Chapitre 8 - SACHA

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Devant moi se dresse un jeune homme aux yeux légèrement rouges qui n'est pas celui que je file depuis tout à l'heure.

Ses cheveux bruns et lisses lui arrivent un peu en-dessous des oreilles, et je vois d'ici leur teinte grasse. Il porte des vêtements de maison amples qui ne le mettent pas en valeur et des chaussettes dépareillées, une noire et l'autre bleue. Déjà naturellement plus petit que moi, il semble en plus totalement affaissé.

À ma vue, un éclair de peur passe dans ses yeux mais il se détend vite. Il me sourit d'un air niais, comme ailleurs.

Dans mon oreille résonne le constat de l'IA, que j'ai cependant déjà fait moi-même :

Haute probabilité que l'homme en face de vous ait touché à la drogue il y a moins de deux heures. 95% de chances.

Silence.

L'homme m'observe toujours avec le même regard perdu. Il ne se doute de rien, ou alors il cache très bien son jeu.

- T'es qui, toi ? finit-il par anoner.

Je dois passer pour un jeune du quartier, et donc adopter le même langage et le même air que lui. Selon mon plan, je suis venu me fournir. Il ne me reste plus qu'à espérer ne pas faire de gaffes.

- Ton fric, pauv'con. Bon, tu me laisses entrer ? J'ai aut'chose à foutre que me planter ici toute la journée.

En lui répondant, j'avance déjà mon épaule pour me frayer un chemin à l'intérieur, mais une main ferme se pose alors sur moi. Je frémis de dégoût sans pour autant la retirer. Garder la couverture. Cette situation me rappelle tant Astrid et le mois dernier que je dois faire un effort pour ne pas visualiser son visage penché sur moi.

Je lève les yeux vers lui, furieux. Je ne camoufle pas mon exaspération.

Identification réussie, annonce soudain mon aide artificielle. Eric Loper, 25 ans. Casier judiciaire : six mois d'emprisonnement pour détention de stupéfiants du 23 avril 2305 au 23 octobre 2305. Niveau de surveillance : faible.

Je réagis au quart de tour.

- Allez Eric, fais pas chier. Tu sais très bien pourquoi je suis là.

Son prénom semble enfin lui arracher une réaction. En quelques secondes, il s'écarte, me tourne le dos, et pars en direction d'une pièce avoisinante. Je ne m'attarde pas sur petit hall d'entrée et le suit immédiatement, toutefois un peu intrigué par ses réactions exacerbées. Pourquoi a-t-il cédé subitement ? Son simple nom ? Etrange. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir plus. Déjà, je pénètre dans ce qui a dû être une chambre, mais qui n'est maintenant qu'une pièce vide sans aucun meuble. Sur le sol, quatre personnes sont assises, dont celui qui m'a reçu... et celui qui m'a conduit ici. C'est le moment de vérité. Me reconnaîtra-t-il ? Il est d'ailleurs le seul à lever le regard vers moi et m'inspecte, suspicieux. Tous les autres restent avachis dans la même position sans parler. Soudain, il se met à parler d'une voix traînante :

- Tu veux quoi ?

- Ne fais pas l'idiot. Tu sais très bien pourquoi je suis là.

C'est exactement ce que j'ai dit à son pote tout à l'heure. Mon IA m'interrompt soudain :

Présence de cannabis confirmée. Présence de quatre individus confirmée. Pourcentage des personnes possédant de la drogue dans leur corps : 100%. Alerte lancée. Renforts en attente...

Merde! Merde, merde, merde... Je voulais régler cette situation seul, mais manifestement j'ai été naïf de croire que je n'étais pas sous surveillance. Mon IA doit être connectée au réseau depuis le début, et son activité a été repérée dès que j'ai lancé l'assistance. Ils m'écoutent même peut-être depuis bien plus longtemps. Je serre les dents à m'en faire exploser la mâchoire. Mes yeux doivent lancer des éclairs mais je garde mon calme. La situation n'est pas à sous-estimer. Même drogués, ils sont bien plus nombreux que moi et je n'ai jamais été un as du combat. Je suis même plutôt pitoyable, juste le niveau qu'il fallait pour intégrer la DFAO dans la direction. Grâce à mes origines privilégiées, je n'ai jamais été soldat de base, je ne connais donc presque rien au combat.

- Eh, tu me réponds quand je te cause ?!!

