Souvenir d'un monde perdu - nouvelle version

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Bonjouuuur !

Voilà la nouvelle mouture de ce texte. Je me suis cassé les dents dessus, j'avoue xD Il y a sans doute des passages un peu laborieux... Et j'ai gardé pas mal de choses qui étaient déjà dans la version d'origine, finalement. En tout cas, j'espère qu'il est mieux comme ça :0



Ici, il faisait froid.

C’était une pensée qui obsédait Écho depuis un moment. Une pensée encore plus prégnante que « J’ai très mal aux pieds » ou « Toutes les baies que nous mangeons dans cette maudite forêt ont un goût affreux ».

Depuis trente jours, sa sœur et elle se frayaient un chemin à travers ces bois inhospitaliers, espérant se trouver sur la bonne voie. Elles ne pouvaient pas se repérer grâce aux points cardinaux : l’épaisse canopée au-dessus de leurs têtes ne laissait passer qu’une lumière très diffuse. Elles évitaient d’y penser en ces termes, mais elles étaient peut-être en train de tourner en rond depuis tout ce temps. Ou peut-être s’enfonçaient-elles toujours plus loin dans la mauvaise direction. Dans les deux cas, personne ne viendrait les chercher. Elles seraient perdues à jamais.

De toute leur vie, elles n'avaient jamais vu de bois aussi gigantesque – et pourtant, elles étaient des nomades, qui parcouraient les terres du sud depuis leur petite enfance au côté de leur harde. Elles avaient vu des paysages incroyables qui étaient restés gravés à tout jamais dans leur mémoire, elles s'étaient baignées dans des bassins d'eau brûlante, creusés à même la roche par des cascades vertigineuses. Elles avaient arpenté des landes à la terre rouge comme le soleil du crépuscule, avaient exploré des forêts baignées de brume, où il pleuvait chaque jour et où les grenouilles arboricoles brillaient de mille couleurs, perchées sur les cimes émeraude.

Et aujourd’hui, elles piétinaient l’humus de cette étrange forêt froide, qui sentait la pluie et la feuille morte en décomposition.

Écho releva le nez de ce sol déprimant : devant elle, Orchidée ne ralentissait pas. Orchidée était la sœur courageuse, pétrie de détermination. Elle voulait triompher de ces bois, en sortir pour de bon… et enfin découvrir ce qui se trouvait de l’autre côté.

Trente jours.

Cela semblait interminable, et pourtant ce n'était qu'une goutte infime dans l’océan de leur voyage, qui durait depuis deux années.

Il était dur de tenir le compte des jours exacts, mais Écho et Orchidée tentaient de le faire avec sérieux. C'était très important.

Car ce qu'elles cherchaient se trouvait à deux ans de route de chez elles, et c'était l'une des deux seules indications dont elles disposaient. La deuxième étant simplement la direction à suivre.

« Droit vers le nord », leur avait expliqué leur grand-père avec de grands signes. « Et puis, au bout d'un moment, il faut bifurquer un peu et aller vers le nord-ouest. »

« Au bout d'un moment ? » avait exprimé Orchidée d'un geste dubitatif. « Quand ça ? Ce n'est pas assez précis. »

Grand-père Aubépin avait dépassé les cinquante-cinq ans. C'était la personne la plus âgée de la harde, et aussi un vieillard usé par la vie, qui oubliait souvent les noms de ses petits-enfants.

« Précis ? Tu veux de la précision, ma petite ? Tu crois que la vieille tante Picta s'est amusée à compter précisément ses pas alors qu'elle fuyait la Maison ? »

Mais lorsqu'il replongeait dans son passé, ses prunelles retrouvaient leur vivacité. Tous les souvenirs de sa jeunesse restaient en lui, intacts et brûlants.

« Cette Maison où vous voulez retourner aujourd'hui, petites sottes ! Vous n'êtes que deux écervelées. Pourvu que la forêt vous perde et vous ramène à nous avant que vous n'atteigniez votre but ! »

Le jour où elles étaient parties, il grognait et marmonnait encore.

