Cœur de glace

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Cela faisait bientôt un an que tout avait basculé. Tout ce sur quoi ma vie était bâtie avait disparu. Je n'avais plus rien à moi, plus rien pour moi. On m'avait tout pris. Il m'avait tout arraché, mon cœur, mon âme. Mon amour... Depuis, je n'étais plus que l'ombre de moi-même. De guerrier sanguinaire, j'étais devenu un fou au cœur brisé.

La sueur ruisselait sur mes membres engourdis par l'appréhension. Depuis que j'avais reçu cette lettre me convoquant à la cùirt nam marbh (1) je planais littéralement au-dessus de mon corps. Les esprits avaient enfin écouté ma requête après cette longue année de douleur, ils avaient enfin compris que justice devait être rendue. La place du monstre qui m'avait enlevé ma bien aimé n'était plus dans ce monde.

Comme un pantin désarticulé, je planais au-dessus de ce qui me servait de corps. J'avais imaginé cet instant des millions de fois. J'étais bientôt arrivé. Sous l'épaisse couche de glace, je pouvais encore distinguer l'herbe d'un vert chatoyant, vestige d'une époque oublié. J'avais toujours grandi sur ces terres où l'hiver régnait en maitre. Je ne connaissais que le froid, la haine et la mort... Meredyce était ma lumière dans toute cette obscurité. Le jour où elle a rejoint l'au-delà, plus rien ne me séparait de la folie alors j'ai sombré. Elle n'aurait probablement pas approuvé ce que je m'apprêtais à faire. Cependant, il le fallait, c'était le seul moyen possible pour me relever. Assaillis par une vague de souvenir je fermai les yeux et me remémorai les derniers instants où elle était à mes côtés.

Ce matin, là alors que je m'apprêtais à quitter notre chaumière, tel une nymphe Meredyce s'était avancé dans sa longue robe blanche. J'étais pressé, mais je n'avais pas pu résister à ses yeux couleurs sapins. A chaque fois qu'elle posait son regard sur moi, j'étais comme transporté dans un autre monde. Un monde où nous vivions heureux sans nous soucier de la subsistance de notre peuple. Un monde où la chaleur et la joie régnait. A chaque fois qu'elle me regardait c'était comme si un feu d'artifice explosait dans mon cœur. Affichant une mine sévère, je marmonnais :

—Va te couvrir, tu vas attraper froid.

Voyant qu'elle ne bougeait toujours pas, j'insistais plus durement :

—Tu sais très bien que nous n'avons pas les moyens de payer un guérisseur. Va te couvrir. C'est un ordre !

Honteuse, elle baissa la tête en rougissant avant de balbutier :

—Je voulais juste te demander l'autorisation d'aller dans les ruines avec Aileas. Elle m'a demandé de l'accompagner chercher des étoffes pour sa robe de marié. Tu sais à quel point c'est important pour elle.

C'était trop risqué. Je ne voulais pas qu'elle s'éloigne de notre village. Les ruines étaient un endroit jadis appelait « Highlands ». Les màthraichean naomh(2) se plaisaient à raconter aux jeunes enfants que nos ancêtres, les homos sapiens étaient un peuple sanguinaire. Leur seule raison de vivre était le pouvoir. A l'époque, plus on était riche, plus on était puissant. Néanmoins, à force de surpasser l'impossible, ils se croyaient invincible. Il paraissait qu'ils communiquaient sur des objets appelés téléphones, qu'ils pouvaient voler aussi haut que des oiseaux et habitaient dans des maisons gigantesques semblables à des montagnes.

Quand la troisième guerre mondiale s'était déclarée, le monde s'était écroulé. A force de jouer avec le feu, ces hommes perfides avaient entrainé la fureur des cieux. La température s'était alors mise à baisser jusqu'à ce que la terre se recouvre entièrement de glace. Décimé par cette ultime guerre, les rares survivants avaient décidé qu'il fallait revenir aux sources, car à force de se prendre pour des dieux, les humains s'étaient détruits. A présent nous jouissions des mêmes droits jusqu'au mariage. Après ce dernier les femmes devaient alors se soumettre à l'autorité conjugale.

