J'écris !

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Vendredi soir. Claire débarque, et me voit devant mon éternelle page blanche.

- Mon Nico, je t’ai apporté Vivre Mag. Une lectrice a parlé de ton bouquin. C’est très flatteur, ce qu’elle dit. Je serai presque jalouse !

Je lui souris, mais j’ai la tête ailleurs. J’ai peiné à me remettre de ma soirée de la veille, et de tous ces verres avec Olivier. J’ai passé la journée devant mon ordinateur. Et tout ce que j’ai pu écrire, je l’ai effacé par la suite.

- Mon petit chou… Tu sais quoi ? Écris sur moi. Tout ce qui te vient. Il suffit peut-être d’un début.

Je n’ai pas envie de lui dire que non, je n’ai plus envie d’écrire sur de vraies personnes depuis l’appel de Julia. Je n’ai pas envie de lui parler de Julia tout court.

Alors j’obtempère. Elle s’assoit en face de moi, un sourire satisfait aux lèvres. Je commence par la décrire, je me remémore la première fois que je l’ai vue. Elle était venue m’aborder dans ce petit bar en bas de chez moi. Ses intentions étaient très claires. Et j’ai été ébloui, parce que je ne pensais plus pouvoir plaire, encore moins dans ce bar de quartier, seul avec mon verre de whisky. J’ai quand même discuté longuement avec elle, pour m’assurer qu’elle ne me draguait pas sous l’effet de l’alcool. Mais elle était parfaitement lucide. Nous nous sommes très vite embrassés, et elle a fini par laisser ses amies en plan pour me rejoindre chez moi.

Ça aurait pu être un coup d’un soir, mais ça s’est reproduit. Très régulièrement.

Sa bonne humeur est venue égayer mon quotidien, et aujourd’hui, nous voilà en couple depuis plus ou moins six mois. Je crois.

- Je trouve ça très sexy que tu écrives sur moi. J’aime bien être ta muse.

- Tu n’as même pas encore lu ce que j’ai écrit. Si ça se trouve, tu vas détester.

- Tout ce que tu écris vaut de l’or. Tu sauras me rendre exceptionnelle.

- Allons Claire, tu n’as pas besoin de moi pour être exceptionnelle.

Elle ne dit rien. Claire aussi, je commence à bien la connaître. Sous ses airs avenants, elle n’a pas très confiance en elle. Et pourtant, elle a tout pour réussir. Elle travaille dans une agence de communication, et ses clients l’adorent. Elle est pétillante, créative, et tous ses projets ont des retombées impressionnantes.

Mais Claire manque d’assurance, et a même refusé une promotion il y a quelques mois, uniquement parce qu’elle ne pensait pas avoir les épaules pour ça.

Je la contemple. Elle est quelque part, perdue dans ses pensées. Et voilà qu’elle en revient, subitement. Elle me fixe, elle a les yeux qui pétillent, et voilà qu’elle s’élance dans une grande tirade théâtrale.

- Mon homme idéal m’observerait, et me comprendrait. Il m’écrirait un livre, un poème, n’importe quoi à vrai dire, je ne suis pas compliquée, simplement un texte où il me décrirait dans mes moindres détails. Puis il le glisserait dans ma boîte aux lettres, ou ailleurs, avec, idéalement, une rose ou une belle attention romantique. Et je plongerais dans ces mots, prise d’une euphorie immédiate, je savourerais ces mots un par un, me disant qu’il y aurait savamment réfléchi. Je l’imaginerai, pesant ses mots un par un, réfléchissant aux formulations les plus appropriées, aux termes les plus exacts pour me décrire sous toutes mes nuances. Même avec une écriture maladroite, à vrai dire, cela ne me dérangerait pas, tant que sa description serait juste. Je le conserverai précieusement, ce texte, je le relirais dans ces moments de solitude, quand je serais perdue, quand je percevrais ma vie comme un échec, et il me redonnerait l’espoir, ce texte, il me redonnerait la confiance en moi que j’aurais perdue. Parce qu’il me rappellerait qui je suis vraiment, moi, dans le fond.

Ses yeux n’ont pas quitté les miens. Je suis surpris par son monologue. Elle m’a tout dit d’une traite, sans hésitation aucune, et derrière la théâtralité de sa voix, j’ai perçu toute sa sincérité, toute sa fragilité. Elle me regarde avec un petit sourire mutin sur les lèvres, avant de reprendre un air sérieux.

- Serais-tu ce prince charmant, Nicolas Malone ?

Mon visage a du mal à cacher ma gêne. Elle le remarque, et éclate de rire.

- Je suis peut-être un peu trop fleur bleue, excuse-moi ! C’est mes années de théâtre qui sont remontées. Et puis, moi, l’éternelle romantique, je suis incorrigible ! J’ai vu trop de films d’amour, je vis un peu sur un nuage. Mais je l’aime bien, mon nuage, Nicolas.

- Ne t’inquiète pas. Tu sais, je le ferai, ce texte sur toi. Si ça peut t’aider à croire en toi et à accomplir tout ce que tu as à accomplir, je le ferai.

- Vraiment ? Ce serait une sacrée preuve d’amour, tu sais.

- Je serais ravi de contribuer à tes réussites, mon amour.

- Et ce serait un test, en même temps... Parce que pour moi, aimer quelqu’un, c’est le connaître par cœur, c’est pouvoir réellement le définir avec des mots précis, c’est prévoir ses réactions et, en un sens, les comprendre. T’en sens-tu capable, Nicolas ?

- Je relève le défi, madame.

- Je ne doute pas que tu vas y arriver, monsieur. Tu as un sacré sens de l’observation.

- Et toi, tu es une sacrée oratrice. Tu aurais dû continuer le théâtre.

La discussion se poursuit, et mes doigts pianotent tout seuls sur mon clavier. Quelque chose est en train de se produire. Claire s’est mise à nu. Elle qui se dévoile rarement, je sais que l’on vient de franchir une étape.

Nous avons passé un week-end incroyable. Nous sommes allés voir une exposition, et pour la première fois depuis longtemps, j’avais l’esprit tranquille. J’avais enfin réussi à écrire quelque chose qui tenait la route.

De son côté, Claire était vraiment emballée à l’idée que j’écrive sur elle. Une nouvelle tension sexuelle a surgi dans notre relation, et nos rapports étaient encore plus passionnels que d’habitude.

C’est même avec un léger pincement au cœur que je l’ai laissée repartir chez elle dimanche soir. A peu de choses près, je lui proposais de rester. Je sais qu’elle n’attend que ça, mais je ne me sens pas encore prêt à vivre à nouveau avec quelqu’un. Nous avons essayé, mais je n’ai pas pu, et lui ai réclamé mon indépendance.

Car malgré tout, en toute situation, il y a toujours cette ombre au-dessus de moi.

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