Prologue

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Il faisait frais et l’humidité ambiante des sous-bois glaçait jusqu’à l’os. Bran soufflait entre ses mains d’un geste râleur dans l’espoir de se réchauffer. Il attendait depuis des heures et pas le moindre signe d’un animal. Pourtant, la nuit était tombée depuis un moment.

Cela faisait des semaines qu’il errait dans ces bois dans l'espoir de réaliser de beaux clichés pour ses clients. Ses caméras tournaient constamment mais rien ne valait l’œil d’un photographe pour prendre les plus beaux cadrages.

Sous cette magnifique pleine lune, dans une forêt de conifères recouverte d’un nuage brumeux, tous les éléments se trouvaient rassemblés pour faire de magnifiques photos. Tous sauf les animaux qui préféraient rester cachés bien au chaud. Il les comprenait, lui aussi aurait préféré être dans un endroit chaleureux et douillet.

Bran ferma les yeux un instant, cherchant en lui un peu de ténacité et de persévérance. Il la voulait cette photo ! Il la visualisait déjà, elle serait parfaite… Alors, il inspira profondément, souleva les paupières et s’arma de patience. Il était prêt à affronter toute la nuit s’il le fallait.

Son attente finit par payer car, quelques minutes plus tard, il crut apercevoir du coin de l'oeil un mouvement fugace probablement provoqué par un petit animal. Tout en retenant son souffle, il progressa lentement dans les fourrés afin d’éviter de faire du bruit. Il avait du mal à se mouvoir dans sa tenue de camouflage et paraissait quelque peu maladroit. Sa femme et son fils se seraient sûrement moqués de lui s’ils l’avaient vu faire.

A quelques mètres devant lui, un lapin grignotait de la mousse. Il s’allongea en silence au pied d’un vieil arbre et pointa son objectif grand angle sur le mamifère. Il commença à le mitrailler. Le flash n’était pas nécessaire grâce à la pleine lune qui avait revêtu le paysage d’une couverture nacrée.

Rapidement, le lapin reprit sa course en zigzag entre les fourrées. Bran essaya de le suivre avec son objectif comme il put mais il savait qu’il allait le perdre rapidement. Cependant, un instant plus tard, l'animal se figea dans sa course, oreilles tendues, à l’aguet du moindre son. L’ambiance changea brutalement.

Un sentiment d'effroi s'insinua vicieusement au sein de ses entrailles. Une atmosphère lugubre venait de s’abattre sur la forêt. La nature elle-même semblait en suspens. Pourtant habitué à être seul dans ce milieu, il ne comprenait pas l'appréhension qui le paralysait. Son cœur tambourinait dans sa poitrine à un rythme soutenu. Le lapin, quant à lui, se retourna désireux de fuir ce qui l’avait effrayé. Mais il n’eut pas l’occasion d’aller bien loin.

Il se figea dans l’un de ses bonds avant de s’envoler lentement au-dessus du sol.

Un cri enthousiaste retenti, brisant brutalement le silence et faisant sursauter Bran. Son cœur continuait sa course affolée tandis que ses mains devenaient moites. Son instinct lui dictait de fuir à toute vitesse mais il semblait hypnotisé par l’étrangeté de la scène. Il plongea son regard dans son objectif et observa silencieusement.

Une voix se manifesta non loin de l'homme. Elle était grave et masculine. Une seconde, plus discrète et plus douce, l’accompagnait. L’attente ne fut pas longue pour que deux silhouettes entrent dans son champ de vison.

A une dizaine de mètres de la bête, une femme aux cheveux foncés et noueux avançait la main tendue vers sa proie.

— Bien joué Mindie ! Du premier coup. Maintenant à moi de jouer. »

La dénommée Mindie ne répondit pas à l’enthousiasme de son comparse, trop concentrée sur ce qu’elle faisait. Mais que faisait-elle exactement ? La logique voudrait qu’on pense qu’elle tenait le fil de pêche constituant un piège placé précédemment mais Bran ne pouvait nier qu’il était témoin de quelque chose d’autre.

— Grouille-toi Chris, je ne vais pas tenir longtemps ! » s’emporta la femme.

De ses mains moites, Bran zooma sur l’homme. Ledit Chris était un grand homme massif, le crâne chauffe et pourvu d’une barbe épaisse. Celui-ci s’agenouilla et tendit vers le ciel un récipient en forme d’amphore. Il baragouinait d’étranges paroles qui semblèrent agir curieusement sur l’animal.

Jusqu’alors inanimé, le lapin se mit à gesticuler une dernière fois avant d’émettre une plainte capable de déchirer une âme. Un terrible silence tomba, témoignant de la mort du mammifère, seulement interrompu par le flot de paroles inintelligibles de l’homme bedonnant.

Bran avait le cœur brisé pour ce petit animal mais il était loin de se douter que ce qui allait suivre allait être encore pire. Le rongeur fut pris de soubresauts ponctués de gargouillis immondes. Bran n'en croyait pas ses yeux. Il zooma encore davantage bien qu’il sache qu’il allait probablement le regretter. Un fluide épais et sombre, ressemblant à s'y méprendre à du sang, s'échappait de sa gueule et de ses orbites pour s’écouler délicatement dans l’urne.

Un haut le coeur ébranla le photographe. Il laissa tomber son appareil sur le sol pour porter les mains à sa bouche quand le flash se déclencha.

Les deux protagonistes tournèrent vivement la tête en direction de Bran. Le lapin tomba dans un bruit mat sur le tapis d’épines, vidé de son sang. Le cœur de l'homme s’arrêta dans sa poitrine avant de se remettre à battre à une vitesse folle. La scène s’était comme figée.

Puis, le cours du temps reprit en même qu’une montée d’adrénaline qui sembla lui donner des ailes. Bran sauta sur ses pieds et courut aussi rapidement qu’il lui était possible, laissant derrière lui son matériel. D’horribles images tournaient sans cesse dans son esprit tandis qu’il se faufilait à toute vitesse entre les troncs.

Au détour d’un sapin, il entrevit les éclairages d’une route à quelques dizaines de mètre de lui mais ses assaillants se rapprochaient dangereusement. Leurs cris et rires déments résonnaient, de plus en plus proches de lui. Il risqua un regard derrière son épaule afin d’évaluer son avance et trébucha.

Lorsqu’il redressa la tête, une main délicate et fine se tendit devant lui pour l’aider à se relever. Il croisa alors un regard chocolat dans lequel se perdait quelques éclats orangés. Une jeune femme d’une vingtaine d’années lui souriait avec douceur. Ses cheveux blonds étaient courts et brillaient sous les reflets de la lune. Il accepta sa main et se redressa péniblement.

— Il faut partir mademoiselle ! » la somma-t-il d’une voix pressante, le souffle court.

Une pointe de malice fit briller le regard de la dame. Un coup d'oeil derrière lui et son sourire s’agrandit.

— La fête ne fait que commencer pourtant… J’espère que mes amis ne t’ont pas effrayé ! » répondit-elle avec une note de sadisme.

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