Nos aïeuls, les homos sapiens étaient responsables de la fin de l'air quaternaire. De l'effondrement du monde. Prenant la survie de l'humanité en main, les rares survivants décidèrent de vivre avec ce que la nature pouvait nous offrir. Ainsi, naquit l'air New Eden. Dès lors, les survivants, les premiers représentants de notre espèce décidèrent de former quatre clans chacun dirigés par un homme et une femme afin de perpétuer une descendance. Ils se disséminèrent dans chaque coin du monde et formèrent leur nation inspirée de l'époque de l'air quaternaire qui leur plaisait le plus. Ils les appelèrent Ness, Ulysse, Thor et Orus, toutes indépendantes les unes des autres. Né à Ness, j'étais attaché à mes terres par un rite ancestral. Sous aucun prétexte je ne pouvais les quitter. A l'âge de 15 ans, je m'étais ouvert les veines afin de signifier mon allégeance aux esprits. En soit, l'endroit où voulait aller Meredyce était sur les terres de Ness, mais je n'étais pas rassuré. Elle était si insouciante et ne voyait jamais le danger. Je ne voulais pas risquer de la perdre en la laissant sortir seul. Déterminé à assoir mon autorité sur ma fougueuse brebis, je déclarais d'un ton sans appel :

—Non.

Sa réaction ne se fit pas attendre lorsqu'elle me fit face le visage rouge de colère.

—Pourquoi ?! Tu ne me laisse jamais sortir. De quoi as-tu peur ? Je ne suis pas faite en verre. J'en ai marre que tu m'interdises de sortir. Si j'avais su que je vivrais comme ça je ne me serais jamais uni à toi !

Ses paroles eurent l'effets d'un coup de fouet sur ma peau déjà marqué par les affres du temps. J'étais l'un des sealgair (3) les plus respecté du village. Même si elle était ma femme, elle ne pouvait m'insulter de la sorte. Les narines frémissantes, je me redressais de tout ma hauteur, heurtant presque le plafond de bois de notre demeure. Réalisant l'ampleur de son erreur, mon épouse baissa les yeux sur le sol et se recroquevilla sur elle-même.

—Je... je suis désolé, bredouilla-t-elle les larmes aux yeux. Je ne le pensais pas.

Ravalant ma rage, je la toisais avec sévérité en gonflant mon torse recouvert de fourrure, délicatement cousu par ses soins.

—Femme, tu ne sortiras point, tels sont mes ordres maintenant vas t'habiller et prépare mon diner.

Elle n'eut pas le temps d'acquiescer que déjà je m'engouffrai à l'extérieur accueillant la neige sur mes muscles crispés comme une bénédiction. Elle avait le don de réveiller la bête qui sommeillait en moi. J'avais beau faire des efforts pour la contenir en sa présence, elle avait l'art de me mettre hors de moi. Je savais que je ne devais pas me montrer si brutal avec elle. C'était une douce perce neige. Elle avait raison, elle ne méritait pas d'être mariée à une bête sanguinaire telle que moi...

Malgré tout, il m'était impossible de me détacher d'elle. Je lui vouais un amour incommensurable. Elle était tout ce que j'avais. C'était une déesse. Ses longs cheveux étaient aussi doux et noirs que des ailes de corbeau. Elle était si belle que j'en perdais le souffle, intelligente, fougueuse, tout chez elle me plaisait, du grain de beauté en forme de cœur sur son épaule droite à l'immense brulure qui recouvrait son bras gauche. Je l'aimais entière avec ses défauts et ses qualités.

Chaque fois que je quittais ma demeure, il me tardait de la retrouver pour couvrir son visage de baisés afin de me faire pardonner pour mon comportement barbare.

Mais voilà, ce jour-là quand j'étais rentré heureux de la retrouver pour m'excuser elle était morte. Etendue dans une mare pourpre, j'avais retrouvé sa tête à quelques mètres de son corps, figé dans un hurlement silencieux.

Sur le coup, je n'avais pas réalisé la gravité de la situation. Je m'attendais à la voir bouger, se relever, récupérer sa tête. Je m'attendais à ce qu'elle revienne à la vie. J'étais resté planté sur le bas de la porte, jusqu'à ce que mon voisin vienne à ma rencontre pour me demander pourquoi je laissais ma chaumière ainsi exposée au froid. Mon absence de réponse l'avait inquiété et il était parti chercher une màthraichean naomh. Ce ne fut qu'à partir de ce moment que mon cœur était devenu poussière. Quand j'ai entendu le hurlement de cette veille sage venu s'inquiéter de mon état. J'ai enfin réalisé que le regard froid et inexpressif de Meredyce ne signifiait qu'une chose. Elle était morte.