Tu avais raison, grand-père, songea Écho malgré elle. La forêt va nous perdre. Pas notre forêt, celle à laquelle tu pensais, mais une autre, que tu n’as jamais vue de tes yeux…

Soudain, elle vit Orchidée se figer devant elle. À petits pas, elle la rattrapa : sa sœur avait levé le museau. Dans son visage au pelage gris, ses yeux brillaient comme deux perles d’agathe.

La lisière. (Orchidée leva une main, désigna les futaies droit devant elle.) Elle est proche.

Écho plissa les paupières dans cette direction, mais elle ne vit rien. Ou peut-être une infime variation de lumière entre les troncs ? D'un geste du menton et d'un haussement de sourcil, elle formula une question.

Tu es sûre ? Tu la sens vraiment ?

En général, Écho était celle qui posait les questions, et Orchidée celle qui répondait. Celle-ci fit la moue.

Sûre et certaine. On y sera bientôt. (Elle frotta ses pieds plein de terre et d'humus.) Bientôt...

Bientôt, répéta Écho, faisant honneur au prénom donné par sa mère.

Elle enroula ses bras autour d'elle, essayant de se réchauffer un peu. Sa sœur fit de même. Puis, ignorant leurs ventres qui criaient famine, elles reprirent leur longue marche vers l'orée de la forêt.

***

Un jour et une nuit plus tard, elles la trouvèrent enfin.

Cela fut très abrupt. D’un coup, les fourrés semblèrent s'écarter devant elles, dévoilant l'aube qui se levait… ainsi qu'une immense prairie vierge de tout arbre.

Saisie par cette splendeur, Écho en eut presque les larmes aux yeux. Qu’il était bon de retrouver le soleil après trente-et-un jours d’obscurité ! Dans ces contrées froides, l’astre semblait pâle, presque blanc, et ses rayons réchauffaient à peine leurs corps transis. Écho s'abandonna quelques secondes à sa caresse, avant de voir sa sœur lever une main tremblante :

Regarde...

Alors elle la distingua à son tour. Au loin, posée sur l'horizon, une chose gigantesque s'élevait vers les cieux. C’était une grande ombre rectangulaire aux contours très nets, surlignés par la lumière de l'aube. Sa cime, curieusement pointue, disparaissait dans la brume qui planait au-dessus de la prairie. Le cœur d'Écho battit plus fort, d'excitation ou de peur. Elle avait déjà vu de hautes falaises et des montagnes qui défiaient les nuages… mais cette chose-là semblait lisse et plate comme aucune montagne ni aucune falaise ne pouvait l'être.

Écho savait très bien ce dont il s’agissait. Dans son enfance, elle avait entendu beaucoup d’histoires sur cette chose-là, et sur ses arrière-grands-parents qui en étaient sortis un beau jour. Au côté de ses frères et sœurs, elle avait questionné mille fois leurs grands-parents sur ces sujets.

« C'était il y a bien longtemps », répétait toujours leur grand-mère. « Je me souviens que le vieil Auroq était noir, si noir ! Comme mon père, et tous les mâles de leur époque. Ils avaient le pelage si sombre que lorsqu'ils allaient chasser dans la nuit, personne ne pouvait les voir, pas même les renards ni les lynx. »

Écho doutait un peu de ce détail, qui lui semblait bien grandiloquent ; mais il faisait partie de la légende, alors elle le savourait tout autant que le reste. Grand-mère Albizia était née à une époque où les anciens s'exprimaient encore avec leur voix ; elle devait garder en elle le souvenir de ces sons qu'Orchidée et Écho n'entendraient jamais, mais pourtant, elle ne parlait pas. Elle faisait partie de la génération d'après. Comme ses descendants, elle s'exprimait par des gestes, des regards vifs, des frémissements subtils, et toute une palette d'expressions qui lui étaient propres. Ses petits-enfants l'observaient attentivement, les yeux grands ouverts, alors qu'elle tissait ses histoires dans le silence le plus complet.

« À l'inverse, Grand-tante Picta était d'une blancheur aveuglante, comme ma mère et ses sœurs. Vous ne pouvez pas l'imaginer ! Elles avaient de très grandes oreilles, et pas de queue. »

« Pas de queue ? », avait coutume de demander Orchidée lorsqu'elle était petite, en écarquillant les yeux.

« Eh oui ! Car à leur époque, on coupait la queue des filles à la naissance. »

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