Chapitre 5

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— Il s'appelle comment ?

— Pour la cinquième fois, tu ne sauras rien de lui, Liam.

— Pourquoi ?

— Parce que c’est comme ça. Je refuse de t’en parler. En plus tu avais un objectif, non ?

— C'est vrai…

Il acquiesce et se tait une minute, les yeux détaillant la mousse qui flotte sur son café. Avec la petite spatule en bois, il fait des cercles, dessine des lettres, et se concentre davantage sur sa boisson que sur moi. Il a un regard enfantin comme ça, à jouer avec du café chaud.

— Est-ce qu'il le sait, que tu l'aimes ?

J'esquisse un sourire et finis même par rire à ne plus pouvoir m'arrêter. Il me regarde comme si j'étais étrange et au fond, je le pense aussi. Et en revenant à la réalité, je me souviens qu'il est mort et des perles d’eau salée s'échappent de mes yeux. Liam me lance un regard de pitié et je lui adresse alors un énième regard noir. Je n'ai jamais voulu de la pitié d'autrui. Je ravale les larmes qui menacent de couler et lui répond.

— Oui, il l'a su. Et j’espère qu’aujourd’hui encore il le sache, qu’il n’en doute pas et n’en ai jamais douté.

— Est-ce que c’est réciproque ?

— Oui. Ça l'a toujours été, et, désormais, ça le sera toujours.

— Alors c'est peine perdue, tu ne l’oublieras jamais !

— Écoute Liam, c'est une certitude, je ne l'oublierais jamais, ce serait le plus gros manque de respect, mais tu peux l’égaler, du moins essayer. Il aura été mon premier amour, celui qu'on aime toujours quoiqu'il arrive. Et on ne s'est pas quitté de manière conventionnelle. Mais il voudrait que je refasse ma vie, que je me reconstruise et que je passe à autre chose. Alors non, ce n'est pas peine perdue. Accorde-toi le droit de compter pour quelqu'un. Accorde-toi le droit d'être séduit et de séduire. Et surtout arrêtes de baisser les bras dès que la situation s’avère plus compliquée que tu ne l’espérais. Je ne connais rien de toi, tu as probablement tes raisons, mais tu n’auras jamais rien de bon si tu ne prends pas de risques.

— Mais je ne vais pas perdre mon temps si tu as déjà quelqu’un, que tu l’aimes et que lui aussi t’aime ! Comment est-ce que je suis censé rivaliser avec ça ?

— C’est ton jeu, Liam. Ton jeu et tes règles. Tu ne m’as pas laissé le choix de jouer ou non, tu m’as embarqué avec toi quoique je puisse en penser. Alors, pour l’amour du ciel, arrêtes de faire l’enfant et joues. Je n’étais pas emballée pour faire… ça, encore moins avec toi !

Il me lance un regard noir avant que je ne continue :

— Désolée. Mais tu vois, au final je suis là, et je veux juste passer une journée à m’amuser. On s’en fiche de ce qui se passera à la fin, de qui gagnera ou non, joues ! Simplement.

Encore une fois, il acquiesce et me demande, d’une toute petite voix, avec un regard en biais :

— Il s'est passé quoi ?

— Si je t'en parle, alors c'est que tu auras atteint ton objectif.

— D'accord.

Au-dessus de la table, je lui montre mon petit doigt pour sceller notre arrangement. Il sourit et vient y mêler son petit doigt sans oublier de me rappeler à quel point je suis enfantine. J’acquiesce et lui rappelle qui a commencé à faire ça plus tôt dans la journée.

Nous finissons par boire nos gobelets, jusqu'à la dernière goutte, tout en parlant de tout et de rien, comme on en avait pris l'habitude depuis ce matin, sans jamais laisser un seul malaise s’installer. Parfois, nous rigolons d’anecdotes que l’on se racontait, nous nous racontions des choses plus ou moins personnelles, et puis d’autres fois nous observions les passants qui transitaient sur les trottoirs en essayant d’imaginer leurs vies. Bizarrement, j’étais meilleure à ce jeu que Liam. J’avais tendance à leur imaginer une vie heureuse et paisible, lui voyait une vie morose et triste, même pour ceux qui marchaient le sourire aux lèvres. Alors, à chaque fois, qu’il me disait que ces personnes aux sourires plaqués sur le visage étaient malheureuses et attendaient un bouleversement, mes yeux s’ouvraient encore plus en grands pour ne jamais se refermer. À la onzième description, je lui fais remarquer :

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé dans ta vie pour que tu puisses penser comme ça ? Le but de ce jeu c’est d’inventer une vie heureuse à ces personnes, pas leur créer des complexes et rajouter de la tristesse à une vie que l’on ne connaît pas !

Il rit de bon cœur mais, si je m’attarde sur ses yeux, je peux voir de la tristesse dans ses iris. Liam fait souvent ça, depuis ce matin. À chaque fois qu’il veut échapper à une question ou me cacher ce qu’il ressent, il rigole fort, assez pour que ses pommettes remontent sur ses yeux de façon à masquer ses iris marqués de tristesse. Alors que j’ouvre la bouche pour trouver quoi lui dire, il lève la main pour m’arrêter.

— Tu as terminé ? On peut y aller ?

— Tu vas bien ? j’élude ses questions.

— Oui, bien sûr !

Il lance un coup de tête à ma tasse et frappe dans ses mains alors qu’il se lève, signe que nous partons. Nous sommes à présent sur le capot de sa voiture à contempler la ville, depuis son point culminant. Portland est une ville que j'ai toujours admirée. En fait non, en réalité, je ne l'ai pas toujours aimé, mais depuis que je l'ai connu, je l'aime. Seulement, je n'arrive pas à trouver de souvenirs concrets sans lui. C'est ici que je l'ai rencontré et aussi ici que tous nos secrets se sont avoués. Il avait l'habitude de me dire que Portland était formidable, la plus belle ville qu'il avait visité, et pourtant, il en avait vu des villes, il en avait passé du temps autre part qu'ici. Portland avait tellement d'habitants et pourtant, l'ambiance qui régnait était familiale, tout le monde se connaissait, ou du moins, s'entraidait. C'est ce qu'il aimait me dire. Et j’aimais encore plus le croire.

Souvent, nous parcourions la ville à la recherche de nouvelles choses à découvrir, des endroits, des cachettes, des raccourcis ou, plus simplement, un endroit pour nous recueillir. À la fin, nous revenions toujours aux mêmes endroits, sous le même arbre et à l’angle des mêmes rues. Nous nous installions tantôt sur une couverture, tantôt sur nos manteaux quand il faisait assez chaud, et nous passions tout notre temps ensemble. Il me racontait le récit de sa vie, les aventures qu’il avait vécu et les obstacles qu’il avait eu à franchir. Il me découvrait toutes les villes où il avait vécu auparavant et je buvais chaque parole, fermant les yeux parfois pour visualiser ce qu’il me décrivait. Il me parlait de San Francisco, Casablanca, Medellín, Paris, Milan, Melbourne, Tokyo et Saint-Pétersbourg. Il me parlait des villes et des campagnes, des musées et des parcs, des baroudeurs et des natifs, des plages et des montagnes. Il me racontait tout, dans tous les détails et, à un moment, j’ai fini par croire que j’avais autant voyagé. J’ai fini par croire que je voyagerai autant, avec lui, jusqu’à la fin de ma vie.

D'une voix incertaine, j'ai posé la question qui me brûlait les lèvres. Combien de temps nous restait-il avant la fin du jeu ?

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