Depuis ce jour, rien n'était plus comme avant. La seule chose qui me gardait toujours en vie était ce besoin viscéral de vengeance.

Tout était de ma faute. Si je l'avais écouté, si je l'avais laissé accompagner son amie, elle ne serait pas morte. Le dernier souvenir que je gardais d'elle sont ses yeux remplis de larmes. Je ne me le pardonnerai jamais car je n'ai pas été l'homme qu'elle méritait d'avoir. Je le savais depuis le début, et égoïstement je l'avais épousé, je ne valais pas mieux qu'un homo sapiens.

Aujourd'hui, j'allais pouvoir rectifier mes erreurs. J'allais pouvoir sauver l'honneur de mon épouse. Si je me rendais à la cùirt nam marbh c'était parce que les autorités de peuplement de Ness m'avaient enfin autorisé à tuer l'homme qui m'avait arraché ma femme.

Il y avait eu une naissance, il devait donc avoir un mort. Tout individu coupable d'un crime était exécuté dès qu'un nouveau-né voyait le jour. L'homme que j'allais abattre se disait innocent, mais nous n'avions aucun doute sur son implication. Dès que la communauté avait constaté la mort de Meredyce, chaque habitant s'était mis à chercher le coupable. Piteusement, je n'avais pas pu me joindre à eux. J'étais beaucoup trop bouleversé, j'étais resté pleurer sur la dépouille de ma femme

L'assassin avait été découvert en moins d'une heure. Ce lâche fuyait vers la frontière du village. Ses vêtements couverts de sang, son visage noir, et se yeux d'un étrange bleu était les preuves de son crime. C'était un vagabond, il n'appartenait à aucun clan. Ces vermines étaient un vrai fléau, elles voyageaient seuls dans les limites de l'ancien monde, propageant sur leur passage des maladies millénaires.

—Conall ! s'exclama l'un de mes frères quand il me vit pénétrer la prairie où se déroulerait l'exécution. Je suis heureux de te voir. Tu as meilleure mine.

—Merci. Je suis heureux que tu aies accepté d'être mon témoin.

Acquiesçant gravement, mon frère me donna une bourrade amicale.

—Tout est prêts. Tu n'as plus qu'à épandre le sang de ce scélérat en offrande et toute cette histoire sera enfin finis.

J'étais à la fois nerveux et galvanisé. Le coupable attendait sagement à quelques mètres de là, les yeux bandés et le corps attaché à un poteau en bois. J'avais rêvé de cet instant tellement de fois qu'il me fût difficile de choisir la mort de cette immonde créature. Je pouvais l'étrangler, l'écorcher, le bruler. Un panel d'options s'offrait à moi. Cependant, ma loyauté envers mon épouse me poussa à saisir une hache. Si je devais le tuer autant le faire de la même façon qu'il avait tué Meredyce. C'était le choix le plus sensé. En à peine quelques secondes tout était finis. Je lui avais enlever son bandeau avant de l'exécuter d'un violent coup de hache en pleine carotide et étrangement je ne me sentais pas mieux quand son sang recouvra mes mains, quand sa tête roula à mes pieds ou quand je sentis son corps se raidir. Non, je me sentais toujours aussi vide et démunie. Sans Meredyce la vie n'avait plus aucune saveur. Il ne me restait plus qu'une chose à faire pour apaiser cet immense creux dans mon cœur...

Machinalement, je tournais la hache vers moi. Mon frère n'eut pas le temps de régir que déjà, je mettais fin à mes jours. Au loin, je pouvais déjà apercevoir une douce lumière blanche. Mais dès qu'elle m'emporta ce furent les ténèbres, ce fut le noir total, ce fut l'inévitable mort...

(1) Cour des morts : prairie où ont lieu les mises à mort.

(2) Saintes mères : femmes pieuses responsables du bon déroulement de la vie en collectivité.

(3) Chasseur : responsable de la subsistance alimentaire des Nessiens.

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