Souvenir d'un monde perdu -1

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Yo tout le monde :D

J'ai commencé à écrire la 2e histoire bonus de L'Ours et la Renarde, mais le début ne ressemble pas du tout à ce que je voulais à la base. J'hésite à tout raser et en faire une version complètement différente, avec beaucoup moins d'infos (pas de grand-père, de grand-mère, voire pas de prénoms du tout pour les 2 héroïnes)

Mais peut-être que c'est plus intéressant pour le lecteur d'avoir ces infos ? Qu'est-ce que vous en pensez ?

***

Ici, il faisait froid.

C'est cela, plus que tout autre chose, qui convainquit Écho qu'elle venait de traverser une frontière invisible. De changer de monde. Elle avait imaginé que le changement aurait lieu progressivement, sur plusieurs jours de voyage, voire plusieurs semaines, de manière à ce que son corps s'y habitue tout doucement et qu'elle ne remarque rien.

Mais, étrangement, cela avait été net. Comme lorsqu'elle nageait dans un lac et que soudain, un courant d'eau glacial succédait à un courant tiède. Au petit matin, le vent s'était levé, et pour la première fois, il était froid. Vraiment froid.

Elle se tourna vers sa gauche, cherchant Orchidée. Celle-ci avait levé le museau, surprise elle aussi par cette brise ; les poils s'étaient un peu hérissés le long de son dos.

Il fait froid. (Ses yeux se baissèrent vers le sol.) Ici.

Écho acquiesça. D'un geste du menton et d'un haussement de sourcil, elle formula une question.

On est proches ? C'est un signe, non ?

En général, Écho était celle qui posait les questions, et Orchidée celle qui répondait. Celle-ci fit la moue et se tourna vers l'horizon qui, au loin, brillait entre les arbres touffus.

Proches, je ne sais pas. Mais plus près, oui. (Elle frotta ses pieds plein de terre et d'humus.) Bientôt...

Bientôt, répéta Écho, faisant honneur au prénom donné par sa mère.

Elle enroula ses bras autour d'elle, essayant de se réchauffer un peu. Sa sœur fit de même. Puis, ignorant leurs ventres qui criaient famine, elles reprirent leur longue marche vers l'orée de la forêt.

***

Leur voyage avait duré longtemps. Environ deux ans, si Écho ne se trompait pas. Parfois, il était dur de tenir le compte des jours exacts, mais elles tentaient de le faire avec sérieux. C'était très important.

Car ce qu'elles cherchaient se trouvait à deux ans de route de chez elles, et c'était l'une des deux seules indications dont elles disposaient. La deuxième était simplement la direction à suivre.

"Droit vers le nord", leur avait expliqué leur grand-père avec de grands signes. "Et puis, au bout d'un moment, il faut bifurquer un peu et aller vers le nord-ouest."

"Au bout d'un moment ?" avait exprimé Orchidée d'un geste dubitatif. "Quand ça ? Ce n'est pas assez précis."

Grand-père Aubépin avait dépassé les cinquante-cinq ans. C'était la personne la plus âgée de la harde, et aussi un vieillard usé par la vie, qui oubliait souvent les noms de ses petits-enfants.

"Précis ? Tu veux de la précision, ma petite ? Tu crois que la vieille tante Picta s'est amusée à compter précisément ses pas alors qu'elle fuyait la Maison ?

Mais lorsqu'il replongeait dans son passé, ses prunelles retrouvaient leur vivacité. Tous les souvenirs de sa jeunesse restaient en lui, intacts et brûlants.

"Cette Maison où vous voulez retourner aujourd'hui, petites sottes ! Vous n'êtes que deux écervelées. Pourvu que la forêt vous perde et vous ramène à nous avant que vous n'atteigniez votre but !"

Le jour où elles étaient parties, il grognait et marmonnait encore.

Grand-père Aubépin et grand-mère Albizia étaient les seuls, dans la harde actuelle, à avoir connu Picta et Auroq dans leur enfance. Tous les autres adultes étaient à peine nés à l'époque, voire pas nés du tout. Personne d'autre ne pouvait se souvenir de leur visage ou de leur voix.

"C'était il y a bien longtemps", répétait grand-mère Albizia chaque fois que ses petites-filles lui demandaient des détails. "Je me souviens que le vieil Auroq était noir, si noir ! Comme mon père, et tous les mâles de leur époque. Ils avaient le pelage si sombre que lorsqu'ils allaient chasser dans la nuit, personne ne pouvait les voir, pas même les renards ni les lynx."

Écho doutait un peu de ce détail, qui lui semblait bien grandiloquent ; mais il faisait partie de la légende, alors elle le savourait tout autant que le reste. Grand-mère Albizia était née à une époque où les anciens s'exprimaient encore avec leur voix ; elle devait garder en elle le souvenir de ces sons qu'Orchidée et Écho n'entendraient jamais, mais pourtant, elle ne parlait pas. Elle faisait partie de la génération d'après. Comme ses descendants, elle s'exprimait par des gestes, des regards vifs, des frémissements subtils, et toute une palette d'expressions qui lui étaient propres. Ses petits-enfants l'observaient attentivement, les yeux grands ouverts, alors qu'elle tissait ses histoires dans le silence le plus complet.

"À l'inverse, Grand-tante Picta était d'une blancheur aveuglante, comme ma mère et ses sœurs. Vous ne pouvez pas l'imaginer ! Elles avaient de très grandes oreilles, et pas de queue."

"Pas de queue ?", avait coutume de demander Orchidée lorsqu'elle était petite, en écarquillant les yeux.

"Eh oui ! Car à leur époque, on coupait la queue des filles à la naissance."

"Pourquoi les couper ?" critiquait Chêne, leur frère. "Pourquoi celles des filles et pas celles des garçons ? Ça n'a aucun sens ! Tu inventes, grand-mère !"

Alors, du bout d'une branchette ramassée par terre, elle lui tapait sur la tête – pas méchamment, juste assez pour le rappeler à l'ordre.

"Mets en doute ma parole, tant que tu y es, petit gredin ! Ainsi étaient les choses, exactement comme je vous les raconte. Quant à savoir pourquoi, c'est une autre affaire ! Il faudrait avoir connu la Maison pour pouvoir répondre à cette question."

Malheureusement, il en allait ainsi de toutes leurs questions. Les réponses n'existaient plus. Elles avaient disparu quelque part, bien longtemps auparavant, dans cette Maison inconnue et terrifiante – cette chose qui n'était ni une forêt, ni une colline, ni une grotte, ni un nid, ni un terrier, mais autre chose que personne, aujourd'hui, n'était capable de décrire. Ce mystère rendait folles Orchidée et Écho.

Un jour, Orchidée avait dit d'un geste, sans prévenir :

"Et si on allait les chercher, ces réponses ?"

Écho se souvenait très bien de cet instant. Sa sœur contemplait sa propre queue, d'un gris soyeux, posée sur ses genoux. Elle affichait un air étrange, un peu rêveur, mais aussi d'une lucidité très calme.

"Deux ans de marche", avait-elle ajouté doucement. "On en est capables, non ?"

Deux ans plus tard, Écho pouvait confirmer : elles l'étaient.

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