Les Sables Sempiternelles – Ew-A̧wșanegusıqam Umnaneșan’ıdıļam

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Il n’y avait là aucune ombre sous laquelle s’abriter. Seulement la lumière rutilante d’El-Twlıwefa ; frappant chaque parcelle d’un erg qui s’étendait à perte de vue, embrassant l’horizon, dans une cruelle étreinte maternelle, du zénith au nadir.
L’a’ejan se déplaçait placidement, comme excédé par ce voyage interminable, qui durait depuis déjà plusieurs semaines, ou plusieurs mois, peut être plus ; un exil avec de maigres ressources, un ban vers des terres hostiles à toute vie.
Il se rappelait encore les cris d’une foule agitée, énervée, le lynchant, rejetant ses enseignements avec une grande véhémence ; mais même dans une telle mer de haine, il se souvenait avec tendresse d’un cri du cœur, déchiré de tristesse.

« ‘ș-A̧șım’ ! »

Sa main se posa sur sa poitrine endolorie par des sentiments flous et mêlés, le son de sa voix gravé dans sa mémoire lui rappelait l’erreur que fut sa vanité ; s’il avait suivit ses conseils avisés, s’il n’avait pas persévéré à tenter vainement d’élever ses incroyants sourds et aveugles ; s’opposant à une autorité stérile et matérialiste ; il n’aurait pas fini dans une geôle crasse et indigne, puis envoyé de force dans l’Ew-A̧wșanegusıqam Umnaneșan’ıdıl̦am, l’éternelle mer de sable, à vagabonder en attendant de recevoir quelconque salvation ; sa bêtise zélée avait forcée sa première disciple à prendre des décisions inconsidérées, qui mettaient sa réputation en jeu, si ce n’est sa propre vie ; mais si elle n’avait jamais suppliée son frère le seigneur, aujourd’hui il ne respirerait plus, il n’aurait pas l’occasion de savourer l’existence en marchant dans ce sable chaud ; sa tête aurait étée plantée sur une pique et exposée à l’entrée de la Cité, bonne à avertir les voyageurs que remettre en cause l’autorité n’était pas sans conséquence ; et le reste de son cadavre aurait été jeté en pâture pour les charognards, sans avoir le droit à une digne sépulture. Il voulait la remercier, l’honorer ; mais telle volonté était peut être trop hardie au vu des torts qu’il lui avait causé ; il doutait pouvoir marcher dignement à ses côtés tant qu’il n’aurait reçu son pardon, tant est qu’il arrive un jour à rejoindre la Cité, vivant.

La chaleur furieuse de l’erg réveillait de vieilles blessures, endormies par la fraîcheur de la nuit. Son ventre se remettait à saigner, lentement, doucement, mais sûrement ; les dangers en-dehors des centres urbains étaient nombreux, outre la chaleur étouffante coutumière, la lumière agressive de l’étoile, et le manque évident de consommables ; la vie sauvage présentait également des menaces qui ne manquaient jamais de venir à la rencontre du pèlerin imprudent, et cela seulement si des bêtes plus humaines mais pas moins dépossédées de toute humanité ne s’étaient pas déjà chargées de saigner et dérober le malheureux.

Ses yeux scrutèrent de nouveau l’horizon, si rien n’avait changé depuis des jours, cette fois-ci quelque chose happa son regard : des formes dansantes, lointaines et troublantes.
Serait-ce la fin du voyage ? La cité était-elle déjà à porté ? Ou … Ou n’était-ce qu’un mirage, une illusion de son archée troublée, une tromperie construite par les mauvais esprits ?

Sa conscience hésitait, mais son corps ne répondait plus, il secoua les rênes et se tendit vers cette lointaine image ; il voulait la revoir, boire et s’abreuver, se restaurer et se repaître ; et finalement tous leur prouver que leurs multiples idoles n’avaient pas eues raison de lui, démontrant par leurs lois, qu’Eg-G'ubım Es-A̧sıyeșan yaEl-Twlıwefan, la Danse des Lunes et du Soleil, était juste et miséricordieuse, seule pensée apte à soutenir le feu de l’âme.

Son a’ejan tentait de suivre la cadence, forçant le pas, puisant dans ses ultimes réserves ; mais à mesure que la cité se rapprochait, ses foulées firent de même jusqu’à finalement ne plus pouvoir s’extirper du sable chaud.
L’homme se courba et caressa la bête, il lui demanda de faire un dernier effort, mais celle-ci refusa, elle ne pouvait plus, c’était là sa dernière contribution à ce voyage interminable.
Elle tenta en vain de poser genoux, et ne réussi qu’à s’étaler au sol, le projetant par dessus la crête de la dune, il roula sans pouvoir s’arrêter, suivant la pente et gagnant en vitesse jusqu’à s’étaler sur le dos, le visage face au soleil.

