Chapitre VI. Elle au printemps, moi en hiver*

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Nous aimions Miala et moi, faire de longues balades en forêt. Ce samedi, nous nous étions levés très tôt et nous avions pris la route du sud. Je voulais lui faire visiter le château royal de Fontainebleau, pour ensuite nous promener dans la vaste forêt qui jouxte cette magnifique demeure. Le site était merveilleux, le temps superbe, une vraie journée d'amoureux, sauf que nous n'en étions pas. Je ne pouvais décemment pas tomber amoureux de cette gamine qui avait la moitié de mon âge, tout de même !

soudain , une chanson me vint à l'esprit, c'était Serge Régianni*, je crois, qui la chantait

"Il suffirait de presque rien,
peut-être dix années de moins
Pour que je te dise "Je t'aime".

Elle au printemps, moi en hiver..."

C'est le moment qu'elle choisit pour sortir de sa torpeur, elle n'était pas du matin.

  • Toujours à chanter de vieilles rengaines dans ta barbe prof , un jour il faudra bien que tu sortes ce que tu as sur le coeur ! enfermé que tu es dans tes préjugés d'un autre temps . Chez nous, l'âge importe peu, toutes les polémiques sur votre président et Brigitte seraient nulles et non avenues !
  • Et cheveux jaunes et sa femme ?
  • Ne me parle pas de cheveux jaunes, cet homme est un démon, un vieux bison maléfique. Bon Lisandro, tu m'as tarabustée qu'il ne fallait pas se coucher tard, pour se lever tôt, ce n'est pas pour rester avachis à la terrasse d'un café, les croissants étaient délicieux. Maintenant, je vais payer, et on y va !
  • C'est moi qui paye, petite fille !
  • Lisandro, stop! Tu m'emmerdes, tu arrêtes ça, vite! Je n'ai pas traversé le Canada et l'Atlantique pour supporter la mentalité bornée d'un homme d'autrefois. Regarde, je sors ma carte bleue, tu te détends. Tu ne me refais pas le coup à l'entrée du monument ! sinon je te plante là et je rentre à Paris !

Oula ! elle avait du répondant Miala ce matin, mais c'était une des raisons pour laquelle j'aimais bien cette fille !

Pendant qu'elle allait au comptoir, je me levais et je commençais à m'avancer vers l'accueil. Elle saura m'y retrouver, il y avait peu de touristes, c'était très calme et les parigots devaient être dans leur maison secondaire du Calvados ou du Morbihan. Je ne pourrais jamais comprendre la mentalité parisienne, il est vrai, j'étais né Varois, dans un petit coin de garrigues à deux pas de Manosque. Alors que je me remémorais mes balades sur les pas de Jean Giono ou de Marcel Pagnol, une Miala tout sourire me bouscula.

Je me retins juste à temps, les vers du beau Serge me revenaient à la bouche, je les ravalais !

  • Tu boudes, tu es grincheux, je t' ai bousculé ! ça te passera, dis tu ne va pas faire la gueule toute la matinée, ça ne va pas être drôle !
  • Mais non, tu avais raison tout à l'heure, parfois j'aime bien me replonger dans le passé, ce n'est pas pour rien que je suis devenu professeur d'histoire !
  • Et il s'en sort d'une pirouette, le joli chaton à la mine renfrognée, allez, j'ai pris les billets, on peut entrer !
  • Déjà, je ne t'ai pas vue passer à l'accueil !
  • Tu n'es vraiment pas adapté à notre société, tout ce fait par internet maintenant, tu flashes le QR code, tu choisis tu payes, c'est pour cela qu'il n'y a plus de queue dans les lieux publics, sauf quand les vieux sont de sortie !

Je ne relevais pas, elle était d'humeur à me chinoiser, moi pas! je m'en moquais de ce qu'elle pensait, non je n'étais pas de mauvaise humeur, la situation ne me plaisait pas, c'était tout. Je ne voulais pas la chagriner avec mes états d'âme, pour lui donner le change j'arborais mon plus beau sourire. Je me sentais bien en sa présence, alors pourquoi me polluais-je ainsi l'esprit en questionnements stériles. J'avais décidé de ne pas succomber à ses attraits, il fallait que j'assume.

comme si elle lisait dans mon âme à livre ouvert, elle vrilla ses deux prunelles anthracite sur moi, et , comme une mangouste paralyse le cobra du regard, susurra :

  • Je sais ce que tu penses, je peux me louer un studio si tu le désires, si c'est trop dur pour toi !
  • Non avançons, veux-tu ? Nous avons déjà eu ce débat, tu me plais, c'est certain, j'ai compris que c'était réciproque, mais notre différence d'âge me bloque, si nous pouvions visiter tranquillement ces lieux maintenant. Non, ta présence ne m'est pas pénible, tu restes chez moi autant de temps que tu le souhaites !