Le ton impérieux de mon interlocuteur me ramène à la réalité. Je cligne des paupières et laisse ce nouveau problème dans un coin de mon cerveau. Je suis certes contrarié de cette surveillance, mais elle pourrait peut-être se révéler utile. Il faut juste que je les maintienne en haleine jusqu'à l'arrivée de l'équipe d'intervention. Je dois me rendre à l'évidence, mes talents de manipulation et de psychologie ne me serviront à rien ici.

- Ecoute, je lance d'un ton menaçant qui contraste avec leur propre voix, alourdie par la drogue. Je suis pas ici pour les ennuis, je veux simplement mon paquet et je me barre fissa. Alors maintenant, arrête de faire semblant et donne-moi ce que je veux.

Celui qui me répond depuis tout à l'heure, à présent debout, se recule légèrement. Il doit sentir que je n'apprécie pas la distance réduite entre nous deux, ou alors lui non plus n'aime pas ça. Et à bien y réfléchir, c'est le dernier de mes soucis, du moment qu'il s'éloigne de moi. Il me dégoûte. Je n'ai jamais été tenté de tomber dans le piège de la drogue ou de l'alcool, ou de quelque addiction que ce soit. J'ai toujours su mettre les limites là où elles devaient être et ne pas me laisser entraîner. Un esprit clair m'est bien plus utile qu'une chappe de brume. Mes pensées sont la seule chose qui me permet de survivre, jamais je ne les détruirai elles aussi. Je veux mon intégrité, mes pleines capacités, et certainement pas me perdre pour oublier. Au contraire, mes souvenirs sont le plus important. Ce qui me donne la rage d'avancer.

- Très bien, finit-il par lâcher.

Un de ses potes lâche un ricanement stupide. Pas besoin d'IA pour me confirmer à quel point ils sont défoncés. Il sort de la pièce et je me retrouve seul avec les trois autres, mais je n'ai pas besoin de parler. J'ai un peu d'expérience dans ces cas-là, et je sais qu'ils sont de toute manière trop loin pour raisonner clairement. Je pourrais presque les immobiliser maintenant. Ne pas attendre les renforts. Après tout, dans leur état, ils ne m'offriront aucune résistance. Le seul qui semble garder un semblant de clarté n'est plus là. Lorsqu'il reviendra, ses amis seront assommés, et je n'aurai plus qu'à le prendre par surprise. Je n'ai pas besoin de l'assistance de la DFAO.

Je m'approche lentement, d'un air nonchalant et dégagé de celui qui m'apparaît le moins à même de se défendre. Son tête pend sur le côté, appuyée sur son épaule, et un filet de bave commence à dégouliner le long de son menton. Je suis répugné, mais mes sentiments ne m'ont jamais empêché de remplir mes objectifs. Enfin, jusqu'à la dernière opération...

Non, je ne dois pas penser à ça.

Surtout. Ne. Pas. Penser. À. Elle.

Je sors mon arme de sous ma chemise sans un bruit. La sécurité s'enlève toute seule : elle est connectée à mon Communicateur, comme toutes mes autres affaires. Sans une hésitation, d'un geste précis, j'abats la crosse sur la nuque de ma cible. Les quelques secondes qu'il faut aux autres pour comprendre me suffisent pour m'attaquer au deuxième avec succès. Mais, plus rapide, le dernier s'est relevé et me fait à présent face. Il me fixe droit dans les yeux de son regard embrumé. J'utilise son attention à mon avantage pour lancer un coup d'oeil à droite. Son intuition fait le reste à ma place. Il suit mon regard, déconcentré l'espace d'un instant. Je bondis sur lui et lui assène un coup de coude retourné sur le nez. Ses os produisent un craquement satisfaisant et il s'effondre au sol dans un gémissement de douleur. Dans son état, avec la drogue qui court dans ses veines, il n'est plus en capacité de faire quoi que ce soit. Un coup de pied violent sur la tête et il s'évanouit définitivement.

Neutralisation réussie de trois individus sur quatre. Danger immédiat derrière vous, me rappelle alors l'IA. Je me maudis moi-même de ne pas avoir pensé au dernier drogué, mais alors que je pivote sur mes talons pour l'affronter à son tour, il est déjà trop tard. Profitant de mon trouble, mon adversaire m'arrache mon arme.

Et sans une hésitation, sans même attendre quelques secondes, sans me laisser le temps de parlementer, il appuie sur la détente, le canon pointé droit sur moi.

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