Ça y est. Le moment est venu.

Les oignons sont acculés. L'un d'entre eux est pris au piège. Une main se referme sur lui et le plaque sans ménagement sur la planche. Il n'a même pas le temps de frémir que la lame rutilante d'un couteau s'abat sur lui. Mal aiguisée, l'arme doit faire des allers-retours dans ses écailles charnues afin de le tailler, écharpant le pauvre bulbe.

L'huile crépite dans le poêlon. L'oignon, à présent émincé, est balancé dans cet enfer brûlant. Silencieux jusqu'alors, le valeureux bulbe ne peux s'empêcher de hurler sa détresse. Ses cris sont stridents, comme le râle, aigu et guttural, d'un fauve agonisant. Une énorme massue de bois fouette les écailles qui sont malmenées d'un bout à l'autre de la poêle ardente.

Il est vite rejoint par des lamelles de lard. Lui aussi a dû en souper avant d'être découpé ainsi ! La chair des restes du nouveau venu se met à blanchir instantanément, de peur ou de mort, nous n'en saurons rien. On leur adjoint alors une bonne dose de poivre moulu. Ces innocents petits grains, plus fins que du sable, pourraient sembler inoffensifs dans ce brasier huileux. Mais la brûlure supplémentaire qu'ils provoquent est si forte que les hurlements de douleur s'évaporent dans le spectre inaudible du tourment mortel.

Dans cet indescriptible charnier, tandis que l'on pensait que le pire était déjà passé, est déversé un véritable déluge d'un fluide épais et rougeoyant. Telle une mare de sang inondant un champ de guerre, la purée de tomates déferle sur ces grands brûlés taillés en pièces.

Enfin, on sort le poêlon du feu.

Pendant ce temps, dans le placard de la mort, les paquets de pâtes attendent fébrilement leur tour...