Chapitre 19 - ASTRID

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Il est là.

Juste devant moi.

Mon cauchemar, mais surtout, l'homme qui occupe mes pensées depuis que je l'ai rencontré.

J'ai l'impression qu'il n'a pas changé depuis la dernière fois que je l'ai vu, et cette constatation me serre le coeur : quand je traversais l'enfer, il n'a sûrement fait que se repaître de ma souffrance. Et contrairement à toutes les autres fois, maintenant qu'il est là, en chair et en os, je ne le hais plus : je ressens simplement une profonde tristesse face à ce gouffre infranchissable qui nous sépare.

Dans son costûme noir élégant, ses mèches noires éparses et indisciplinées qui lui tombent sur le front le font paraître plus séduisant que jamais, même sans son sourire irrégulier qui m'a tant fait craquer pendant un mois entier. Je suis avalée par une rafale de souvenirs, dans lesquels un seul moment prédomine pourtant, au milieu de tous les autres : celui pendant lequel ses lèvres se sont pressées avec avidité contre les miennes. Sa voix à l'accent si indéfinissable m'enveloppe.

Mon rôle me revient cependant bien vite à l'esprit.

Je ne dois pas me laisser déstabiliser ainsi.

La présence de Sacha à ce bal n'était pas dans mes plans, et maintenant qu'il est là, je suis obligée de rentrer dans le jeu que j'ai moi-même créé : je vais devoir rester avec lui, le regarder comme s'il m'avait manqué - ce qui est faux, n'est-ce pas ? -, et surtout lui parler comme si je ne connaissais pas sa trahison. M'inquiéter pour lui.

Sa présence complique bien trop les choses : je ne peux plus rejoindre Shaïma et Alyzée, et surtout, je ne peux plus mettre mon plan à excécution. Lui aussi doit jouer la comédie, et il est évident qu'il me choisira comme cible. Si ça se trouve, il bouclera peut-être même le bracelet à mon poignet dès que je le rejoindrai, pour s'assurer ma prise. S'il veut rester le garçon que je croyais connaître, il fera tout pour rester le plus longtemps possible avec moi, et me réserver fait partie de ce "tout". Quel mensonge a inventé la DFAO pour expliquer sa présence ? Que va-t-il essayer de me faire croire en me regardant droit dans les yeux ? Je ne sais même pas si je serai capable de supporter sa présence près de moi avec tout le mal qu'il m'a causé. Il est à l'origine de tout ça! Comment l'oublier ? Comment oublier qu'il méprise mon essence même, tout ce que je suis et tout ce que je représente ? Nous sommes ennemis, je ne dois pas faire comme si je ne le savais pas.

Je me rends alors compte qu'autour de nous, la majorité des hommes n'ont d'yeux que pour moi, et Sacha est de loin le plus jeune d'entre eux. Je sais qu'au moins, avec lui, ce soir, je retarde l'inévitable. Et au fond de moi, même si j'aimerais que la mission prime sur tout, je ne suis pas encore prête à livrer mon propre corps en pâture pour la cause. C'est un sacrifice trop grand, et Sacha représente bien ma seule porte de sortie. L'occasion est trop tentante pour que je puisse l'ignorer. S'il n'avait pas été là, j'aurais peut-être trouvé la force de continuer jusqu'au bout. Mais la donne change complètement maintenant qu'il est là.

Je me précipite vers lui en m'emmêlant les pieds à moitié dans ma robe, encombrée par tous les bijoux dont l'homme-robot m'a affublée. Je me sens ridicule dans cet accoutrement, et surtout bien banale à côté de toutes ces femmes d'une beauté renversante. Mais, comme j'ai pu le constater dès mon deuxième jour ici, ce n'est pas forcément une mauvaise chose.

Une fois à quelques mètres de Sacha, je m'arrête net et je commence soudain à réfléchir à ce que je vais lui dire. Je dois avoir l'air convaincante. Poser les bonnes questions. Afficher les bonnes émotions. Moi qui pensais ne plus jamais le revoir qu'en tant qu'ennemi, et surtout en temps de guerre, me voilà face à lui et je suis en train de perdre complètement mes moyens.

Une main chaude et grasse se pose soudain sur mon coude.

Un pressentiment terrible me saisit à la gorge et je détourne avec peine mon regard d'un Sacha horrifié pour regarder celui qui vient de m'attraper.

Ma vue se trouble.

Un hurlement muet me monte à la bouche, mais il ne franchit jamais la barrière de mes lèvres hermétiquement scellées.

D'un geste sec et précis, mon agresseur saisit mon poignet, écarte les bijoux qui l'ornent dans un tintement retentissant et abat sur moi un bracelet en métal brut, trop lourd pour mon bras trop maigre. La fermeture se déclenche avec un clac terrifiant. Je lève des yeux agrandis par l'horreur vers lui, mais il est trop tard. Je ne peux que rester figée, recroquevillée sur moi-même, surplombée par son ombre immense.

Willer vient de me réserver.

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