Il commença par rire de la situation, il était si proche, et pourtant si loin, mais à mesure qu’il riait, des larmes se mirent à ruisseler ; pourtant si proche, mais tellement loin, son a’ejan venait de rendre son dernier souffle, son compagnon de voyage n’était plus … Et finalement, était-ce seulement la Cité, était-ce vraiment la Rédemption qui l’attendait au loin ? Il se refusa à répondre, préférant mourir dans cette ignorance au goût de mensonge et d’insincérité.
Fermant les yeux, il redessina les contours du visage de sa disciple ; elle avait étée la première à s’émouvoir de ses paroles, la première à comprendre la Danse, la première à le soutenir dans cette œuvre divine, et la première à prendre sa défense lorsqu’on le poussa en dehors des murs de la ville. Sensible aux supplications attendrissante de sa sœur, l’Amalaqa avait décidé d’être magnanime et de ne pas l’exécuter sur place publique … De fait, l’homme pouvait s’espérer heureux … Et pourtant il allait tout de même mourir, dans cette Lumière à la fois miséricordieuse et inhumaine.

Il sentait le vent du Sud souffler sur sa peau abîmée, une bise chaude et sèche portant dans son sillage foisonnement de poussières, grains de sable témoins du temps.

Il sentait l’étoile du Zénith embrasser son enveloppe mutilée, un effleurement éprouvant le corps mais amadouant l’âme.

Finalement, il sentit une affable pression sur sa bouche, et sa gorge se délia, se libéra, ses lèvres s’humectèrent, s’humidifièrent. Il en oubliait le goût et la texture, seulement sentait-il le liquide salvateur fondre en lui, presqu’à s’y noyer.

Ses yeux s’entrouvrirent pour voir El-Twlıwefa obstruée par un somptueux palanquin, aux brodures de soie et d’or, à l’armature faite d’un bois exotique provenant de contrées lointaines. Il se sentit porté, quittant un cocon de sable chaud pour rejoindre une canopée de linges riches et parfumés. Malgré la clarté du midi, à l’Est brillait une étoile nouvelle et face à lui, un voile pourpre et translucide s’agitait, derrière lequel se cachait un visage aux traits féminins, des yeux améthystes profonds et mystiques le scrutaient avec bienveillance.
Et soudainement il comprit. Son corps s’agita et sa main sèche et calleuse se tendit vers le visage sacral. Balbutiant quelque mot, le nom « Tșeșam’ » s’échappa d’entre ses lèvres, comme si malgré la géhenne, le nom de sa disciple, à l’aura de prestige et d’honneur, était gravé dans sa mémoire, unique repère d’un esprit torturé et figé, qui se perdit progressivement dans les ténèbres de l’inconscience.

« ‘șanebıg·qqam Eq-A̧qeșuggemyū
amușșanımwwațal̦ Ș·gas·lu ·l-Ȩl·șanıyeșȩū
El̦-Tsal̦wıgı Feșangadeqamelu ‘gaylu
El̦-Wtl̦eșanwummıq J·șan·qagelu»

« La Perte cessera
Lorsque la Pourpre Âme s’éveillera
Nue à la Lumière Isolée
Nuit Abjurée »

C’est dans une quinte de toux que sa conscience lui revint, la gorge irritée. Tentant de reconnaître son environnement, son regard dansa de gauche à droite, suivant le contour des rideaux riches et épais et des piliers finement taillés. Il tendit la main vers la table de chevet et se saisit d’un pichet, mais le précieux liquide en était absent.
C’est alors qu’une servante passa devant l’embrasure de la pièce et remarqua que l’infirme s’était éveillé. Elle s’exclama avec une excitation palpable :

« WāNul̦ımșșȩdı Eș Așagamqama Eș-A̧șımyıțamyū ! Bī‘ūuțıyı Em Temalaqșama-ya-teșagama Tșeșangasqamelu ! »

« Le Maître Eș-A̧șimyițam s’est réveillé ! Allez chercher son Excellence Tșeșangasqamelu ! »

S’accroupissant à son chevet elle lui embrassa la main, signe d’une infinie humilité, d’un respect sacré. D’autres arrivèrent bientôt, encombrés d’une myriade de biens ; on lui donna à boire, on lui humecta la peau avant de le vêtir de la plus douce des soies, on lui tailla la toison et la barbe dans un style si commun des hautes sphères des grandes Cités des Sables, puis on brossa son poil d’une huile substantielle et brillante.
Il ne reconnaissait plus l’image que lui renvoyait le miroir. D’un homme humble aux linges sobres, on avait fait de lui un aristocrate d’apparence, couvert de pierreries, à la vêture d’or et d’argent, les couleurs du Soleil et des Lunes. Mais malgré les parures, son corps gardait les séquelles des affres qui l’avaient tourmentées, sa peau restait abîmée, ses muscles endoloris, et sa force absente, la canne qui le soutenait en devenait le symbole inexorable.
La confusion le quitta lorsque l’assemblée de servants se rompit en deux, laissant le passage libre pour la maîtresse de ces lieux.