Du coin de l'oeil je la voyais se ratatiner dans un coin du hall d'entrée. Une partie de mon être aurait voulu la serrer contre moi, l'autre aurait eu trop peur de sa réaction si je l'avais fait. Je décidais tout de même de prendre sa petite main brune dans la mienne, et sans la regarder, j'embrassais sa paume moite qui sentait la noisette sauvage. Sans chercher à se dégager elle se colla contre moi satisfaite. Sans la lâcher, je n'osais tourner la tête pour la regarder, je sentais son timide sourire réchauffer cette matinée de fin d'hiver. Je sentis sa tête qui cherchait son chemin contre mon épaule.

Nous commençâmes notre visite ainsi accolée, nous n'étions pas les seuls, tous les couples évoluaient ainsi, mais je le répète, peut être me mentais-je d'ailleurs, nous n'en étions pas un.

ça n'était pas la première fois que je visitais ce château royal, il n'avait ni le clinquant de Versailles, ni les fantômes du Louvre, ni la beauté de Chambord, mais il était unique, tous les rois de France l'avaient habité à un moment de leur règne,

Mais aujourd’hui, accompagné de la plus jolie Amérindienne de Paris, je volais de pièces en salles de galeries en rotondes de chambres en boudoirs; ici planait l'ombre de Marie de Médicis, là celle de Joséphine ( les empereurs aussi avaient hanté cette demeure !). Le donjon de saint Louis, le cabinet ovale décoré par Amboise Dubois. Lorsqu'après avoir tourné en rond pendant plus d'une heure étourdie par tant d'histoire, je m'arrêtais enfin dans la chambre de la duchesse d'étampes. Pour admirer l'oeuvre de Francisco Primataccio, je redevins, le prof d'histoire. Moi, le républicain, j'étais fier de mon ancêtre jacobin qui avait fait couler tant de sang noble pendant notre belle révolution, j'avais cependant, dans la ronde des souverains Français, un petit chouchou dans la personne de François le premier, il était bel homme parait -il! il adorait, la chasse, le sport, la guerre, la bonne table et les femmes. Je commentais la liste de ses maitresses : Françoise de Fois, Françoise de Châteaubriant, Marie Boleyn, la soeur d'une future reine d'Angleterre, la belle Férroniére et tant d'autres. Mais la plus importante de toutes fut la première dame d'honneur de Louise de Savoie, la mère de François : Anne de Pisselieu, duchesse d'Étampes.

  • Mr Esteban, j'aurais reconnu, cette voix au milieu de tant d'autres, vous passionner toujours les foules à ce que je vois.

Je me retournais, coupant net mon discours-fleuve, un grand gaillard blond s'avança vers moi et me présenta à la petite assemblée. Sans le vouloir, j'avais attiré les visiteurs avec mes explications qui n'étaient réservées qu'à ma charmante compagne .

  • Je vous présente le meilleur professeur d'histoire de France, c'est grâce à lui si je suis ici aujourd'hui, je lui coupe la parole, et je lui demande gentiment d'arrêter son cours d'histoire, sinon, je connais le résultat, vous partirez avec lui! Faites le tour de la chambre, admirez l'oeuvre du Primatice: le mariage d'Alexandre et de Roxane , Apelle peignant Campampe devant Alexandre. Au mitan de ces magnifiques peintures, n'oubliez pas, Alexandre domptant Bucéphale. L'ensemble est agrémenté de stucs encadrés par des représentations féminines nues.... Je vous laisse à vos découvertes, dans cinq petites minutes nous irons vivoter l'immense bibliothèque qui occupe depuis Napoléon III la grande galerie de Diane. Mais maintenant laissez moi cinq petites minutes, je m'en vais saluer mon mentor.
  • Ah ! Michel, c'est bien cela, Michel Vauvenargues, comment oublier ton patronyme qui fleure bon mon pays !
  • Hélas, comme je vous l'avais déjà expliqué, je suis né à Étampes et j'y réside encore, même si j'habite rue Marcel Pagnol, je n'en suis pas Plus provençal pour cela !
  • Michel, je te présente une de mes meilleures étudiantes, Miala qui nous vient du Canada, de la Colombie-Britannique pour être plus précis.
  • Enchanté Miala, justement professeur !
  • Ah, mais appelle moi donc Lisandro ici, depuis tout ce temps, tu étais un étudiant brillant d'après ce que je me rappelle, je suis heureux de t' avoir rencontré.
  • Prof...Lisandro, je suis guide ici, pour arrondir mes fins de mois, comme vous pouvez l'imaginer, mais je travaille également en tant qu'historien chercheur. Je prépare ma thèse, qui sera: "Les rapports entre deux grands rois de la Renaissance, François premier et Donnacona l'iroquoien de Stadaconé". Je peux vous présenter une partie de mes recherches, je sais que vous êtes un passionné de culture amérindienne.
  • Et mon roi chouchou était François premier, bien entendu que ça m'intéresse, cela ne te dérange pas Miala ?
  • Non, absolument pas, j'aime écouter les hommes passionnés , je vous accompagnerais avec beaucoup de plaisir
  • Eh bien, attendez-moi dans cette salle, dans dix, quinze minutes, je termine avec mon groupe, ensuite, je n'en ai pas d'autres jusqu'à 13 h. Vous verrez, je pourrai même vous montrer des coins du château qui ne sont pas ouverts au public, à tout à l'heure donc !

E.Y

* Serge Réggiani

( il suffirait de presque rien )

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