Chapitre 1

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Louis ferma la fermeture de son sac, l’enfila par-dessus son épaule et quitta sa petite chambre. Il jeta un dernier coup d’œil derrière lui et claqua bruyamment la porte. Une vive lueur éclairait ses yeux aguerris. La télé, trônant au centre du salon, renvoyait la terrible image des magots. Les politiques. Les journalistes. Tous ces gens-là. Leurs paroles et promesses étaient une ogive, prête à exploser. Il n’était pas de ceux-là, Louis. Il était de ceux qui bottaient la terre et le ciment, et dont l’obstination devenait parfois presque émouvante. Jusqu’à ce qu’elle vous tombe sous le nez. Affalée sur le divan, la mère Cudi buvait leurs paroles, souvent attentive à ces actualités, elle n’en décrochait plus. « Je sors » lui dit-il. Elle répondit d’un grognement. Louis ouvrit la porte et se retrouva dans le couloir de la résidence. Personne. Il ne prit pas la peine de fermer à clé et prit le chemin de l’escalier. Il ajusta son béret et descendit les marches une à une. Quelques graphes. Une odeur de tabac omniprésente. Toujours la même chose, assez, pensa-t-il. Le regard dur, les traits appuyés, il arriva devant la porte métallique et sortit du bâtiment. De la brique et du béton, voilà ce qui composait le quartier de la rue de Tournai. Louis regarda les anciens rails, en partie cachés derrière de grandes grilles et des débris, les trains n’y passaient plus depuis un petit moment déjà. L’endroit était désert. Quelques fois, il y avait bien un ou deux agents d’entretien, pas plus, rien de plus. Il se demandait bien ce qu’ils pouvaient bien y faire à part ramasser les mégots et restes de 64. Lui aussi avait travaillé là, quand le bruit des trains se faisait encore entendre. Il se rappelait encore des grands traits de fumée s’échappant des engins. Des hommes travaillant en harmonie sur les chemins ferroviaires. Il repensa à ses vieux amis italiens, portugais, parfois de l’est même. La galère, oui, mais en équipe. Louis se détourna de ces pensées et continua sa route, à l’objectif inconnu encore. Une jeune fille entrait dans le foyer pour jeunes. Elle n’était pas bien grande, la môme. Ses vêtements trop serrés soulignaient son corps squelettique. Il la vit s’engouffrer dans le bâtiment. Pauvre gosse. Plus il s’enfonçait dans le gouffre de l’âge, plus Louis se demandait comment les jeunes générations pouvait sembler si lointaines.. Comment quelques rides pouvaient le rendre à la fois si raisonnable et résigné ? Il n’y a pas de décadence, juste un peu d’incompréhension. Un sentiment malsain des aînés, face à leurs cadets, de vouloir se rationaliser, aussi, peut-être..

Louis remonta vers la gare Lille Flandres. Le soleil brûlait, là-haut. Les terrasses des bars étaient pleines. Les rues aussi. Ça gueulait. Ça chantait, parfois. L’ambiance était bon enfant. Il traversa la foule. La chaleur humaine empestait. Des relents de tabac s’abattaient sur son visage. Louis continuait de forcer son passage. Ça jouait des épaules s’il le fallait. Le tempo s’accélérait. Euralille. Les autos arrivaient de tous les côtés. Les bus s’entassaient et ralentissaient la circulation. On klaxonnait, on ouvrait sa vitre pour beugler des insultes pour les plus téméraires. Il faisait chaud, bon dieu. L’avenue le Corbusier était toujours bondée, le monde s’agitait dans tous les sens, ne se préoccupant plus des stops et des temps morts. Néanmoins, l’espace semblait scindé. Près de la bouche du métro, les tziganes et pauvres gens du pays se regroupaient. Ils effrayaient les passants par leur simple présence et leurs trognes de marginaux. Chacun sa crasse, on peut le dire. De l’autre côté, la grande place était toujours noire de monde. Les voyageurs ou autres lillois la traversaient paisiblement, profitant du soleil caressant leur peau. Louis descendit une petite pente menant au grand parc derrière la gare Lille Europe, devant lui, un grand espace de béton, autour duquel régnait une grande étendue de verdure.

Serge était assis sur son banc habituel. Le regard perdu face à la gare Lille Europe. A l’arrivée de Louis, il passa sa main dans ses longs cheveux gris.

-Ciao Louis, tu vas bien ?

Louis haussa les épaules et s’assit à ses côtés. Il rejoignit Serge dans sa contemplation.

-ça fait combien de temps qu’on se connait, Louis, reprit-il.

-25 ans, pas plus, pas moins, répondit-il sans hésiter.

_Va’be, on peut dire qu’on se connait bien maintenant, hein ?

Louis acquiesça, ne voyant pas où le vieil italien voulait en venir.

-Alors, dis-moi qu’est-ce que tu fous avec un sac de voyage à cette heure-ci ?

Louis prit la cannette de 64 posée au pied de Serge, il avala une gorgée et marmonna « J’en sais rien ».

Serge sortit une garrot de la poche de son blouson et l’alluma. Ses ongles étaient longs et jaunis par le tabac. Il prit une bouffée et lâcha un soupir. Ils étaient là, tous les deux, cannette à la main. On aurait dit de ces SDF grillant leur temps dans les squares.

- On a passé notre vie sur les rails, il serait temps d’échanger les rôles, tu crois pas ?

- Et pour aller ou, hein ? Et faire quoi ? J’ai tous vu de cette foutue ville, je l’ai vue grandir, je la vois périr, autant qu’elle m’emporte avec elle !

- ça, c’est à toi de le décider. Je pense que tu vaux mieux que ce tas de béton, tu es encore assez léger pour un envol.

Silence. Une dernière pige ? La première, à vrai dire. Tout envoyer chier, Louis l’avait déjà à moitié décidé en claquant la porte de son appartement. Il se leva, fit quelques pas vers la gare et se retourna, « Tu viens ? »

-Non, moi, je reste ici, dit Serge en achevant sa bière. Louis sourit tristement. Il fit un clin d’œil à son camarade et resserra son couvre-chef. Oui, c’était peut-être ça la solution. Partir.

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