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Le pas déterminé, le torse et les épaules gonflés, Nicolas Laville semblait fin prêt à en découdre. Trop longtemps il avait attendu l’occasion de remettre Jules à sa place et de passer ses nerfs sur lui. Cette fois, il ne se priverait pas.

Jules faisait des petits pas pour tenter de suivre le rythme infernal que lui imposait l’homme. Il l’endentait déjà revenir sur son comportement inconscient, les conséquences pour son entourage. Il s’y était préparé maintes fois, devant la glace de sa salle de bain. Mais en conditions réelles, aurait-il le même courage ? Pas certain.

D’un mouvement brusque, il assit le jeune garçon sur un banc en bois tagué de toute part. Jules baissa le regard pour échapper à l’affrontement direct, mais monsieur Laville lui mit une claque sur la tête. Jules grimaça.

- Je t’ai prévenu, des centaines de fois. Je t’ai averti des conséquences si tu continuais à te prendre pour un détective de mes deux. Mais non !

- Monsieur, je…

- Ferme-ta-gueule ! Je parle, tu t’écrases.

Premier crochet, et pas des moins douloureux. Le match était bel et bien lancé. Laville 1, Jules 0.

- Ma fille s’est fait agresser par deux malfrats à cause de tes petits actes que tu penses héroïques. Ils lui ont demandé de te faire passer un message après avoir provoqué un accident et l’avoir isolé dans une zone déserte pour le constat. Tu ne fais que semer la merde derrière toi.

Nouveau crochet. Même violence, même conséquence. 2-0. La haine ne faisait pas que graver le visage du capitaine, elle coulait dans ses veines. Une arme à la main, il aurait sûrement déjà pressé la détente. Plus d’une fois même.

- Je vais te balancer à mes collègues. Ils vont te pourrir. Ta vie va devenir un enfer. Je t’ai couvert pour les bijoux, j’ai risqué ma carrière et mon honneur pour ta tronche de minable juriste. Et en retour je retrouve ma fille dans un hôpital ? C’est trop !

- J’ai faim.

Retournement de situation complet. La réponse du garçon décontenança le père. Il ne sut que dire. Laville 2, Jules 3. Vainqueur par KO. Fin du match.

Avec ce genre d’individu colérique, deux options : gueuler autant jusqu’à ce que l’un cède ou bien le surprendre avec un propos inapproprié. Jules avait un talent inné pour la seconde. Il avait bien essayé de jouer les gros durs par le passé, mais face à la crème des personnes sanguines, mieux valait ne pas prendre trop de risques.

Toujours muet, Nicolas Laville fronça un sourcil. Jules était-il stupide ou bien n’en avait-il rien à faire de ses paroles. Le garçon leva sa main et le guida pour qu’il s’assoit à son tour.

- Putain, dans quel merdier tu t’es encore mis ?

- Et bien… commença Jules.

La question n’attendait pas de réponse. Il s’en rendit compte à temps. Le flic savait parfaitement quel genre d’individus se dressait sur la route de Jules. Lui-même s’est frotté à des types comme Balkichvski, notamment dans l’affaire des bijoux, ou bien durant ses années chez la brigade des stups.

- Lucas va être présenté au juge d’instruction. Mise en examen, placement en détention provisoire. Je ne te fais pas le tableau, tu le connais, reprit Laville. Mais dans ces murs, il y a des dizaines de gars que j’ai coincés et envoyés en cabane. Mon fils est mort s’ils l’apprennent.

- Je vois.

- Non, pas vraiment.

- D’accord.

Ne pas rallumer la flamme et manœuvrer en douceur. Telles étaient les missions de Jules à présent.

- Ne mêle pas ma fille à tes histoires.

- Mais elle n’en fait qu’à sa tête. J’ai beau lui interdire de me suivre, elle est comme mon ombre. Je la dépose à un point A, et je la retrouve derrière moi à un point B.

- Elle te trace.

Jules eut un temps d’arrêt. Il interrogea le capitaine de police du regard, l’incitant à lui expliquer ce qu’il entendait par-là.

- Elle quoi ?

- Elle utilise un logiciel pour te tracer, te géolocaliser si tu préfères. Je lui ai conseillé de le faire pour un de ses articles. Elle a dû reprendre l’idée pour te l’appliquer. Elle sait où tu es et à quel moment.

À y réfléchir, cela n’étonnait pas. Alice était très possessive, parfois à l’excès. Quand il avait rencontré Marie pour la première fois, Jules avait dû faire face à la jalousie de sa copine. Son frère aussi se plaignait souvent du contrôle que sa sœur exerçait sur lui. Mais la géolocalisation…

- Je dois partir.

- Pour quelles raisons ? Alice devrait sortir d’ici deux heures. Tu ne vas quand même pas continuer à faire tes conneries. Laisse la police s’occuper de ce dossier.

- Non. J’ai pris un engagement envers Lucas. Je dois le tenir.

Jules se leva et réajusta sa veste.

- Occupez-vous d’Alice. Gardez-la le plus loin possible du terrain. Je reviendrai vers vous en cas de besoin. Vous aussi, prenez de la distance avec ce dossier, vous avez bien plus à y perdre que vous ne le pensez.

Le père de famille se leva, prêt à contester, mais les paroles du jeune homme le touchèrent plein cœur. Jules avait raison. Il fallait qu’il préserve sa fille et sa femme.

Contre son gré, contre ses principes, il laissa le blondinet s’éloigner. Il dut prendre sur lui et serrer les poings un peu plus fort pour que l’envie de rattraper Jules cesse. Même si l’idée ne lui plaisait pas, il devait le laisser agir. Le soutenir et non le ralentir. Ce jeune était peut-être la seule chance qu’il avait de revoir Lucas rapidement et surtout, en vie.

Laville tourna les talons et regagna les urgences.

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