Chapitre 3

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L'air était saturé des odeurs pestilentielles des créatures. Un parfum de poils mouillés, de charogne et d'urine que dégageait chaque gnoll. Mais le bruit était d'autant plus insupportable. C'était une musique de piaillements et de jappements plaintifs tandis que les bêtes les plus grandes se dressaient par dessus l'océan de poils et faisaient claquer leurs fouets avec cruauté pour maîtriser leurs congénères. Les bêtes humanoïdes montraient les crocs, hurlaient, s'excitaient à l'idée du massacre. Parfois un orque passait au travers la masse grouillante et les gnolls détalaient sur son chemin jusqu'à ce qu'un élément plus rétif que les autres montre les crocs à son maître. Ceux-là se faisaient alors embrocher sur une lourde lance et l'orque traînait la carcasse jusqu'à son campement pour le dépiauter et le rôtir à la broche. Se faisant les warzukas affaiblissaient la résistance de leur horde d'esclaves.
Un destrier à la robe noire avança au milieu de la meute, écrasant sans ménagement sous ses sabots les cadavres lacérés des warzuks à moitié dévorés par leurs congénères. Son cavalier était un warzukani portant une armure entièrement faite d'ossements tout comme la barde de sa monture. Il effrayait tellement les warzuks que ceux-ci se taisaient à son arrivée. Les longues oreilles du warzukani frétillaient de satisfaction au fur et à mesure que le silence se faisait. Écorcher vif les éléments les plus braillards avait porté ses fruits.
Il arriva près d'une colline où le seigneur de guerre orque Komgatz Hurlepoing était occupé à expliquer sa stratégie à un lieutenant dont la mine trahissait qu'il ne comprenait strictement rien.
"Écoute-moi bien, chiure de larve atrophiée ! C'est la dernière fois que je me répète. Si tu me dis encore que t'as pas compris je t'enfonce la tête dans le cul tellement fort qu'elle ressortira par ta bouche !"
L'orque, visiblement impressionné par cette menace, parut redoubler d'attention.
"Leur foutu fort a été rebâti à la pisse près d'une quinzaine de fois en vingt petites années. Ils ont négligé tout un pan de la muraille nord où ils ont remplacé le mur par un fossé rempli de pieux. Tu comprends ça !
- Oh oui chef ! Je comprends très bien !
- Tu sais ce que c'est qu'un fossé ?
- Euh… un genre de trou non ?
- C'est ça. Alors pour entrer dans le fort sans tomber dans le trou, on doit remplir le trou, le remplir avec du ciment. Tu sais ce que c'est le ciment ?
- Euh…
- Dans leur bordel de fort, parce qu'ils ont un mur en construction, ils ont un stock de ciment. Toi et tes gars vous allez entrer dans le fort discrètement, vous allez trouver le chantier, prendre le ciment, et le foutre dans le fossé ! Et tu t'occupes que de ça ! Quand t'es dans le fort tu n'essaie pas de tuer tous les humains, compris ?
- Oui da, compris, compris. J'ai tout compris chef.
- Alors dégages de ma vue fils de truie pisseuse ! J'ai autre chose à foutre."
L'orque salua son chef à la manière de sa race. Il écarta les bras et beugla:
"Warzukan brûle en toi, mon maître !" Puis il saisit une dague et s'en servit pour entailler largement son torse nu. La lame transperça son cuir épais et il eut à peine le temps de commencer à saigner que la plaie s'était déjà refermée, ne laissant qu'une cicatrice de taille ridicule et une tâche de sang séchée. Puis l'orque fit demi tour et partit. Le warzukani, qui avait tout observé, s'approcha alors du chef warzuka.
"Holà, cher cousin ! l'interpella l'elfe noir d'une voix suave. Vous préparez déjà le siège de Carîsta ? Ne savez-vous pas la nouvelle ?"
Komgatz tourna son mufle dédaigneux vers son cousin de mauvais augure. Ses mains tripotaient naturellement le manche du large fauchon qu'il avait accroché à sa ceinture.
"Qu'est ce donc encore. Ne me dites pas qu'ils ont fini leurs foutus travaux, ces moucherons en seraient bien incapables.
- Non." Le warzukani afficha un sourire qui pouvait aussi bien ressembler à une grimace de rage. "Les ennemis du dieu du feu ont osé montrer leur nez sur ce territoire, et ils atteindront Carîsta bien avant nous.
- Quoi !?"
Komgatz Hurlepoing, de rage, dégaina son fauchon et, ne pouvant trucider son cousin warzukani, se taillada nerveusement le bras gauche. De longs filets de sang en coulèrent et gouttèrent sur le sol, mais l'orque n'en avait cure et ses veines se ressoudèrent en un instant.
"Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?! mugît-il.
La plus odieuse vérité. Ils sont arrivés du nord-est, depuis les régions de Cadgar…
- Je me fous complètement de ça ! Qu'est ce qu'ils viennent foutre sur le terrain que Warzukan m'a offert pour l'honorer ?!
- Convertir des humains voyons. Quoi d'autre ? Cette race est aussi faible physiquement que mentalement. J'ai des raisons de penser que Carîsta tombera entre leurs mains sans la moindre effusion de sang."
Un rugissement de fauve jaillit de la gueule de Komgatz. Il se planta son fauchon dans la cuisse jusqu'à la garde en un seul coup d'une hargne phénoménale. Il serra les dents sous la douleur, ce qui lui permit de reprendre un peu son calme.
"Tu as un plan ?" fit l'orque d'une voix caverneuse. Le warzukani eut un rire infâme.
"Évidemment que j'ai un plan. Sinon je ne serais pas venu te trouver. Tu m'aurais mis en charpie."
Le warzukani était persuadé qu'il aurait pu tuer le chef orque une centaine de fois depuis le début de cette conversation, mais il préférait brosser le seigneur de guerre dans le sens du poil.
"Et alors ! Quel est ton plan, cousin ?
- C'est que je ne t'ai pas encore tout dis. Tu ne sais pas encore ce que cette armée ennemie transporte avec elle, et que toi, le grand Komgatz Hurlepoing, tu vas pouvoir offrir en pâture à notre dieu !" Son ton, jusqu'alors calme et maîtrisé se faisait de plus en plus dément. "Nous allons piéger ces chiens, arracher la victoire par la ruse et les armes. Je m'assurerai qu'ils soient tous encerclés, pas un seul de ces rejetons infâmes des manipulations impies de mon peuple n'en réchappera ! Nous égorgerons chaque chose vivante ! Nous saignerons les elfes jusqu'à ce que leur sang inonde la terre et lui fasse vomir des miasmes organiques, puis nous brûlerons les carcasses à la gloire du seul vrai dieu de ce monde ! Et enfin ! Cette œuvre de destruction et d'immolation cathartique terminée, au beau milieu des râles aphrodisiaques de l'agonie de nos ennemis, nous offrirons à Warzukan une part du cadavre maudit de l'infâme usurpateur véreux dont le nom a trahi notre espèce, et Warzukan lui même descendra des cieux pour nous bénir de ses flammes et se mêlera à notre festin de chair en dévorant les restes putréfiés de son ennemi !" Sa voix était devenue un hurlement, grésillante comme des braises qu'on attise lentement. Puis aussi vite qu'il s'était excité, il se calma, baissa d'un ton, recoiffa ses longs cheveux blancs qui étaient retombés sur son visage et conclut en ajoutant:
"Et… tout ça, sans se fatiguer."

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