Novembre 1808 : Burgos

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La plaine de Burgos m'a impressionné.

Cette vaste plaine était aussi boueuse et froide que les plaines d'Allemagne.

Les champs étaient abandonnés et tout se mourait dans l'hiver.

Et ces champs vides, cette boue espagnole, était couverte de tentes autrefois blanches, maintenant sales de terre.

La Grande Armée campait au nord de l'Espagne et j'étais avec elle.

Les hommes étaient fatigués.

Nous étions en Espagne depuis des mois, mais je ne venais d'y arriver que depuis quelques jours.

Je découvrais.

Une population apeurée par les soldats français, des rumeurs d'exactions terribles et de villages martyrisés.

Des choses qui se chuchotaient dans mon dos et que je n'avais pas encore vu.

A l'époque.

J'aurais aimé ne pas les voir.

Le peuple ne nous aimait pas.

L'Espagne était sous tutelle française depuis la défaite du roi d'Espagne Charles IV de Bourbon. Le frère de Napoléon, Joseph Bonaparte, gouvernait le pays.

Et dire que le peuple voulait sa mort était un doux euphémisme.

L'armée française occupa le pays, forte d'environ 110 000 hommes.

Et dire que le peuple voulait sa destruction était loin de la vérité.

La noblesse et le clergé poussaient le peuple à la révolte et la révolte espagnole durait depuis le mois de mai 1808.

L'Aragon, l'Andalousie, la Galice et les Asturies étaient en pleine insurrection, une guérilla brutale, marquée par des atrocités dans les deux camps.

Je n'avais jamais vu ça.

Je ne voulais pas le voir.

Ce fut le temps des défaites. Bailen, Vimeiro...

Ce furent des coups au coeur et au moral.

Nous ne pensions pas la Grande Armée capable de perdre au point de devoir se replier et capituler.

Les terres brûlantes d'Espagne devinrent un piège pour les Français.

Les actes de torture et les atrocités déliaient les langues et symbolisaient les vengeances.

Terribles.

Aux Espagnols, s'ajoutaient les troupes britanniques, commandées par les remarquables généraux John Moore et Baird.

La Grande Armée quittait les boues de Prusse et d'Autriche pour les terres désolées d'Espagne.

Et j'étais présent.

Je me retrouvais parmi des conscrits inexpérimentés, des contingents étrangers, des régiments provisoires.

La bataille de Burgos démarra le matin. Six heures.

J'étais prêt, je me croyais vétéran. J'avais l'habitude des matins brumeux, des coups de feu et de l'artillerie. Je connaissais les cris de de rage et les hurlements de souffrance.

La cavalerie de Lasalle manoeuvrait sous le feu massif de l'artillerie espagnol.

Les premiers blessés affluaient. Membres arrachés par les boulets, balles en plein ventre, peur et douleur atroces.

Bâtons dans la bouche, on se lavait les mains et la drogue endormait les consciences.

Puis, il n'y eut plus d'eau propre, plus de drogue, plus que du vin et de la folie.

A dix heures, l'infanterie française attaqua, à la suite du maréchal Soult et du général Mouton.

De la belle ouvrage !

L'armée espagnole fut enfoncée.

Un cri de joie parcourut le champ de bataille.

Les Espagnols fuirent, poursuivis par les Français.

Les premiers morts étaient entassés devant les tentes de l'infirmerie.

On entassait les corps et on attendait la fin de la boucherie.

Car j'étais chirurgien, moi, et je me faisais boucher.

La journée se finit lorsque la ville de Burgos fut prise. Lorsque le maréchal Bessières passa à l'attaque et sabra les survivants espagnols en pleine déroute.

Lorsque 2500 Espagnols gisèrent sur le terrain, tués ou blessés, lorsque 900 soldats furent faits prisonniers et que l'artillerie espagnole fut prise par les Français.

J'étais Français, moi, et fier de l'être.

Je suis allé à Burgos en compagnie de quelques camarades.

Je suis allé à Burgos et j'ai compris ce jour-là ce que signifiait "ville prise".

J'aurais préféré ne pas le savoir.

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