L’homme trembla d’embarras, avant de s’effondrer à ses pieds, se perdant en excuses. Il ne savait pas à quel point le mal était grand, il ne savait pas comment demander pardon, ni même ce qu’elle pouvait attendre après toute cette tumulte ; c’est ainsi qu’il fut plus que surpris lorsqu’elle le prit ses bras, les yeux embués, le sourire aux lèvres.
Il hésita, puis finit par rejoindre son mouvement, l’enserrant sincèrement ; c’est à ce moment qu’il s’autorisa un soupir de contentement et de soulagement.

Les retrouvailles passées, ils prirent le temps de parler plus amplement, à l’écart des regards indiscrets des domestiques, marchant à l’ombre de la végétation des jardins du palais. Il apprit avec surprise qu’elle avait continuée, même après son exil, à dispenser des lectures publiques, s’autorisant une certaine bravade en renvoyant la garde dès que celle-ci se faisait agaçante ; elle avait également distribuée nourriture et pécune à la population qui séjournait en dehors des quartiers riches, dans un premier temps à ses frais, puis en détournant les taxes ; son regard améthyste brillait d’une flamme nouvelle, amusée, presqu’espiègle à mesure qu’elle expliquait comment la population des basses terres avaient commencées à se revendiquer de la Danse, à partager les récits hiératiques et réclamer le retour du Prophète.
Le visage Es-A̧șımyıțam se contrit d’une grimace de stupéfaction, il ne s’était jamais décrit ainsi, mais les petites gens avaient vues en lui plus qu’un penseur, mais un véritable élu du Soleil et des Lunes. Tout en le menant jusqu’au perchoir des jardins, elle lui dit que la légende populaire qui s’était élevée à toutes les couches de la Cité racontait que lorsque le Prophète reviendrait de l’Exil d’où-t-on ne peut revenir, intouché et sain, alors le peuple pourrait se réjouir, car nul n’aurait plus à craindre pour sa santé ni pour celle de ses enfants, car la Lumière des Astres baignera le monde du Zénith au Nadir ; et à mesure qu’elle lui expliquait cela, la place du palais s’était noircie de monde, tous venus pour voir l’homme qui était censé être à l’origine de tous les bienfaits présents comme à venir. D’en bas, certains tendirent la main vers sa silhouette d’or auréolée par la lumière du jour, d’autres se mirent à genoux et remercièrent les astres car celui qui n’aurait dû survivre aux affres de l’Erg était de retour.

Il comprit alors pourquoi l’Amalaqa, le frère de Tșeșangasqamelu, n’avait rien fait pour lui causer du tort depuis son retour : il ne pouvait pas, la plèbe se déchaînerait en un rien de temps, et le saisirait pour le sacrifier sur l’autel de la vindicte populaire. Même la garde était conquise par sa philosophie, l’armée ne pourrait pas lever les armes pour le défendre, il était obligé de se plier à cette nouvelle vague, ce souffle qui balayait les anciennes institutions et détruisait les traditions du passé.

Un sentiment étrange le subjugua, Eș-A̧șımyıțam peinait à suivre le rythme de ces changements, mais il savait, il en était certain, que cela menait vers le mieux ; ces longues années de réflexions, de méditations, et de discutions allaient enfin mener à quelque chose ; il imaginait déjà la vague subjuguer une à une les Cités des Sables, secouer le pays, puis le continent ; conquérir tous les cœurs, et alors tous danseraient à la Lumière des Astres.
Cette pensée lui rappela les dernières images qui le marquèrent avant de sombrer dans la léthargie. L’éclat mystérieux de l’étoile du levant lui revint, c’était la même que celle qui brillait au dessus de la lointaine statue qui trônait sur le temple de la Cité, qui bientôt s’écroulait par l’action de milles mains extasiées. Était-ce un message des astres ? Confirmant l’ordre des événements, ou un repère céleste ? Indiquant une quelconque direction, un lieu d’une grandeur inestimée ...

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