Prologue - ASTRID PARTIE I

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You're the Last

TOME II - STORM CLOUDS

PARTIE I

Je pénètre dans un bureau chaleureux éclairé de nombreux spots, la tête baissée en signe d'humilité. Je sais que je devrais ressentir de la honte de ce que j'ai fait, mais je n'y arrive pas. Pour moi, c'était un simple mécanisme de défense, rien d'autre. Pour moi, mon acte était justifié. Toutefois, je ne peux pas me permettre de montrer ma nonchalance face à Marshall. Il ne le supporterait pas, et moi, j'ai trop peur de le décevoir pour faire quoi que ce soit qui l'attristerait.

Marshall me tourne le dos, debout au centre de la pièce. Je ferme la porte derrière moi pour signaler ma présence mais il ne semble pas vouloir me remarquer. Il veut jouer à ce petit jeu là ? Très bien, jouons... Ce caractère farouche qu'il tente d'atténuer depuis mon arrivée ici reprend le dessus. Marshall a toujours été comme un père pour moi. C'est lui qui m'a recueillie, lui qui m'a appris tout ce que je sais aujourd'hui. Il m'a protégée, encouragée, m'a forgée telle que je suis. Et pour le remercier, voilà la seule chose que je trouve à faire. Je ne devrais pas montrer tant de violence. Je sais bien qu'à chaque nouvelle démonstration de mon agressivité naturelle, je lui fais penser à mon vrai père. Je vois bien la désapprobation et la déception dans ses yeux bleus chaleureux. J'aimerais tant pouvoir m'empêcher d'être ce que je suis, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Mais même Allen s'est brisé les doigts contre ce mur infranchissable, et qui d'autre que lui est mieux placé pour me convaincre de quelque chose ? Me faire changer ? S'il a échoué, personne ne réussira.

Je commence un peu à m'impatienter. Marshall ne parle toujours pas et je me dandine nerveusement d'un pied sur l'autre pour cacher mon impatience. J'ai presque envie de lever les yeux au ciel devant son caractère buté. Je me reprends ; ce n'est pas le moment. Il m'a sûrement concocté une leçon de morale démoralisante, comme il en a le secret. Quand je ressortirai d'ici, je serai sans doute lessivée et décidée à faire des efforts, mais dès demain, je recommencerai, parce que c'est comme ça que je suis. Allen m'a souvent dit que mes yeux sont ce qui me représente le mieux : des nuages d'orage, près à se déchaîner à la moindre occasion. Toujours lancés à pleine vitesse. Une véritable bombe d'énergie, une bombe à retardement qui à chaque fois se retient d'exploser pour faire encore plus de dégâts après. Et mon temps de recharge est si court que je ne laisse quasiment jamais de répit, à mes ennemis comme à mes amis.

Mes amis... comme si j'en avais. Le seul qui a jamais réussi à m'atteindre, c'est mon frère. Jamais personne d'autre n'a brisé mes défenses en béton armé. Peut-être est-ce parce qu'il me connaît mieux que moi-même, ou parce qu'il m'a accompagnée depuis la naissance jusqu'ici, sans jamais me quitter, suivant mes traces puis m'invitant à suivre les siennes ? Toujours est-il que jamais je ne laisserai ce lien indéfectible qui nous unit se briser. C'est bien la seule chose que je chéris.

Enfin, Marshall se décide à bouger. Il me fait enfin face, mais sur son visage, je ne vois pas le désespoir familier comme à chaque fois qu'il me convoque ici. Sa tristesse ne ressemble pas à celle qu'il dégage généralement. Et ce changement me fait peur, si peur...

- Astrid, je ne compte pas te mentir. Ton comportement devient de plus en plus ingérable. Mais cette fougue que tu as en toi, elle n'est pas forcément mauvaise, tu sais. Beaucoup commencent même à dire qu'il est temps de l'exploiter... qu'il est temps pour toi d'accomplir ta mission.

Ma mission ? Ma première mission a été en tant que simple soldate dans une petite opération de vol de ressources. La routine, mais tout de même ce qui nous permet de survivre et de nous faire connaître. Puis je les ai enchaînées, tout en montant en grade au fur et à mesure. J'ai moi-même supervisé la dernière, celle dont je suis revenue il y a une semaine à peine : l'attaque de l'avion A126, dans lequel des membres hauts-placés du Gouvernement de Chicago voyageaient jusqu'à Paris. Survivants : 0.

Je ne comprends pas ce que Marshall veut dire. Une autre opération n'était pas au programme. Mais au lieu de poser toutes ces questions, je ne trouve qu'une chose à dire :

- Qui ? Qui dit ça ?

Mon père de substitution soupire et passe une main tremblante dans ses cheveux, un tic dont Allen a hérité.

- Mehdi. Mais aussi Yolan et Joshua.

