44/ Retrouvailles

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 Vrael souffre le martyr. Son cerveau est assailli de douleurs, la fatigue accumulée, le stress…Elle reste droite et fière, dissimule difficilement les rictus qui lui étirent les lèvres à chacune de ses pensées.

 - Est-ce que…Est-ce que c’est terminé ? Balbutie Markal, la lame rouge du sang de la sentinelle encore dans la main.

 - Pour Draac’Vio en tout cas, oui c’est terminé.

 Th’Assal, qui vient de parler, approche du corps inerte et recouvre son visage en tirant le drap. Elle poursuit après un petit moment de recueillement, brisant le silence assourdissant de la pièce.

 - Nous avons été témoin des évènements qui se sont déroulés il y a mille ans. Sans le savoir, notre monde courrait à sa perte. A l’aide du coffre de transfert, nous avons bien failli nous faire envahir…Personne ne l’a jamais su, gardien et sentinelle ont terrassés les forces du chaos sans que nous en ayons eu connaissance. Et j’ai…J’ai voté pour qu’on le mette à mort.

 La magicienne s’effondre dans un slangot, elle s’assied sur le lit. Ses cheveux de feu voilent son visage.

 - J’ai voté pour que le plus grand héros de notre ère soit tué comme un vulgaire voleur de poules…Je ne pourrais jamais me le pardonner…

 Elle sanglotte en silence, assise, au bord du lit. Le reste du groupe s’écarte. Aucune parole ne pourra réconforter Th’Assal, ils décident d’un accord tacite de la laisser seule. Une fois à bonne distance, Markal demande.

 - Cette réminimancie, ce souvenir…S’il était dans la tête de Draac’Vio, pourquoi n’a-t-il rien dit ? Il savait ce qu’il s’est passé il y a mille ans…

 L’homme qui prend leur défense depuis le début répond. Les deux mages qui s’occupaient de Draac’Vio, quant à eux, restent silencieux, choqués.

 - La réminimancie est une magie…capricieuse. Infalsifiable, puissante mais incompréhensible. C’est une magie très étrange, certains l’ont étudié toute leur vie sans vraiment la comprendre. Que Draac’Vio ait accès aux souvenirs de Maragnus est en soi impossible. Rien que ça, nous ne pouvons l’expliquer...Ce souvenir a pu lui être confié, au plus profond de son esprit, sans qu’il en ait conscience et sans pouvoir y accéder. Mais vous avez permis de le faire émerger…Je ne peux pas l’expliquer davantage.

 - Etrange…murmure Markal. Très étrange.

 Il remarque la moue que fait Vrael à côté de lui.

 - Ça ne va pas ? demande-t-il. Tu as l’air souffrante depuis tout à l’heure.

 - J’ai mal, depuis que Th’Assal m’a sondé. A chacune de mes pensées, à chaque fois que je réfléchis.

 - Repose-toi, détends-toi répond-il tout sourire. Nous avons réussi…en grande partie grâce à toi ! tu vas pouvoir te remettre.

 - Qu’en sais-tu ? demande-t-elle d’un ton plus acide qu’elle ne le souhaitait. Nous ne savons pas ce qu’il s’est passé, nous avons juste vu des fils de lumières s’enfuir !

 Comme pour la faire mentir, un couinement de porte qui s’ouvre retentit dans la pièce silencieuse. Vrael se retourne et se retrouve face à Tordek, suivit d’une quinzaine de mages en robes. Certains sont blessés et la plupart ont des bouts de vêtements brûlés.

 - Nous l’avons senti…disent-t-ils. Draac’Vio n’est plus ?

 Th’Assal se relève comme un ressort. Elle balance ses cheveux en arrière, essui ses larmes et s’avancent à la rencontre des mages.

 - La sentinelle a succombé, effectivement. Quelle est la situation, à l’exterieur ?

 - La terre est brulée, ensanglanté, mais la citadelle est toujours debout et nous ne déplorons que peu de perte, répond le nain. Et nos ennemis gisent sans vie...

 Vrael est persuadée de voir les épaules de la magicienne rousse se détendre à cette annonce. Elles descendent d’un bon centimètre et paraissent moins crispées.

 - Au moins, sa mort n’est pas vaine. Draac’Vio est mort en héros, lui et le gardien d’Huzumil, ici présent, ont sauvé notre plan !

 Suite à cette annonce, Th’Assal est assaillit de questions, elle s'explique. Markal chuchotte discrètement à l’oreille de Vrael.

 - Décampons, il faut que nous retrouvions nos amis, vite.

 - Il nous faut les golems, acquiesce Vrael. Dêpechons et espérons que tous vont bien ! Mais où irons-nous ?

 La chambre se retrouve pleine à craquer de mages venus entendre le discours de Th’Assal.

 Les deux amis font signe à Tordek de les rejoindre et expliquent qu’ils veulent vite retrouver leurs compagnons. Il comprend et accepte de les aider tout de suite, sous les supplications de Vrael. Elle promet de lui expliquer ce qu’il s’est passé, dans les détails pour qu’il n’ait pas besoin d’assister au discours.

