1- Nouvelle vie

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La jeune fille dessina une croix sur sa bouche, risquant l'inévitable regard de pitié de son interlocuteur. Elle avait l'habitude de ne jamais trop sortir de son quartier, les gens là-bas la connaissant bien et étant gentils, même s'ils n'avaient jamais essayé de voir plus loin que son handicap.

Maia est muette. Depuis sa naissance, elle ne sait pas parler.

Elle était dans cette boutique depuis quelques bonnes minutes déjà. Pour son anniversaire, elle avait fini par trancher entre les Maltesers et les Ferreros. De toute façon, elle n'avait qu'une amie, inutile de trop dépenser pour bien peu.

Comprenant facilement le signe de la jeune fille, il sourit et, à son grand étonnement, lui demanda:

-Vous parlez le langage des signes ?

D'un léger mouvement de tête, accompagné d'un sourire plein d'espoir, elle répond par l'affirmative.

C'est le soir, il est tard et la boutique est presque vide. Il fait donc passer ses achats et, usant de ses mains, entame une discussion.

*Vous êtes nouvelle dans le quartier... Je me trompes ?*

Elle acquiesce, contente de parler à quelqu'un d'autre qu'à sa tante et Elise, sa meilleure amie, et réponds avec l'habitude de ceux qui n'ont jamais eu à parler pour se faire comprendre.

*Je suis la nièce de Mme Delic, qui habite dans l'immeuble voisin. J'ai enménagé hier.*

*Je peux vous poser une question ?* Signa-t-il de nouveau.

S'attendant à une question type habituelle du genre "Comment êtes vous devenue muette ?" ou "Vous n'habitez pas chez vos parents ?", elle se voit répondre de nouveau par l'affirmative, assez résignée.

Il sourit et désigne ses achats:

*Je vous ai observé. Pourquoi des... Maltesers ?*

Surprise, la jeune fille hausse les sourcils et dévisage un peu plus son interlocuteur, comme s'il venait de se trouver une quelconque importance.

Assez grand, de physique banal, il avait néanmoins un sourire agréable et des yeux pétillants,comme si son choix de chocolat l'intéressait vraiment. En plus, il semblait avoir son âge, dans les dix-huit ans environ.

Ne sachant trop quoi répondre, elle hausse les épaules.

*Vous hésitiez entre Ferreros et Maltesers. Tout le monde choisirai des Ferreros. Sauf vous...*

Elle avait déjà rangé ses achats et était prête à payer, mais, accoudé au bord de la caisse, le vendeur semblait attendre sa réponse. Comme si ça l'intéressait..., se dit-elle, amère.

*J'avait envie de Maltesers. Je suis majeure demain. Je peux bien prendre ce que je veux* signa-t-elle une dernière fois rapidement, comme énervée, avant de déposer l'argent sur le comptoir et de partir brusquement, sans laisser le temps au garçon de réagir.

Elle marcha comme une furie jusqu'à son nouveau chez-elle. Elle ne comprenait pas sa colère, brusque et inattendue, et ça l'exaspérait encore plus. Depuis l'évènement, elle changeait d'humeur sans arrêt. Jadis calme et discrète, elle était vite devenue beaucoup plus sensible qu'elle ne l'était déjà et très instable émotionnellement.

Pauvre garçon , il n'avait pas dû comprendre grand chose...

Il n'était pas comme les autres aussi. Elle avait toujours été seule, Elise et ses parents lui suffisaient. Les autres, à l'école, l'oubliaient vite. Elle avait souvent l'impression d'être transparente, comme un fantôme errant sans véritable but dans un monde qui ne lui était pas destiné. Et brusquement, elle déménageait et quelqu'un s'intéressait à elle pour discuter tranquillement, sans poser de questions indiscrètes.

C'était bien, mais c'était perturbant.

Comment allait elle faire, maintenant ? Elle allait devoir s'excuser. Impossible dans un si petit quartier de ne pas recroiser, au moins une fois, la même personne. Et puis, elle s'en voulait... Un peu. Il avait quand même été gentil, et marrant. Si tout le monde était comme ça, ici, il faudrait simplement qu'elle s'y habitue.

En soupirant, elle se dirigea vers la salle d'eau en se promettant d'aller le voir le lendemain, et d'être un peu plus agréable. Mais...

-Je suis rentrée ! Comment s'est passé ta journée ?

La voix de sa tante retentit dans l'appartement. Elle se dirigea aussitôt vers la chambre de la jeune fille, mais ne trouva personne, sinon le bruit de l'eau qui coulait dans la pièce d'à-côté et une nuée de cartons envahissant l'espace. Aucun n'avait encore été déballé, ni même ouvert.

-Mais... Tu n'as pas encore commencé à ranger tes affaires ? S'exclama-t-elle, un peu surprise. Tu m'avais dit que tu commencerai à le faire aujourd'hui. Que ce soit au moins présentable pour ton anniversaire, demain...

Maia ne réagit pas. Certes, elle ne pouvait pas répondre, mais ne fit rien pour montrer qu'elle avait bel et bien entendu. Elle soupira de nouveau. Depuis l'évènement, elle avait l'impression d'avoir un trou béant au coeur, et cet espoir démesuré qu'elle pourrait rentrer chez elle d'un instant à l'autre. Comme si tout cela n'était en vérité qu'une farce. Comme s'il ne s'était rien passé. Et c'est pour ça qu'elle n'avait pas voulu toucher à ses cartons.

Les larmes se mélangèrent à l'eau et glissèrent doucement sur sa peau. C'est vrai que les digues se rompaient rapidement en ce moment. Avant, elle ne pleurait jamais, la vie était bien trop belle pour ça. Mais ce qui s'était passé, il y a à peine quelques semaines, l'avait cruellement détrompé.

Enfin, toute propre, elle termina de se sécher et sortit.

La serviette bien enroulée autour d'elle, elle sursauta en poussant la porte de sa chambre. Sa tante était assise sur son lit. Tranquillement, elle l'attendait.

-Ah... je t'attendais. Pourquoi tu ne les as tu pas vidé ? demanda-t-elle en désignant les cartons. Veux tu que je t'aides ?

Elle haussa les épaules. A quoi bon ? Elle secoua la tête. Non, elle n'avais pas besoin d'aide.

-Je... je sais que c'est difficile, mais il faudra bien le faire un jour ou l'autre.

Elle secoua de nouveau les épaules.

-Bon. Je prépare à manger. Tu es sortie pendant que je n'étais pas là ?

D'un geste, Maia désigna le paquet de Malteser et se dirigea vers le placard pour se trouver un pyjama.

Elle ne vit pas mais sentit très bien le sourire de sa tante, derrière elle. C'est vrai, elle avait faire un effort pour voir au moins un peu le quartier. Même si elle avait tout gâché en fuyant le sympathique inconnu, elle avait quand même fait un pas dehors. C'était déjà pas mal.

-Ah, je suppose que tu l'as acheté dans la petite boutique d'à côté... Tu as dû voir le nouveau caissier, il est très sympa. En plus, il parle le langage des signes, dit une dernière fois la jeune femme, maligne, en sortant de sa chambre, faisant légèrement rougir sa nièce.

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