apportée.

- Je suis un représentant de la loi, je la respecte.

- Jules la respecte aussi mon chéri, mais il a compris que s’il ne franchissait pas la ligne, Lucas aurait très peu de chance de s’en sortir.

Sa voix était douce, posée et surtout apaisante. Comme un remède aux effets instantanés.

- Je l’ai fait aussi ! s’empourpra Laville

- Et je te crois. Mais… Ce que j’essaie de te dire, c’est que Jules ne viole pas la loi pour le plaisir. Ses actes sont réfléchis, il sait parfaitement ce qu’il encourt à chaque instant. Pourtant il continue, il ira jusqu’au bout.

- Il se fout de ce que tu penses de lui.

Alice fit irruption dans la pièce. Ses parents la regardèrent avec deux expressions antinomiques : sa mère lui souriait tandis que son père l’aurait bâillonné pour qu’elle cesse de défendre ce vaurien.

- Reste en dehors de tout cela s’il te plait, dit-il en déployant son corps.

- Tu vas le laisser prendre tous les risques alors que c’est toi le père de Lucas ! La loi, la loi, et encore la loi ! Tu n’as que cela en tête, mais mon frère, ton fils, est en danger de mort.

- Je ne te permets pas de me parler sur ce ton !

- Tu restes planté là, à le critiquer. Sauf que lui risque sa carrière, sa vie, il risque tout pour Lucas. Mais que fais-tu toi papa ? Rien.

Elle se tourna vers sa mère, puis se dirigea vers la porte. Avec difficulté, Alice quitta la pièce sans un mot.

- Ta fille n’a pas tort Nicolas. Ne laisse pas Jules seul. Il est ce qu’il est, un jeune insouciant. Mais rappelle-toi que tu as aussi eu besoin d’aide et qu’une main t’a été tendue.

- Même si je voulais l’aider, je ne le peux plus. Je suis grillé pour ce dossier, Marone a dû donner la consigne de ne pas me communiquer la moindre information.

- C’est une excuse Nicolas.

Elle quitta sa position et se dirigea à son tour vers la sortie de la pièce. La femme marqua le pas, espérant une réaction de son mari. Il n’en fut rien. Elle n’insisterait pas, Alice l’avait bien secoué. Assez pour le faire réfléchir, mais changerait-il d’avis ? Elle disparut, le son des les pas dans les marches parvenant à Nicolas.

À nouveau seul, le capitaine donna un grand coup de poing sur son bureau. Sa famille, son socle se disloquait. Il aurait aimé rendre Jules responsable de tous ses maux, encore une fois, mais il ne le pouvait. Alice avait raison, il était indigne d’être le chef des Laville s’il restait les bras croisés. Mais comment aider ce maudit juriste ?

Appeler le petit Dupuis n’était pas une mauvaise idée. Il lui était loyal, cela ne faisait aucun doute. Il avait été en cours avec Jules aussi, peut-être serait plus enclin à l’écouter et satisfaire sa demande.

Contournant son bureau, il ouvrit le second tiroir sur la gauche et s’empara d’une petite clef en métal. Il composa le numéro de Jules et s’assit dans son fauteuil. Il y eut une première sonnerie, puis plusieurs autres. Enfin le répondeur se déclencha :

« Jules, c’est Nicolas à l’appareil. J’aimerais que l’on se parle. Je pense que… Je pense que tu es un sacré petit con, mais que ce que tu fais pour Lucas mérite toute ma gratitude. Si je peux faire quelque chose pour toi… N’hésite pas à me demander fiston. Bien… Je te laisse. ».

Il raccrocha et posa son portable sur le bureau. Déterminé, Laville se rendit au garage.

Face à une vieille malle, se remémora son contenu. Une époque de sa vie qu’il avait eu du mal à effacer. Le passé finit toujours par vous rattraper, il n’y couperait pas. La clef libéra le verrou, le coffre s’ouvrit sous l’action de sa main.

Une pile de dossiers archivés, des photos et quelques vieilles bricoles de flics. Il n’en sortit qu’un seul, très fourni. Il le posa sur l’établi. La paume de sa main glissa sur la devanture du dossier. Il repassa avec son doigt sur les lettres gravé au marqueur noir indélébile. Jamais il n’aurait cru devoir affronter ces pages à nouveau.

« Balkichvski - Kritovsk / Trafics de stupéfiants », finit-il par souffler.

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