 Ils s’éclipsent discrètement. Th’Assal le remarque, mais ne dit rien. Elle continue son récit. Sur le chemin, Vrael dit, alarmée.

 - Merci de nous aider, Tordek. Mais nous ne savons même pas où aller ! ramène-nous sur le continent, nous nous débrouillerons.

 - Savez-vous seulement ce que sont les golems de transports, jeune fille ? demande le nain, d’un air espiègle.

 - P…Pas vraiment…

 - Ce n’est pas de la vulgaire magie de téléportation, c’est de la transmutation ! Les golems sont enchantés d’une magie si puissante qu’ils sont capables de grandes choses. Entre autres de retrouver n’importe qui, n’importe où…Très pratique quand un extra-planaire se planque dans notre monde…

 Cette nouvelle met du beaume au cœur de Vrael. Pendant un instant, elle n’a plus mal à la tête.

 Ils arrivent au dehors, là ou quelques minutes plus tôt, un Diantrefosse déchaînait la fureur du ciel. Heuresement, Parovenia n’est pas habitée, à l’exception de la citadelle. Le sol est roussi, craquelé, des cadavres gisent par dizaines. Vrael remarque un corps plus gros que les autres.

 - Je ne pensais pas un jour voir un seigneur des neuf enfers…Dit-elle craintive en l'approchant. Mais en voir un mort…C’est absolument incroyable.

 Elle se tourne vers Tordek.

 - Qu’est ce qu’il s’est passé ?

 - Je crains de ne pouvoir vous éclairer, jeune fille. Je n’ai jamais vu cette forme de magie. Mais j’ai assisté à ce qu’il s’est passé ici. Nos agresseurs ont été transpercés, pourfendus par des éclairs de lumière. Ceux-ci ont ensuite continué leurs courses vers le continent…Je ne sais pas ce qu’il s’est passé et je ne pense pas que quelqu’un le sache. Les arcanes sont mystérieux, et nous n’en avons appréhendé pour l'instant qu’une infime parcelle. Tous les jours, nous découvrons de nouvelles choses, de nouveaux phénomènes. Certains sont naturels, d’autres sont crés, d’autres encore sont des accidents…Nous avons été témoins d’une manifestation magique très...bizarre.

 - Mais cela a un prix, dit lourdement Markal. La vie de la sentinelle…

 - Oui, c’est une tragédie et une catastrophe. Le temps que nous mettions la main sur la nouvelle sentinelle, notre monde est vulnérable. Mais haut les cœurs ! Nous venons de défaire une armée d’invasion, de terrasser un seigneur des enfers ! Nous nous relèverons, plus fort !

 - Vous avez raison, Tordek, approuve Vrael. Assez traîné, je meurs d’envie de rejoindre nos amis.

 Sur le sol encore fumant, apparaissent les golems de tranport. Tordek ouvre la voie et adresse un regard reconnaissant aux deux amis. Après un signe de tête, sans un mot, ils traversent la membrane vibrante.

 Ils apparaissent au sommet d’une tour, dans une clairière. Vrael se précipite au bord pour voir aux alentours. Le spectacle qui se déroule sous ses yeux est atroce. Au loin d’abord, à l’orée de la forêt, les Hommes entassent des cadavres, formant un charnier impressionant. Au milieu de l’étendue de terre, ils sont nombreux à s’afairer à creuser des tombes.

Non…

 Il y a eu beucoup de mort. Sur les deux-cents de départs, Vrael ne sait pas combien ont répondu présent à l’appel de La Guilde, mais de nombreuses tombes sont déjà prête.

Non…

 Elle cherche du regard une silhouette qu’elle pourrait reconnaitre. Ce n’est pas le cas.

Non… !

 Elle se met à courrir le long du garde-corp, gardant les yeux fixés vers le sol, à la recherche de ses amis.

 Et puis, soudain, elle stoppe net. Sortant de la forêt, courant, elle reconnait la silhouette de Carseb. Son cœur fait un bond dans sa poitrine.

Il est vivant !

 Ni une ni deux, elle enjambe la balustrade et saute dans le vide. Au dernier moment, elle déploie ses ailes pour ralentir sa chute et atterrit juste devant le demi-elfe, stoppant net sa course.

 Il plonge dans les bras l’un de l’autre. Ils se serrent fort, comme ils n’ont jamais serré personne. Ils s’embrassent longtemps, langoureusement, avec force et passion. Carseb se dégage de l’étreinte de son amie. Celle-ci, folle de joie explose.

 - Où sont Thanis et Fitz ?? Roland et Va…

 Elle s’interrompt devant le visage grave du voleur.

 - Vrael…commence-t-il. Nos amis vont bien. Mais nous avons subit de très lourdes pertes. Thanis compte nos morts, il va bien. Roland est faible mais en bonne santé, Vahya n’est pas blessée…Mais Fitz…

 Sa voix se brise mais il tient bon.

