seconde partie et fin

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   Aussi, vais-je, avec la plus grande liberté de penser et de divaguer possible, orienter mon questionnement sur cet insondable mystère qu'est la dualité fusion-séparation du sexe et des sentiments en Amour. L'Homme, dès lors qu’il a acquis la capacité de réfléchir, a compris qu’il était mortel et a intégré la notion d’immortalité. Il s'est lancé dans la création artistique, la sacralisation de tous ses faits et gestes afin de « contrer » la mort en laissant des traces durables de son passage sur terre. Je suppose qu’il a d’abord trouvé le moyen de créer à partir de ses besoins et de ses découvertes sensorielles les plus élémentaires, tels que les aliments, prémices de l’art culinaire, les vêtements, prémices de la haute couture, les lieux de vie et leurs décors, prémices de l’architecture et de la peinture, les voix et l’écoute des sons environnants, prémices de la musique et de la danse, les outils fabriqués, prémices de la sculpture.

La littérature serait un cas à part. On peut penser que ses prémices sont beaucoup plus tardives, elles datent peut-être du moment où l’être humain s’est découvert des dieux immortels et tout puissants pour donner sens à sa créativité et à son imagination. Parallèlement à l’apparition du symbolisme, du mysticisme et de la littérature, on commença vraisem­blablement à associer la sexualité au sentiment d'amour, à l’introduire dans les différents arts naissants…

Au début était la chair, on ne se posait pas alors la question de savoir si elle était triste ou gaie. La sexualité était un acte purement naturel, biologique, animal, instinctuel, mais aussi progressivement, une possession, une façon de marquer son territoire, sa domination, sa puissance. Le père de la horde primitive, grâce à sa virilité, se rapprochait petit à petit de l’être divin. C'est peut-être à partir de la sacralisation de l’acte sexuel que naquit l’idée de Dieu, la spiritualité. La chair aurait enfanté Dieu et plus on la sacralisa et plus on réprima ses manifestations « impures ». L’activité sexuelle, relationnelle par excellence, ne donna pas naissance à un Art à part entière, elle devint le mauvais objet, la part bestiale et donc honteuse ancrée en l’Homme qu’il convenait de canaliser, civiliser, circonscrire à l’amour passion et la monogamie. La recherche du plaisir qu’elle procure fut condamnée comme « péché de chair » et réprimée sauvagement. La notion d’âme se construisit sur une opposition radicale à la notion de plaisir charnel. Une âme pure ne peut se développer que dans un corps pur. L’Homme ne peut aimer vraiment Dieu et son prochain que dans l’éradication totale de ses désirs sexuels. L’homo sapiens a-t-il eu le choix dans son évolution ? Sa sexualité pouvait-elle évoluer autrement que vers la répression et la culpabilisation ? Pouvait-il s’en servir comme support de création artistique et pour mieux louer Dieu ? Alors qu’elle ne peut produire en elle-même aucune œuvre concrète ? Qu'elle ne se traduit que par des moments de plaisir éphémères, peu propices à l’effort de créativité justement ? La répression, la sublimation, ne libèrent-elles pas au contraire des forces créatrices, imaginatives et spirituelles offrant à l’Humanité ses véritables chances de progresser ? La question que je me pose cependant est : « n’est-on pas allé trop loin ? Ne sommes-nous pas sur le point de nous détruire par l’angoisse, la névrose, l’aliénation ? Du fait de notre incapacité à maîtriser nos pulsions, à atteindre la sublimation ? »


Il serait intéressant de savoir exactement, étape par étape, comment nous en sommes arrivés là, mais une chose est évidente : la répression de la sexualité, ça ne marche pas ! Au cours de notre évolution, hormis quelques rares humains, qui surent la sublimer parfaitement, ou la gérer sans excès de culpabilité, tels les grands artistes, les saints, auxquels j’ajouterai les béats en amour, grâce à leur foi, l’immense majorité ne parvient pas à vivre en paix avec sa pulsion sexuelle, à harmoniser les percepts du corps aux concepts de l’imaginaire. De plus en plus souvent, l’Amour à peine conscientisé est déjà consommé, déjà désacralisé, déjà routinisé, et la vie s’éteint avec l’extinction de l’activité sexuelle. Pas la vie réelle mais la vie symbolique, celle qui nous pousse à entreprendre sans cesse de nouvelles explorations dans le domaine de notre affectivité. À force « d’en prendre plein la gueule », de souffrir la malemort à chaque histoire d’amour, de subir les attaques de culpabilisation aussi bien extérieures qu’intérieures, nous finissons par nous résigner et par laisser tomber toute entreprise sentimentale, à fortiori sexualisée, devant les obstacles, les complications et les déboires. Le maître mot de tous nos dominants est sécurité, en fait la sécurité matérielle et physique, si bien que la sécurité affective ne fait pas partie de leurs préoccupations. Mais en réalité, nous sommes obsédés par l’angoisse de mort, quand bien-même, en réaction contre la frustration, nous serions tentés par la quête éprouvante et tyrannique du plaisir charnel, au détriment du plaisir d’aimer.


Le problème des sociétés humaines c'est qu'elles évoluent en passant d'un extrême à l'autre. Imaginons que la nôtre décide de désacraliser le sexe, de lui donner les mêmes considérations qu'à l'entretien du corps, alors on pourrait voir les hommes et les femmes faire l'amour comme on voit courir des joggers addictifs lors de nos promenades. Avec des montres connectées à un bras et affichant scientifiquement le rythme cardiaque, la tension artérielle, la ventilation pulmonaire, la glycémie, le taux d'hémoglobine, d'adrénaline, de sérotonine. On pourrait savoir exactement si l'orgasme a atteint son seuil de bio-satisfaction. Et alors il ne serait plus possible, pour les dames surtout, de simuler la jouissance.


   En conclusion, l'aimance est, selon moi, le reflet de la profondeur des sentiments qui nous animent, la qualité de la confiance que l'on accorde aux êtres aimés, la poursuite des échanges totalement honnêtes, évacués de tout mensonge, que l'on entretient avec eux, et le respect des contrats établis. Dans ce contexte qui chasse la culpabilité, chacun a la liberté de créer une famille avec une personne donnée, de partager le quotidien avec elle durant toute son existence, tout en ayant, d'un commun accord avec elle, autant d'objets d'amour que le destin lui impose, autant de relations sexuelles que le désir lui propose. On ne me croira sûrement pas, mais je suis persuadé que c'est le meilleur moyen d'éviter le divorce, de ne pas renouveler le scénario d'échec amoureux , de ne pas finir sa vie en balançant l'amour à la poubelle.


Jean-Paul, 29 avril 2019

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