18 - Epilogue

5 minutes de lecture

Deux mois Equivalent-Terre plus tard

La planche sur laquelle est assis Benedict tremble, faisant cliqueter les chaînes reliées à ses poignets. La carlingue grince de plus belle, tandis que les propulseurs montent en charge et que le glisseur réajuste son assiette au-dessus de la piste de décollage.

Morose, Benedict regarde autour de lui et compte machinalement les autres passagers de la navette. Vingt-cinq colons en tenue bleue électrique sont fixés aux bancs, trois exosquelettes militaires s’arriment à des arceaux de maintien, ainsi que le pilote vautré dans son fauteuil au bout du couloir. Il n’y a pas de hublot, le vaisseau est un ancien transporteur de gula réaffecté au transport de troupes pour assurer les transits entre Langkah et les stations de forage de Panas. Depuis qu’elles ont rouvert, les glisseurs de l’amirauté ne sont pas assez nombreux.

Les épaules de l’homme assis devant Benedict tressaillent. De peur visiblement : l’individu est un jeune Intra-M de la haute sphère, ils sont plusieurs comme lui, à avoir pris de mauvaises décisions et soutenu la mauvaise équipe ces dernières semaines . Les amiralistes n’ont plus bonne presse. C’est d’ailleurs la majeure partie des passagers du transporteur. Ces nouveaux parias de la colonie rejoignent des Extra-M, femmes et hommes, tous condamnés à des peines importantes pour avoir profité du chaos des jours passés : pillages, exactions non sollicitées par le Triumvi, autres détournements de ressources, voir meurtres. De quoi justifier un séjour aux bagnes flambants neufs de Panas. Benedict se retrouve au beau milieu de ce panier d'infortune et n'en revient toujours pas.

— Décollage imminent, résonne la voix du copilote IA dans tout l’habitacle.

Le vaisseau se met en branle et une légère tension comprime la poitrine de Benedict. Il se tord le cou, faisant mine de se détendre, et cherche du regard Carine recroquevillée sur une rangée arrière. La technicienne semble perdue dans ses pensées. Elle a l’air abattue, les traits plus creusés et plus fatigués qu’à l’accoutumée, ses longs cheveux charbonneux tombant en tresse contre son épaule. Il n’a pas eu l’occasion d’échanger avec elle depuis leurs enfermements, mais il sait qu’elle a un fils quelque part, la perspective de l’exil doit l’angoisser. Le bagne : elle y sera officiellement deux ans, autant dire une éternité passée au fond des mines de sel, dans les conditions infernales que proposent le continent Panas et ses vapeurs toxiques.

Un exosquelette tourne son casque dans sa direction et le toise de ses capteurs optiques verdâtres. Benedict baisse la tête et se concentre sur le bout de ses bottes. Une accélération brusque du transporteur renverse les passagers attachés. Les prisonniers se plaignent des à-coups, les gardes haussent le ton et les propulseurs hurlent de l’autre côté de la paroi. Cela risque de durer  ; le glisseur vient de rentrer dans le Galopin, ce puissant ascendant thermique qui percute la diagonale de Dante et chahute les vaisseaux le long de la chaîne montagneuse.

— Tu m’as fait mal, Paul, murmure Benedict en se frottant le coude.

— Désolé, renvoie à voix basse son voisin. Je n’ai pas fait exprès, le virage m’a surpris.

L’ancien militaire rebascule lentement la tête en avant dans ses épaules affaissées. Il n’a plus rien de l’Intra M flamboyant que le purgeur a rencontré quelques semaines plus tôt. Son passage en cellule de reconditionnement l’a sans doute profondément affecté, mais probablement moins que sa rencontre avec son double.

– Et puis, je suis Youri maintenant, pas Paul, ajoute-t-il d’une voix à peine audible.

– Ce n’est pas parce que l’on a trafiqué ton module perso avec une nouvelle identité que t’as changé pour autant. Par exemple, je ne te permets pas de m’appeler Gabriel. Moi, c’est Benedict, siffle le jeune homme en songeant au piratage de son intercom.

Paul-Youri hausse les épaules et soupire :

– Qu’est-ce que ça peut te faire ? Peut-être que ce Paul que je croyais être n’est pas réel. Un nom ou un autre, après tout, c’est du pareil au même.

– Je ne crois pas. Ce « Paul » existe, tu vis, autant que lui. Ce n’est pas parce l'autre tient la colonie entre ses doigts qu’il est plus légitime que toi.

– Je ne sais plus… murmure l’ancien commandant. Lui, au moins, il n’est pas injecté.

– Ça ne change rien, t’as bien réussi un VK2 à ta sortie de la cuve, non ? Alors ta renaissance, elle s’est bien passée ; t’es bien conscient, t’es humain.

– Ouais… C’est ce que je pensais aussi, mais ça, c’était avant. Après tout, je ne suis peut-être pas plus réel que cette Daphné. Qui te dit que je ne suis pas un mauvais rêve, un machin projeté dans un corps humain ? Lui, le Paul du Triumvi, au moins il est cohérent, ses expériences sont... continues. Moi ? Je ne sais pas… Je ne suis probablement qu’une machine biologique qui se croit consciente et qui se prend pour Paul Carter-Yuko. En gros, une mécanique qui fantasme des trucs. Une mécanique hallucinée.

– Des bêtises, paroles de purgeur, répond Benedict en secouant la tête.

– Tu n’es plus purgeur, t’n’es plus grand-chose, toi non plus, assène sèchement Paul-Youri.

Benedict reste coi et ressasse la conclusion de l’ancien militaire. Et ça lui fait mal. Il y a quelques semaines encore, il avait des rêves bien précis ; il se voyait aux portes des vaisseaux-capsules, un citoyen modèle ou sur le point de l’être, certes toujours du mauvais côté de la barrière, mais un acteur utile de la société, quelqu’un qui apporte sa pierre à l’édifice. Aujourd’hui, son nom est posé sur la vilaine liste. Il fait désormais partie des parias proclamés, de tous ces ennemis dénoncés par le Triumvi… Il sait que cela ne tient qu’à sa connaissance du sujet, pour avoir vécu malgré lui les coulisses des évènements ayant conduit à l’effondrement de l’amirauté. D’une certaine manière, le sort joue contre lui. Les anciens Intras qui s’entassent dans le vaisseau ont eu le choix de suivre ou de s’opposer à Carter-Yuko, lui n’a même pas eu cette chance. Carine non plus : les plateformes de forage se sont imposées à eux.

– On va cramer, là-bas. Il parait que la température dépasse les 350 degrés Celsius à l’air libre, gémit-il.

– Hé Gabriel Tark-Cho, gronde un garde dans sa direction. Ferme-la.

Benedict se renfrogne. Il n’arrivera pas à se faire à cette nouvelle identité. Le transporteur bascule à nouveau sur le flanc, et l’IA demande à tous les passagers de s’accrocher : dans quelques minutes, ils plongeront vers les plaines brûlées de Panas.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire David Campion ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0