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Les pouces en action, Jules tapotait sur l'écran de son téléphone portable. Une gestuelle coordonnée, parée à toute épreuve. La missive terminée, il se relut, y apporta quelques corrections et pressa le bouton « envoyer ». Une vibration ramena le jeune homme perdu dans ses pensées. Il imaginait déjà ce qu'il allait découvrir. Un simple accusé de réception. Déception.

Les étudiants rentraient dans la salle 205, réputée faite pour les chargés de travaux dirigés « bisounours » ou trop fragile psychologiquement. Au moment de trouver un remplaçant pour reprendre le cours, Jules n'avait pas hésité. Tant de bonté. Il allait briser la légende et faire de cette mythique salle, celle de la peur.

Jules expira longuement puis rentra avec une démarche classe. Il s'assit sur sa chaise et observa le groupe. Au premier rang, les têtes, déjà prêtes à lever la main. Table rangée avec rigueur, les pensées plongées dans les fiches de cours pour ne pas oublier. Que des filles, étonnant non ?

Le deuxième et le troisième rang en disait un peu plus long sur le niveau intellectuel du groupe. Quelques bons éléments dans le lot avec qui le dialogue serait stimulant. Mais aussi les fils à papa et maman détenant un cabinet et qui tenteraient d'en abuser. Les glandeurs aussi, passés maître dans l'art, qui demanderaient d'entrée s'il y avait un « joker » pour la préparation des devoirs maison. Distrayant.

Au dernier rang, les mous du genou et les « SB » dits les sans-batteries. Les premiers s'endorment sans gêne alors que les seconds se battent pour brancher leur ordinateur et réanimer leur petite bestiole high-tech.

Aucune surprise. Le schéma classique d'une salle de TD.

- Bonjour à tous, nous allons commencer...

Pas un seul occupant ne lui prêta attention. Le brouhaha montait crescendo, le deuxième rang entrant en concours avec le troisième. Le chargé de travaux dirigés se leva sans le moindre bruit, il tendit un parquet de feuilles à la première personne devant lui et fit un signe de la main. Chacun prit un papier, le vacarme ne cessant pas.

Lorsque le dernier étudiant eut son papelard entre les doigts, Jules lança sa première « bombe » :

- Vous avez dix minutes, il sera noté et coefficient deux.

Le silence tomba net. Les yeux s'écarquillèrent et quelques-uns restèrent bouche-bée, sous le choc.

- Mais monsieur...

- Vous avez perdu vingt secondes déjà, dépêchez-vous.

Les stylos dansèrent sur le papier, une croix par-ci, une petite phrase justificative par-là. Jules était fier de son coup. Il les aurait à son écoute maintenant. Dominer ou être dominé, le monde était cruel en TD.

Les interrogations surprises ramassées, le blondinet distribua les copies corrigées de la première séance. Les sourires ne furent pas au rendez-vous. Jules sortit sa séance et fit l'appel : aucun absent, un bon point. Les copies ramassées, l'homme évoquait son premier point de cours lorsque l'on toqua à la porte.

- Entrez.

Le battant pivota, laissant apparaître la silhouette d'un homme noir.

- Yo ma grosse ! Bien ou c'est comment ?

Petit costard gris, chemise bleu saphir et les chaussures noires cirées, l'homme revêtait l'attirail parfait du BCBG doublé du fils de riche. La montre en or vingt carats, la chaine assortie et les lunettes Ray ban... La sapologie l'avait frappé de plein fouet ; à moins qu'il ne soit tombé dedans petit. Une superbe couverture plutôt lorsque l'on connaissait le personnage au quotidien.

L'invité se posa sur la table de Jules, sous les regards un peu médusés des étudiants.

- C'est eux les morpions que tu tentes d'engraisser intellectuellement ? Lolilol ! Je suis déjà mort de rire. Non pardon, le Seigneur ne t'a pas gâté mon frère. Bon, je peux faire quoi pour ton gars, là ?

Jules l'enfourcha par le bras et l'accompagna à la porte.

- Tu m'attends ici, j'arrive.

- T'inquiète, je n'ai pas encore la téléportation en option.

Les élèves rirent à pleins poumons. Jules répartit la salle en quatre groupes et leur demanda de préparer un exposé rapide. Le meilleur des quatre gagnerait un point dans la moyenne.

Laissant la porte entrouverte pour surveiller sa classe, il serra son ami dans ses bras.

- Gars j'ai besoin de ton aide. Mon beauf se retrouve dans une merde intergalactique. Scène de meurtre, poursuivi par les flics, recherché. Tu vois le tableau.

- Du grand art mec ! J'adore !

Jules fronça les sourcils et croisa ses bras. Babacar se tut.

