Chapitre 12 : Celle qui parle avec sa mère

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Devant la porte de la maison, je prends une grande inspiration. J’ai eu ma mère au téléphone quelques fois depuis l’anniversaire de mon grand-père. Des silences tendus ne cessent de s’immiscer entre nous. J’appréhende nos retrouvailles. Je frappe trois coups légers. Des pas rapides se rapprochent.

— Athéna, ma chérie, m’accueille mon père avec un sourire timide.

Il a toujours été plus réservé que ma mère, la laissant prendre la parole autant qu’elle veut. Je l’enlace. Il est aussi plus mesuré. Je me demande ce qu’il pense de mes choix, de ce qu’a fait maman. Il n’a rien dit jusque là. Peut-être est-il d’accord ?

Au moment où j’ouvre la bouche, ma mère arrive :

— Athéna ! Comme je suis contente de te voir ! Cela fait si longtemps, regarde-moi ça ! Tu as minci, tu n’as plus de joues…

Une grimace horrifiée prend toute la place sur son visage.

— Il faut que tu fasses attention dans ton état ! Tu vas voir, je t’ai préparé ton plat préféré. ca va te remplumer un peu.

J’esquisse une moue ennuyée. Elle est persuadée que mes goûts n’ont pas changé depuis l’adolescence et que les pâtes à la carbonara, c’est encore mon mets favori.... Du coup, elle m’en fait dès que je viens seule chez elle. Comme si je ne savais pas les cuisiner. Mais elle est tellement heureuse de me les préparer que je n’ai jamais osé lui dire.

Elle m’étudie avec attention, les yeux rivés sur l’arrondi de mon ventre qui se devine sous ma blouse.

— Le bébé a quand même l’air de grossir. Mais faut pas que t’oublies que tu manges pour deux maintenant…

— ça a changé maman. Les docteurs disent qu’il faut manger normalement. Pas pour deux.

— Pff, n’importe quoi ! Pourquoi ça aurait changé d’abord ? T’es enceinte et t’as un bébé dans le ventre, non ?

— Tu sais, ils ont découvert de nouvelles choses sur la grossesse… tenté-je de la convaincre.

Elle hausse les épaules.

— Enfin toi, t’as même pas dû manger normalement vu comme tu es émaciée !

Je souris. Elle exagère tellement. Certes, je n’ai pas pris de poids malgré mon ventre qui s’arrondit et j’ai dû perdre un peu de joues. La faute à ces questions qui me taraudent. Mon histoire avec Gabriel me turlupine. Et les histoires de famille aussi.

— Je n’ai pas perdu de poids, je me justifie.

— Tu n’en as pas pris non plus.

— Sinon tout va bien ? Tes collègues sont de retour ?

Je détourne la conversation facilement. Ma mère adore se plaindre, surtout de son travail. Le reste du repas se déroule dans le calme, si j’ignore les remarques de ma mère à propos de mon manque d’appétit, de son point de vue.

— J’aimerais bien dire la vérité à tout le monde, je lâche soudain.

La bouche de ma mère s’arrondit de surprise. Mon père retient son souffle.

— Tu n’y songes pas ? Tu as vu comment ton grand-père réagit déjà à propos de Léa ?

— Justement, c’est pas en lui cachant mes choix qu’il va s’ouvrir sur le monde. Il va rester dans ses préjugés.

— Mais il ne va pas comprendre ! Pour lui, les bébés ne se fabriquent pas dans des éprouvettes !

— Mon bébé n’a pas été fabriqué dans une éprouvette, c’était une simple insémination.

— Tu vois bien ce que je veux dire… Les éprouvettes, les seringues, c’est la même chose…

Je me mords la lèvre.

— C’est ce que papy pense ? Ou c’est toi ?

La bouche de ma mère se tord. Elle baisse les yeux avant de lâcher :

— Je n’ai jamais pensé que tu le ferais vraiment.

Mes entrailles se contractent. Même ma mère ne me suit pas dans mes choix, je savais qu’elle n’approuvait pas entièrement. Mais qu’elle en aurait honte au point de le cacher ?

— Eh bien, c’est à toi de voir ! Si tu ne veux jamais voir mon enfant parce que tu ne veux pas d’un bébé né par la science, ce sera tant pis pour toi !

Mes mots sortent avec un tel venin. Le visage de ma mère se décompose et les larmes tapissent son regard. Eh bien qu’elle pleure ! Moi aussi, j’en ai envie… Je saisis mes affaires avec empressement.

— Appelle-moi si tu changes d’avis…

Elle s’effondre en sanglotant sur le canapé. Je serre les poings incapable de compatir. Alors que je ferme violemment la porte derrière moi, je me retourne quand je ne l’entends pas claquer.

Mon père la tient dans sa main. Il a la bouche tordue dans une grimace, mais il a l’air calme. Pas comme ma mère ou moi.

— Athéna, murmure-t-il. Laisse-lui du temps, elle va s’y faire. Elle doit juste renoncer à son rêve de te voir mener une vie qui ressemble à la sienne. Avec un mariage puis des enfants. C’est l’inconnu pour elle. Elle a peur. Je suis désolé de te dire ça, mais tu comprendras mieux quand tu auras ton bébé. Toutes les peurs que l’on ressent pour ses enfants…

Sur mon visage, il doit lire à quel point cette phrase m’agace. Il soupire.

— Mais elle t’aime. Nous t’aimons ! Et je suis fier de toi.

Une douce chaleur m’emplit la poitrine et mon envie de pleurer revient au galop. Je déglutis et lui embrasse doucement la joue.

— Merci papa.

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