Joshua. J'aurais dû m'en douter. Tous les mentors d'une opération de longue durée doivent contacter régulièrement l'Organisation au cours de la mission, en passant par ce que nous appelons une référence. Yolan est la mienne depuis la première fois que j'ai pris mes responsabilités, mais il ne m'a jamais portée dans son coeur, même si je n'ai jamais compris pourquoi. Je me crispe devant cette injustice. L'avis de mon référent est loin d'être impartiel et basé uniquement sur la logique pour tout ce qui me concerne, de près ou de loin. Depuis que je suis toute petite, il déplore mon caractère incontrôlable qui, d'après lui, mine mes capacités déjà peu développées. Il ne cesse de me rabaisser et d'appuyer sur chacun de mes défauts depuis que je le connais.

J'ai envie de protester, mais Marshall m'arrête net par ses paroles suivantes :

- Et je suis d'accord avec eux.

Mes premières interrogations me reviennent en mémoire. Partir en mission a toujours été ce que j'aime le plus : du danger, et sans personne pour essayer de me maîtriser. Sur le terrain, personne ne conteste mes décisions, et surtout, personne ne dénigre mon énergie débordante. Au contraire, mon avis est souvent écouté plus que celui de n'importe qui, et ce que personne n'aime au QG devient la plus grande qualité de notre groupe. Une nouvelle opération ne me gêne pas le moins du monde, ce serait au contraire l'occasion de m'évader après ce que j'ai fait, et qui ne risque pas de m'attirer les foudres de mes compagnons. Mais pour une raison inconnue, mon instinct me dicte que Marshall n'aurait pas un air si grave si cette mission n'avait pas quelque chose de plus que les autres. Et surtout, il ne m'aurait pas spécialement convoquée dans son bureau pour me l'annoncer en personne. Il aurait simplement envoyé ma référence, Joshua, comme pour tout le monde. De ce côté là, il n'a jamais fait de différence entre moi et les autres. Alors pourquoi toutes ces manières aujourd'hui ?

Je ramène mes mains derrière mon dos pour les croiser et me donner l'air le plus sérieux possible.

- Je ne comprends pas.

Je suis curieuse et en même temps un peu effrayée.

- Qu'est-ce que cette mission a de si particulier pour que tu m'appelles ici ?

Et là, je vois quelque chose qui m'empêche de continuer sur ma lancée. Autant que je puisse m'en souvenir, je n'ai jamais vu Marshall pleurer. Pas une seule fois. Pour moi, il a toujours été l'idéal du genre masculin, indépendant, fort, mais surtout inatteignable. Mais aujourd'hui, je ne peux pas nier que ses paupières débordent de larmes qui pourtant se refusent toujours à déborder. J'imagine que des années à ne jamais montrer un seul signe de faiblesse finissent par laisser leurs traces. Les yeux écarquillés, je l'observe un long moment, et il me rend mon regard effrayé avec une mélancolie, une lassitude qui me brise le coeur. Je ne l'avais jamais vu dans un tel état. Je n'ose plus bouger, même pas cligner des yeux. Mais il finit par rompre notre immobilité pour me tourner le dos à nouveau. À l'abri de mes yeux pleins d'incompréhension, il se met alors à parler :

- Ne t'es-tu jamais demandé pourquoi tu es arrivée ici ?

Surprise par cette question insolite, je commence à répondre mécaniquement :

- Je le sais déjà. L'Organisation m'a enlevée au Gouvernement. Vous êtes venus me chercher dans le Sanct...

- Non! me coupe-t-il sèchement, et avec une pointe, me semble-t-il, de tristesse tant bien que mal dissimulée. Je ne te demande comment tu es arrivée, mais pourquoi. La raison de tous ces risques que nous avons pris pour toi.

Je reste interdite. Jamais je ne m'étais interrogée sur ce sujet, où si je l'ai fait, je ne m'en souviens plus. Pour moi, il a toujours été évident que l'Organisation m'avait sauvée pour porter un coup fort au Nouveau Système. Un coup marquant, presque comme un défi lancé. Une provocation sur leur propre terrain. Marshall comprend mon trouble et, toujours sans se retourner, lance par-dessus son épaule :

- Je sais ce que tu penses. Nous ne t'avons pas libérée par simple bonté d'âme. Et même si je regretterai toujours les raisons premières qui nous ont poussés à le faire, elles sont toujours présentes aujourd'hui... peut-être même encore plus qu'avant.

Il se met à marcher à travers la pièce.

- Astrid, il y a 17 ans maintenant que nous vous avons exfiltrés, toi et ton frère, du Sanctuaire. Mais au départ, ton frère n'entrait pas dans l'équation. Si notre agent sur le terrain l'a sauvé lui aussi, c'est simplement parce que ta mère l'a supplié de ne pas l'abandonner à son sort. Il n'a pas pu ignorer les appels à l'aide désespérés de cette femme qui t'as donné naissance. Mais si nous avons monté toute cette opération, en premier lieu, c'est uniquement pour avoir la possibilité d'élever une fille. Parce que les filles ont quelque chose que nous n'avons pas, nous les hommes. Un cer...

L'image se brouille dans mon esprit. Petit à petit, la scène s'efface sous mes yeux suppliants. Je voudrais que tout se remette en place, que Marshall ait le temps de finir sa phrase, mais il est trop tard. Déjà, je suis entraînée très loin du bureau et de ces deux personnages qui sortent tout droit de ma mémoire.

Ma mémoire.

Parce que cette scène que je viens de revivre n'est rien d'autre qu'un souvenir.

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