 - Non… ! la coupe Vrael. Non !!

 Elle commence à pleurer doucement, reniflant bruyamment, debout. Elle sombre dans les bras de Carseb, qui la berce. Plus petit que la jeune fille, il hésite à se hausser sur la pointe des pieds, mais elle se laisse aller contre lui. Ils s'assieds sur le sol poussiereux. Elle reste contre lui, une minute durant.

 Le faucon pèlerin vient se poser sur l’épaule droite de Carseb, observant la scène avec curiosité.

 La tête de Vrael est sur le point d’exploser. Elle a l’impression que son cœur est remonté dans son crâne, martelant ses tempes. Chacune de ses pensées est une torture. L’annonce de la mort de celui qui l’a accueilli, qui l’a aidé, qui lui a offert un foyer, une famille termine de la briser. Elle serre les dents, ne sachant pas si la douleur qu’elle ressent est celle de son chagrin ou les séquelles de la Réminimancie.

 Le silence qui les entoure est rompu par Carseb qui s'exclame à haute voix.

 - Markal !

 Vrael lève le regard et essui ses larmes. Il s’approche d’eux, d’un pas lent. Le voleur se libère de l’étreinte de Vrael, qui le laisse aller.

 - Ne dis rien, ordonne le guerrier. J’ai croisé Thanis...il m’a dit.

 Il saisit l’épaule du demi-elfe, chaleureusement.

 - Comment vas-tu ? Tu n’as pas été blessé ?

 - Non…grâce à vous !

 - Aujourd’hui, vous avez été le rempart de l’humanité…sourit Markal. Le monde entier a une dette envers La Guilde. Les héros d'ajourd’hui, c’est vous... Soyez en fier. Raconte-moi tout, dans les détails, même si ça te coûte. Fitz était mon ami, je veux comprendre.

 Ils retournent dans la tour, à son sommet. A l’air libre, face au magnifique coucher de soleil, l’endroit est plus avenant, pour tout raconter.

 Carseb, Markal, Thanis et Vrael se réunissent d’abord à eux quatre. Le voleur évoque en détail la mort de leur ami. Il parle vite, mais n'omet aucun détail. Chacun est secoué.

 - C’était un brave, dit Markal d’un ton emplit de respect. Beaucoup auraient périt sans lui…

 - Nous lui offrirons les funérails qu’il mérite, ajoute Vrael.

 - Son nom ne sera pas oublié, soyez en sûr. Son geste est d’ors et déjà l’acte le plus courageux d’Huzumil, dit Thanis. Il sera dans nos mémoires, puis dans les archives, pour des siècles.

 Roland, Kozne et Vahya se joignent ensuite à eux. Ils se racontent les péripéties qu’ils ont respectivement affronté. Le soleil termine sa course, les plongeant dans la pénombre. Un silence s’installe. Un silence de fierté, de tristesse et de joie à la fois.

 Sur l’initiative de Roland, tous descendent rendre hommage aux morts de La guilde. La cérémonie est simple, rapide, silencieuse. Une tombe a été creusée pour Fitz, au centre du cimetière. Les quatres amis se recueillent sur la sépulture vide de leur chef, celui qui a relevé La Guilde. Personne ne dit mot, mais les pensées sont toutes tournées dans la même direction. Vers Saint Cutberth, et Fitz, qui repose maintenant à ses côtés, comme un brave, comme il l’a toujours souhaité.

 Sans un mot, Thanis projette une ultime boule de feu vers le charnier. Celui-ci s’embrase et des lueurs orangées commencent à zébrer la nuit.

 La Guilde rentre dans ses quartiers. Une victoire est à fêter ! Et il faut organiser une commémoration digne de ce nom, en souvenir de Fitz et de tous les morts. Toujours dans le silence, les lieux se vident peu à peu. Thanis ouvre un portail pour ses amis. Roland, Markal, Vahya, Roplarm et Kozne le traversent. Vrael et Carseb traînent.

 - En route les amoureux, taquine le mage. Nous devons fêter notre victoire et vider des fûts en l’honneur de Fitz.

 Même si son ton est enjoué, Vrael décèle une certaine tristesse dans la voix de son ami. Sans s’être concertés, les deux amants répondent d’une même voix.

 - Non.

 - Rentrez sans nous, continue Vrael.

 - Nous allons regagner la grotte par nos propres moyens, profiter d’un instant de calme, termine Carseb.

 - Comme vous voulez, dit Thanis, un sourire en coin. Ne tardez pas trop, il va falloir des bras pour remettre tout ça d’aplomb !

 Il traverse son portail, laissant ses amis dans l’obscurité qui s’épaissit. Carseb pose la tête sur l’épaule de son amie. Ils savourent cet instant, d'un silence absolu, seulement troublé par le crépitement du bûcher qui brûlent et le bruissement des ailes du faucon qui n’a pas quitté son épaule.

 - Allons-y, finit-il par dire doucement. Nous devons dormir et la route est tout de même un peu longue jusqu’à La Guilde.

FIN

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