- Il faut que l'on récolte un maximum d'éléments sur les faits, les personnes présentes, et tout le reste. Il nous faut aussi un lieu à l'abri des regards. Je sais que tu as les connaissances pour. C'est notre priorité absolue, pouvoir travailler à l'abri des regards indiscrets.

- Et le pognon ! ricana le sénégalais.

Incorrigible.

Une tape sur l'épaule, Jules regagna sa classe l'air pensif. Heureusement, il allait avoir les monstruosités des étudiants de deuxième année pour se changer les idées. Alors que Babacar descendait les marches, la porte de la salle 205 se referma.


***


Quand le dernier élève fut sorti, le chargé s'assit sur sa chaise et se massa le crâne. Entendre tant de bêtises à la seconde lui provoquait fatalement une migraine carabinée. Et pourtant, il devait maintenant se concentrer sur une affaire dont il n'avait pas la moindre piste. Il lui fallait un peu d'aide, et il savait où il allait en trouver.

Portable à la main, il fit défiler ses contacts jusqu'au dénommé « N. Laville ». Il n'avait pas eu d'autre idée au moment d'enregistrer le numéro de son beau-père. Beau papa ? Non, trop ringard. Nicolas ? Hum, trop proche. Il avait décidé de jouer la neutralité.

Jules appuya sur « appeler », mais raccrocha rapidement. Comment grappiller des informations sans pour autant que ce flic comprenne le danger pesant sur son fils ? Il avait le choix : être sérieux, utiliser son humour ou bien miser sur la finesse. Les trois pourraient marcher en même temps... Non. Face à une forte tête, il fallait l'être encore plus.

Il lâcha une grande expiration. Des feuilles virevoltèrent devant lui. Il se laissa à penser qu'il en était à l'origine. L'illusion prit aussi son envol et la raison le regagna. Le jeune homme se lança. Après quatre sonneries, une voie roque s'exprima :

- Inspecteur Laville, que puis-je faire pour vous.

- Bonjour Monsieur, c'est Jules. Comment allez-vous ?

- Ah, Jules... Bien, je vous remercie, fit-il à une joie feinte.

- C'est cool.

- Oui. Cool. Et vous ?

- Vous avez entendu parler de ce meurtre hier soir ? Horrible ! Ça doit être... Effroyable sur le terrain.

Méthode du bourrin, ça passe ou ça casse. Jules n'avait pas choisi la simplicité face au chevronné. Le mur qu'il prit fut bien dur quand l'homme reprit la parole.

- Je ne te dirais rien. Tu as bon être le copain de ma fille, tu restes un vautour de journaliste.

Petit crochet du gauche, le direct du droit ! K.O. ! Jules était à terre Mais sa manche était remplie de jokers, et il n'allait pas hésiter un seul instant à les utiliser. Un vrai rapace tournant autour de sa proie, rétrécissant ses cercles avant de plonger à pique.

- Juriste.

- Juriste, avocat, journaliste... Tous les mêmes non ?

- Vous oubliez que vous me devez un petit service. Le dossier Malkechizan, vous ne l'avez quand même pas oublié.

Silence.

- Tu es un petit malin toi. Mais je te rappelle que l'enquête débute. Une fuite, et c'est toute l'affaire qui pourrait capoter derrière. Je ne peux pas me permettre une telle bavure. Le commissaire m'a dans le pif en plus.

Une difficulté supplémentaire que Jules n'avait pas prévue. Il comptait sur l'inspecteur pour se faire une idée précise de la situation. Son tableau resterait vide. Se gratouillant le menton à la barbe naissante, aucune idée ne lui vint. Il lui fallait un instant de réflexion, seul.

- Treize heure trente au café, comme d'habitude ?

- Moins le quart, râla l'inspecteur.

- Cool. Encore une fois. Deux « cool » dans la même conversation, nos relations s'améliorent. C'est le psy qui va être content.

- Je ne te promets rien du tout. Ne te fais pas d'illusions.

Il n'avait pas adhéré à ce petit coup d'ironie de son beau-fils. Trop d'un coup, je vais ralentir sur l'humour sinon il va finir par me coller une balle dans le crâne. Le jeune homme conclut :

- Entendu.

Jules posa sa tête sur ses mains, coudes sur la table et jambes croisées sous la chaise. Lucas était dans une sacrée galère. Le blondinet n'avait rien à se mettre sous la dent. Il ne pouvait pas aider son beau-frère. Que de bâtons dans les roues.

Treize heure cinq, le RER partait à neuf, juste de quoi l'attraper au passage. Rangeant les devoirs ramassés dans sa sacoche, il s'empara dans son second sac et quitta la salle d'un pas déterminé. Son seul espoir était Monsieur Laville. Il n'y avait pas une seconde à perdre.

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