Août 1855

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François Rambert se sentait immensément fatigué.

Il essayait de ne pas peser de tout son poids sur la religieuse qui l'aidait à marcher.

Mais Soeur Clémence le retenait et le portait.

Lentement, les mains s'entremêlèrent et le vieil homme sourit à son amie.

" Comment te sens-tu ?, demanda discrètement la religieuse.

- Je suis fatigué. Mais tu avais raison.

- N'est-ce-pas ?"

Le vieillard regarda les jardins du couvent et il secoua la tête.

" Oui, l'été est beau."

L'été était chaud, la chaleur pesait sur les fleurs du couvent. Il aurait fallu arroser.

" Qu'a dit la Mère Supérieure ?, reprit Rambert en taquinant la Soeur prieure.

- Elle comprend que son jardinier va devoir se reposer encore longtemps avant de reprendre les travaux.

- Elle est bien bonne. Mais elle va devoir trouver un remplacement."

La religieuse regarda longuement le vieil homme.

L'inquiétude ne la quittait plus maintenant.

" Tu as juste besoin de repos, François.

- Non, Emilie. C'est l'âme qui est fatiguée."

La religieuse pencha son visage vers son ami et lui souffla :

" Tu te souviens trop, François.

- Peut-être. Je ne sais pas. Je suis trop vieux."

La nonne se mit à rire en se penchant d'un geste délicat.

" Que devrais-je dire moi ?

- Toi, tu es toujours aussi belle, Emilie.

- Un soldat français reste un soldat français. соблазнитель [soblaznitel']."

François Rambert se redressa et sourit, amusé :

" Séducteur ? Je dis présent ! очаровательная [ocharovatel'aïa] !

- Charmeuse ? Moi ? Vous vous oubliez mon lieutenant."

Le vieillard rit et avança doucement d'un pas, sentant la femme contre lui se mettre à sa vitesse.

" J'ai aussi de beaux souvenirs, Emilie et..."

Mais il fut coupé dans son élan par les cris de Soeur Alexandrine.

La jeune religieuse arrivait en riant et en courant. D'une manière indigne d'une religieuse.

Elle agitait un journal.

" L'Empereur et l'Impératrice vont aller visiter l'Exposition Universelle de Paris en compagnie de la reine et du roi d'Angleterre."

La Soeur prieure fusilla du regard la jeune écervelée qui remit précipitamment de l'ordre dans sa tenue consacrée.

" L'Exposition Universelle ?, répéta gentiment François Rambert. Ce doit être intéressant, en effet."

Cela suffit à exciter à nouveau la jeune femme.

Elle tendit le journal au vieil homme et s'écria :

" Vous pourriez y aller ! Vous aussi ! Ce doit être passionnant à voir et l'Empereur va...

- Soeur Alexandrine !, claqua la Soeur Prieure. Vous devez aller faire vos tâches !

- Oui, ma soeur, mais je pensais que M. Rambert aimerait savoir que...

- Oui, merci, ma soeur, approuva doucement le vieillard. Cela me fait plaisir de savoir ça."

La jeune nonne lança un regard triomphant à la vieille religieuse et fila dans le couvent.

" Cette nonnette est une écervelée.

- Elle est juste gentille, Emilie."

La nonne renifla en oubliant ses bonnes manières et cela fit rire le vieux lieutenant français.

" Tu n'es pas jalouse, mon Emilie ?

- Un vieillard de ton âge ! Troublant les nonnettes."

Ils rirent tous les deux.

Soeur Clémence en fut bien heureuse.

Entendre rire son ami était un baume pour son coeur.

Il ne dormait pas, il mangeait peu, il pleurait la nuit.

Il était fragilisé et la vieillesse s'appesantissait sur ses pas.

Mais lorsque Soeur Clémence voyait ses yeux clairs briller ainsi, de joie, elle se rappelait le jeune soldat de la Grande Armée.

Peut-être n'était-il pas trop tard ?

Elle saisit plus fort le bras du vieillard et lui souffla discrètement :

" Je vais essayer de t'avoir une autorisation de sortie de la part de la Mère Supérieure, François.

- Avec Soeur Alexandrine ?," taquina le viel homme.

La religieuse, oubliant sa robe de bure et son voile empesé, frappa le bras du vieux jardinier, comme elle l'aurait fait dans une autre vie.

Lorsqu'elle portait une jolie robe de bal et lui un uniforme chatoyant.

" Avec moi ! идиот [idiot] !"

Il se pencha et s'inclina avec déférence devant la religieuse, si belle encore, malgré son âge avancé et ses cheveux cachés par le voile.

" A votre service, madame."

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